TRIBUNE

Parcoursup IFSI : pour rétablir quelques vérités

Publié le 16/09/2022

Trois ans après sa mise en place, l’entrée par Parcoursup suscite toujours la controverse. Le Laboratoire d’idées Santé Autonomie (LISA), dans une analyse*, cherche toutefois à rétablir quelques vérités sur ce mode de sélection et appelle, surtout, à se questionner plus largement sur la formation et ses conditions d’accueil.

L'entrée en IFSI par Parcoursup a notamment permis d'augmenter le nombre de candidats à la formation.

Flashback : pourquoi une telle réforme ?

D’abord parce que la loi en avait décidé ainsi… La Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (loi ORE) de mars 2018, qui créait Parcoursup, avait en effet prévu que l’ensemble des formations conduisant à un diplôme de l’enseignement supérieur seraient intégrées sur la plateforme de préinscription Parcoursup au plus tard pour la rentrée 2020.  

Auparavant, les concours infirmiers étaient dispersés sur l’ensemble des instituts : plus de 320. Les postulants étaient donc invités à faire un "Tour de France" des instituts, épuisant et coûteux, et bien sûr dissuasif pour les plus modestes. Un système de préparation était solidement implanté, avec des officines privées et les instituts de formation publics eux-mêmes, qui avaient développé des recettes accessoires sur ce champ …déontologiquement douteux.

Mais le plus problématique était que ce système atomisé et non consolidé laissait, par construction, un volume de places vacantes important. Le corollaire était un niveau de recrutement très bas dans certains territoires. Un concours pour rien en somme.

Le résultat de cette réforme ?

D’abord un afflux sans précédent de candidats : plus de 100.000 personnes confirment chaque année au moins un vœu en IFSI pour, bon an mal an, 25.000 places.

Fait indubitable : la profession attire, les jeunes sont en quête d’un métier qui ait du sens. Ils ne viennent pas là par hasard, par la facilité des vœux sur Parcoursup. Discours un peu méprisant. C’est bien mal considérer les jeunes que de le penser.

Beaucoup d’interlocuteurs préfèrent retenir un autre constat : les abandons en cours de formation seraient de plus en plus nombreux. Les statistiques sur la situation avant / après la suppression du concours sont très frustes sur le sujet mais admettons que les abandons sont plus nombreux.

Concomitance ne veut pas dire causalité, surtout dans un contexte marqué par la crise Covid-19, qui a touché de plein fouet les premières promotions Parcoursup (entrées en formation en 2019 et 2020). Les conséquences ont été encore plus marquantes pour les étudiants en soins infirmiers que pour les autres formations, compte tenu de la configuration du réseau d’instituts (atomisés) et de l’intérêt de cette "main d’œuvre" pour un système de santé en situation de très forte tension : conditions d’études et de stages dégradées, mobilisation/réquisition au détriment des temps d’études, difficultés de la continuité pédagogique (et de l’implantation du numérique), confrontation directe à des situations dramatiques dans le contexte de l’hôpital ou des maisons de retraite.

Il est plus facile de s’en prendre au totem Parcoursup que de remettre en cause la qualité des stages, la difficulté des tuteurs sur le terrain, l’absence de reconnaissance de leur rôle, le modèle même de construction de cette formation qui confronte volontairement et précocement les néo-soignants à la souffrance et à la mort (avec un stage relativement long dès le premier trimestre).

Avec Parcoursup, ce n’est plus la formation qui choisit, ce sont les candidats qui décident.



Dénoncer Parcoursup, c’est critiquer une machine que l’on veut croire lointaine et déshumanisée, s’en prendre aux fameux algorithmes qui auraient remplacé le bon vieux temps de la préparation et du concours, mis fin à la saine construction de la vocation au profit des clics aléatoires sur la plateforme et substitué au sacro-saint entretien oral (aux performances incertaines) la froide analyse des dossiers sur Internet.

C’est faire peu de cas du travail d’accompagnement mis en place pour aider les directeurs d’IFSI, les écouter et construire avec eux les leviers d’un recrutement plus efficace et de bonne qualité.
C’est oublier aussi les évolutions structurelles qui se sont mises en place depuis quelques années : avec Parcoursup, ce n’est plus la formation qui choisit, ce sont les candidats qui décident, ce qui impose de concevoir le recrutement, de le piloter. Avec Parcoursup, on voit se développer les parcours de réorientation entre études de santé et formations paramédicales.

Plus fondamentalement, admettra-t-on un jour que le monde a changé, que les étudiants ne sont plus les mêmes ? Ils sont plus jeunes, plus incertains quant à leurs choix de carrières et désireux, conformément aux textes qui encadrent le premier cycle d’ailleurs, de développer des choix plus progressifs d’études et de carrière. Les témoignages se multiplient qui montrent des comportements et des aspirations différents des générations précédentes, qu’il faudra bien admettre, sauf à courir le risque de la désaffection.

Tout est-il rose pour autant ? Certainement pas.

Parcoursup, ce sont des hommes et des femmes (les formateurs-trices) face à des dossiers de candidats, par le truchement d’une plateforme décrivant les caractéristiques des formations et mobilisant une feuille de calcul pour faciliter le travail de classement.

L’orientation en amont de la procédure de pré-inscription doit assurément être consolidée. C’est la base d’une orientation et d’études réussies et c’est bien un enjeu national, un enjeu de société tant l’accompagnement à l’orientation a trop souvent été négligé.

La feuille de calcul, c’est quoi ? Le révélateur d’une politique de sélection (rendue possible et nécessaire par l’afflux de candidats), où l’on donne un poids aux différentes disciplines, aux types de bac, aux spécialités, à la motivation affichée, à l’expérience extra-scolaire... On est loin des fameux "algorithmes déshumanisés", expression facile à l’usage et dont le mystère suffit a jeté le discrédit sur des équipes de formateurs motivés et qui réalisent un travail essentiel autant que difficile.

Posons-nous aussi la question des bacheliers que l’on entend accueillir dans une formation conférant le grade licence, aux côtés de professionnels en reconversion ou insérés dans une logique de promotion professionnelle.

Au risque de ne pas céder au politiquement correct, la question de l’accueil de bacheliers issus des filières professionnelles à la sortie du lycée doit être ouvertement posée. Certains territoires ne font plus de places à ces candidats, d’autres si. A tout le moins, il faut que les tutelles (rectorat, région, agence régionale de santé) s’en parlent, avec les responsables d’instituts et les employeurs, y compris pour mieux adapter les moyens et les parcours aux profils des candidats.

Les praticiens de Parcoursup savent que la plateforme alloue les places de façon très efficace dans les premières semaines mais qu’il y a des difficultés en fin de procédure. C’est en effet le moment où affluent des places libérées par les candidats relevant de la promotion professionnelle qui avaient reçu une proposition d’affectation mais ne peuvent pas entrer en formation faute de financement. Depuis des années, nous alertons les parties sur la nécessité de corriger ce dysfonctionnement qui n’est pas imputable à Parcoursup mais au calendrier de financement de la formation continue.

C’est in fine le nombre de diplômés, voire le nombre de professionnels en exercice au décours immédiat de la diplomation, qu’il faut considérer dans la projection de nos besoins de professionnels.

Autre difficulté : la préférence géographique. Si les vœux formulés peuvent être relativement aléatoires en début de procédure, on constate que les choix après propositions sont eux beaucoup plus ciblés géographiquement. Parcoursup n’a donc pas créé, statistiquement, une distanciation notable par rapport à la situation connue auparavant mais il peut y avoir un effet éloignement que les étudiants cherchent, légitimement, à corriger en cours de formation. Il suffirait que les mécanismes de transfert soient modernisés, homogénéisés, mieux organisés et encadrés.

Il est devenu vain et contre-productif de compter les places en début de formation comme si on était encore dans le modèle d’avant, celui – largement fantasmé – où tout le monde entre en institut le 1er septembre pour en sortir en juillet de l’année N+3, sans césure, sans pause, sans redoublement, sans échappement, sans davantage d’entrées en cours de formation via des passerelles. Si ce monde n’est plus, il ne s’agit pas de le réinventer, c’est la régulation quantitative qu’il faut transformer, d’urgence. C’est in fine le nombre de diplômés, voire le nombre de professionnels en exercice au décours immédiat de la diplomation, qu’il faut considérer dans la projection de nos besoins de professionnels. Le protocole Etat-Régions signé en mars 2022 pour pérenniser les créations de places et les financements de ces formations ouvre des pistes en la matière[1].

Le problème n’est pas celui de la plateforme Parcoursup, sauf à confondre la cause et le symptôme, sinon le symbole. Le problème est celui d’une orientation encore incertaine, d’une politique de recrutement hétérogène et refusant souvent de sortir de l’implicite, et de conditions de formation dégradées, du fait de la crise sanitaire et en dehors d’elle. Attaquons-nous prioritairement à ces problèmes !

Qu’est-ce que la vision d’une réforme dit de la profession ? Le malaise est tel qu’on ne parvient pas à accueillir les bonnes nouvelles ou les signes d’espoir. On préfère donc se recroqueviller sur le modèle mono-professionnel, celui du concours, qui fait corps. On en retourne à l’idée de vocation, censée être révélée dans les entretiens de sélection. On hésite à sortir de l’ambiguïté quant à la politique de recrutement cible et donc à sa place dans la hiérarchie des professions.

Cessons donc d’esquiver ces débats. Il est grand temps de traiter ces sujets avec détermination et confiance.

*Consultez le texte d'origine sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (LISA).

[1] https://regions-france.org/wp-content/uploads/2022/03/Communiqu%C3%A9-d…

Stéphane Le Bouler, président de Lisa, en collaboration avec Emmanuel Touzé et Florence Girard


Source : infirmiers.com