Soins et tabous, (éditions Seli Arslan)
Chez les soignants et les soignés, les tabous sont nombreux dans l’univers du soin et peuvent entraver son bon exercice. De quoi inciter à dépasser le non-dit pour tenir compte de sa réalité.
Aller au-delà des silences. Tel est le sous-titre et l’objectif de ce livre collectif faisant face aux tabous qui s’expriment dans l’univers du soin. Un non-dit qui renvoie à des sujets pratiques, des postures ou des comportements que l’on préfère passer sous silence, par convenance, crainte ou pudeur. Les soignants comme les soignés sont concernés, et de la mort à la sexualité, du rapport au corps à la violence qui peut habiter celui ou celle avec qui il faudra bien établir une relation, le champ des tabous demeure vaste. L’ouvrage incite à mieux les identifier en cernant ses propres limites, ses interdits, préalable nécessaire pour celui qui aspire à se tourner vers autrui.
Éviter la stigmatisation
Comprendre les tabous, c’est d’abord saisir les enjeux qui se masquent derrière le silence. Ce que permettent quatre réflexions qui les abordent sous différents angles. Une approche philosophique et anthropologique permet une mise au point sur la signification de ce qui relève avant tout d’un humain émotionnel et rationnel. Plus pratique, la question des relations sexuelles entre collègues ou le rapport à la religion, qui peuvent tous deux inciter à la dissimulation pour éviter la stigmatisation. Mais la difficulté de s’exprimer touche aussi de façon marquante l’étudiant en soin infirmier qui n’osera pas exprimer son ressenti à son équipe pour mieux se conformer à la pensée apparemment consensuelle de cette dernière.
Repérer ce qui est masqué derrière des banalités venant cacher ce qui est plus difficile à nommer et qui risque d’empêcher le soin
Les soins infirmiers sont mis en avant dans plusieurs des cinq entretiens qui constituent la seconde partie du livre. Une infirmière en psychiatrie décrit les rites de passage que peuvent être les premiers soins d’hygiène, ainsi que le fait de travailler avec des personnes ayant franchi les limites de ce que tolère la société. La confrontation à la nudité, jusqu’à la toilette mortuaire, a marqué une autre soignante qui insiste, quant à elle, sur le fait que les émotions soient trop tues, de même que la souffrance psychique des patients. Et comme l’estime une infirmière devenue psychologue clinicienne, il importe en fait d’être en alerte pour « repérer ce qui est masqué derrière des banalités venant cacher ce qui est plus difficile à nommer et qui risque d’empêcher le soin ». Aller donc au-delà du silence, sans crainte d’un tabou aux multiples facettes que ce livre décrypte sans fard.
Et aussi...
FORMATION
L’éthique en soins infirmiers, de François Tournery Bachel (éditions Seli Arslan)
Docteur en santé publique après avoir exercé comme infirmière et enseigné en institut de formation en soins infirmiers, Françoise Tournery Bachel retient de son expérience que le développement de l’éthique du soin constitue un enjeu majeur. Alors que des passerelles avec d’autres diplômes pourraient conduire à une formation infirmière allégée, comme cela a été le cas pour les aides-soignants, elle estime que la démarche éthique ne doit pas être négligée dans l’apprentissage. Car la maitriser s’avèrera en pratique aussi fondamental que l’acquisition d’indispensables compétences scientifiques et techniques.
L’auteur s’appuie sur une enquête menée auprès d’étudiants qui révèle des écarts entre les connaissances théoriques et un exercice du soin conscientisé, ou entre une idéalisation de la profession et sa réalité. C’est donc à un regard lucide que convie ce livre en pointant l’extrême importance de ce soin conscientisé par une éthique qui se traduit avant tout par l’attention portée au patient. Une exigence pour laquelle l’infirmière a un rôle primordial à jouer. Il s’agit donc de l’inculquer et de la mettre en œuvre dès le début d’une formation où le premier stage se traduit par une déstabilisante confrontation au réel susceptible de remettre en cause des convictions. Tout en rappelant la nécessité de l’éthique du soin.
TÉMOIGNAGE
J’ai dessiné un cancer, de Elgé (éditions du Panthéon)
Après avoir passé cinq ans dans l’armée puis quinze autres comme manager commercial, Elgé avait le profil d’un quadra parfaitement cartésien quand il a rencontré une guérisseuse qui lui révéla une sorte de prédisposition de magnétiseur. Un virage dans sa vie qui allait le conduire à faire de cette pratique intrigante son métier. Il a alors pris le chemin des médecines parallèles, jusqu’au jour où il développe un cancer de la gorge qui le ramène par la force des choses vers l’hôpital et ses services d’oncologie. Un périple qui débute par la prise de conscience du désert médical français quand il est contraint de faire quotidiennement deux heures de route pour rallier un centre de radiothérapie, alors même que deux hôpitaux se trouvent à moins d’une demi-heure de son village du sud.
La rencontre entre ces deux univers médicaux s’avère enrichissante et révélatrice, à la fois de l’importance de traiter le cancer selon les protocoles conventionnels et de celle de l’investissement personnel du patient qui entreprend ici une introspection profonde. Convaincu que c’est en lui qu’il trouvera la voie de la guérison en comprenant les causes intimes de sa maladie, son récit, du diagnostic à cette guérison en passant par la rémission et la rechute, s’avère ainsi une émouvante recherche d’un équilibre intérieur.