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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Vous avez dit « aidant » ?

Publié le 20/01/2016
sénior aidant soignant

sénior aidant soignant

Le terme « aidant » est de plus en plus employé pour désigner les proches accompagnant une personne malade ou souffrant d'un handicap. Mais qu'implique vraiment l'utilisation de ce mot ?

Attention à ne pas confondre aidants et professionnels de santé...

Je suis surprise et en colère de lire et d’entendre dans les médias le terme d’aidant, désignant la famille de personnes vieillissantes, ou d’un de leur membre souffrant d’une maladie ou d’un handicap. Je vois se multiplier les manifestations, comme des « café des aidants », la « minute des aidants » sur France 5… Quand un membre du corps humain est malade, c’est tout le corps qui est souffrant. C’est la même chose pour une famille.

Alors, que signifie d’employer le terme d’aidant ? On emploie même le terme de « jeunes aidants » désignant les enfants de 6 à 23 ans supportant l’un de leurs parents souffrant d’une maladie grave. Je suis stupéfaite !

Dans une famille, il y a un ordre à respecter. Les parents naissent avant leurs enfants et ils doivent leurs prodiguer des soins, une éducation, donner de l’amour parental. Les parents donnent et les enfants reçoivent. Un enfant aime sa mère et son père en tant qu’enfant. C’est de l’amour filial. Les parents les aiment. C’est de l’amour maternel et paternel. Chaque amour est différent, selon la place de chacun dans la filiation. L’enfant a besoin de l’amour de ses parents pour construire des relations affectives saines, pour se construire et grandir, Les parents sont les éducateurs et les accompagnateurs dans la vie d’un enfant et non l’inverse. L’enfant a besoin de l’amour de ses parents en tant qu’enfant et il en a besoin toute sa vie. Que les parents soufrent de maladies ou non, l’amour doit rester intact et être différencié de la maladie, du handicap. L’enfant ne doit rien a ses parents. Il n’a pas de dettes vis-à-vis d’eux.

Ne confondons pas les proches et les professionnels de santé. La famille reste la famille ; chaque personne y a une fonction propre et surtout une place généalogique immuable dans son arbre de naissance. La relation parentale ne s’inverse pas quand nos parents vieillissent. Les aiguilles du temps ne reculent pas ! Les parents éduquent leur enfant au fil des ans, pour qu’ils sortent du giron familial, prennent leur autonomie, réalisent leur vie. C’est le sens propre du mot « éducation », qui signifie « conduire à l’extérieur… ». Cela implique des deuils, des frustrations des deux cotés, mais ce sont des frustrations qui font grandir. Comme le dit F. Dolto, « comme pour la fleur, la castration est toujours à recommencer pour l’être humain ». Soyons patient et acharné à notre développement personnel. A l’âge adulte, cela dépend de nous et pas des autres.

Dans un couple, chacun a aussi sa place ; sa place de compagne, d’épouse, ou d’époux. C’est une relation sexuée d’égal à égal entre deux personnes de sexes opposés le plus souvent. Si l’un des deux prend la place d’aidant pour l’autre ; il y a un risque de déséquilibre ; il y en a un qui risque de  donner plus que l’autre et ce n’est pas souhaitable dans un couple. Il y a un risque d’infantilisation, de changement de rôle, de prise de pouvoir. Ce qui est, bien entendu, pas aidant du tout, mais plutôt asservissant, enfermant. Celui qui aide l’autre risque de le prendre en charge, de faire à sa place. Ce comportement risque de lui voler son désir de vie, son désir d’aller mieux, de guérir, de se prendre en main et de développer ses propres capacités, ses propres ressources. Il y a un risque de grande dépendance et donc de maltraitance. Il est important de garder le lien, mais un lien de liberté, un lien de couple et non de devenir l’infirmier(e) de l’autre.

Je suis d’autant plus en colère et déconcertée qu’en tant que formatrice pour les professionnels de santé, je sais que 71% des auteurs de maltraitance sont les membres d’une même famille, plus exactement 37 % sont les fils, 23% les filles, 13% les conjoints, 3% les neveux et 7% les gendres et belles-filles.

Il y a aussi parfois de la maltraitance quand les équipes soignantes sont épuisées et que la souffrance des patients les renvoie à leur propre souffrance non explorée, non travaillée.

Et, il y a aussi B. Cyrulnik qui, lors du 41ème congrès national de l’Union Nationale des amis et famille des maladies psychiques (UNAFAM), nous rappelle qu’il y a quatre fois plus de dépression dans une famille dont un des membres est atteint de schizophrénie ou de la maladie d’Alzheimer.

Les médias et la politique sanitaire actuelle ne risquent t-ils pas de produire encore davantage de la maltraitance et de la violence aux personnes, s’ils placent la famille comme aidants en première ligne, et non comme famille souffrante et faisant ce qu’elle peut ? Pour moi, à les nommer « les aidants », il y a confusion de rôles et cela peut mener à l’épuisement, à la folie, à la mort parfois (suicide, mort prématurée du membre de famille qui aide…).

On ne sait plus qui aide qui, comment, pourquoi, à quel titre, dans quel cadre ? L’aide à autrui nécessite une formation longue, un savoir-faire et un savoir-être, et surtout une certaine distance affective, sans laquelle aucun soin n’est possible, ni psychologique, ni physique au sens professionnel du terme. L’être humain est complexe et il faut du temps pour le comprendre, surtout se comprendre soi- même.

Personnellement, j’ai aidé mes parents souffrant de maladies diverses pendant longtemps et dans la dernière année de vie de mon père, il y avait une telle tension quand je leur rendais visite, que la haine est montée en moi. J’ai failli frapper mon père. Cela a été la sonnette d’alarme, le moment de dire STOP. Je me suis progressivement détachée, j’ai appris à me protéger, à accepter mon impuissance ; ce n’est pas un processus facile, surtout pour l’infirmière que j’ai été pendant 16 ans.

J’ai quitté la blouse blanche mais pas le désir d’aider autrui et surtout pas celui d’avancer sur un chemin de liberté et de paix intérieure.

Si je veux aider autrui, c’est à moi de me mettre au travail en premier, c’est-à-dire de reconnaître l’autre comme une personne entière, différente de moi, libre de ses valeurs et de ses choix, et donc capable de développer ses propres ressources. Ainsi, en reconnaissant l’autre comme libre, je suis libre à mon tour, et je me replace à une juste place dans mes liens familiaux. Ainsi chacun continue à tisser des liens justes et nourrissants et à prendre soin de soi.

Et, si cette attitude était plus sage ? Aux niveaux national et collectif, je crois qu’il est urgent de mieux et plus former de professionnels de santé intervenant auprès des personnes âgées, des personnes souffrantes de handicap, à domicile, dans les établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou dans de petites structures, qui restent encore à créer. J’espère pouvoir y contribuer à la mesure de mes moyens.

Note

  1. Concours d’entrée AS. AP. Oral. Nathan. 2015

Bibliographie

  • L’image inconsciente du corps. F. Dolto. Ed . Seuil. 1994
  • La maturité dans les relations humaines : Bert Hellinger. Le Souffle d’Or. 2002
  • Transmettre un Evangile de liberté. C. Théobald. Bayard. 2007

Claire BAUDIN     Danse-thérapeute et formatrice en relation d’aidehttp://www.psycho-ressources.com/claire-baudin.htmlFacebook


Source : infirmiers.com