"Vis ma vie d’aide-soignante..." est une lettre ouverte adressée à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, par Nadia, une aide-soignante. Cette lettre n’est pas une plainte, c'est juste celle d’une soignante qui veut lui faire comprendre les difficultés rencontrées au cœur de l’hôpital, au cœur du soin. Ma vie d’aide-soignante, c’est ma vie. S'il est vrai que que parfois c’est difficile, qu’il m’arrive de pleurer, pour rien au monde, Madame, je la changerai
, écrit-elle. Une déclaration d'amour à sa profession et un hommage rendu à l'ensemble de ses pairs pour qu'enfin, ils soient considérés comme ils devraientt l'être.
Tous les matins je me lève, et je sais que je vais affronter une dure journée. Ma journée seras ponctuée aussi bien de moments joyeux, de fous rires avec mes collègues, que de moments douloureux. Chaque matin, je ne sais pas ce qu’il m’attend. Chaque matin, c’est un nouveau livre, un nouveau chapitre de la vie qui s’ouvre à moi. Mes journées sont parfois très longues et rythmées par le bruit incessant des scores et des respirateurs. Ces petits bips qui, quelquefoi restent dans ma mémoire et que j’entends encore le soir quand je m’endors. Quand j’arrive à mon travail, j’enfile ma blouse blanche et mes baskets, fini les Crocs, les jambes sont souvent malmenées et les pieds douloureux d’avoir trop marché , trop couru tout au long de la journée. Alors les baskets ça reste nécessaire. Une fois que j’ai enfilé ma blouse blanche, je prends le temps de faire une petite pause café parce que je sais qu'ensuite je ne pourrais peut-être pas avoir le temps de me poser.
Ma journée débute souvent par de grosses toilettes. Et oui Madame Buzyn, je n’ai que quatre patients, on pourrait croire que je suis une privilégiée, mais voyez-vous ces patients-là sont ce que l’on appelle dans notre jargon "des patients lourds". Souvent intubés, ventilés, avec des défaillances importantes qu’il faut suppléer avec des machines. Et là on rentre dans la technicité de l’hôpital où chacun a son rôle et ses compétences, mais où le binôme infirmier/aide-soignant est si important. Ma journée sera rythmée par des pansements lourds, des arrêts cardiaques, des entrées compliquées, des scanners, des I.R.M. et des sorties, soit par la grande porte, soit par la porte dérobée ou tout derrière est effacé.
Cette lettre n’est pas une plainte, cette lettre est juste celle d’une aide-soignante qui veut vous faire comprendre les difficultés rencontrées au cœur de l’hôpital, au cœur du soin.
Souvent, le soir lorsque je rentre chez moi, j’emporte ma fatigue et ma douleur, qu’elle soit physique ou morale. On n'est jamais préparé à la mort, et la mort est partout au sein de l’hôpital, des EHPAD... partout la mort rôde et peut hanter mes nuits et pourrir mes journées. Mais ma vie d’aide-soignante, c’est la vie de milliers de collègues, de milliers d’infirmières, de milliers de soignants qui, tous les jours, œuvrent pour le bien des malades, quels qu'ils soient. Oui, ma vie d’aide-soignante, c’est aussi celle de ma collègue qui travaille dans un service de gériatrie et qui doit effectuer 15 toilettes, voire plus sur des personnes n’ayant plus aucune autonomie. Elle doit porter, manipuler, avec souvent peu de matériel qui lui permettrait pourtant de ne pas se casser le dos, de ne pas se blesser. Un corps malade, un corps vieillissant, est un corps lourd, un corps qui a besoin de l’aide de tout ce personnel soignant. Nous devons repenser les soins, nous devons repenser l’hôpital en y mettant de l’humanité, de la chaleur et du réconfort. Nous devons penser à l’avenir et à cette prise en charge qui devient compliquée, qui devient maltraitante par manque de personnels et de matériels.
Notre métier, ma vie d’aide-soignante je l’ai choisie, je l’ai voulue, et c’est une vie que j’aime. Bien sûr que cela est difficile bien souvent à l’hôpital, mais il y a des moments de bonheur, surtout dans les maternités. La naissance d’un enfant est la plus belle chose au monde. Nous devenons adultes et nous vieillissons. Et la population est de plus en plus vieillissante. On ne meurt plus à 60 ans, mais à 90. Alors il faut réfléchir à une autre approche des soins, à une autre approche de la prise en charge de ces personnes âgées, à la prise en charge de nos malades. Ma vie d’aide-soignante se passe aussi au milieu des pleurs des familles, ces familles que je dois également prendre en charge. Ces familles que je dois rassurer avec mes mots... en prenant sur mon temps car c'est aussi de mission que de le faire. Mais ce temps, aussi important que le temps de soin, nous ne l’avons plus, et pourtant ce temps d’échange est important. Nous y apprenons tellement de choses et d’histoires de vie.
Cette lettre, Madame, est un cri du cœur, un cri pour une reconnaissance, pour une prise de conscience de la souffrance de toutes les aides-soignantes, infirmières, tout le personnel soignant confondu, qu’il soit ASH, agent administratif... et j’en passe ! Tout ce personnel qui œuvre pour le bien des malades, tout ce personnel qui doit être reconnu, aidé et qui ne doit pas continuer à devoir soigner en considérant le malade comme un objet de soin, mais comme une personne. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas et ce n’est surtout en aucun cas de leur faute.
Notre métier, ma vie d’aide-soignante je l’ai choisie, je l’ai voulue, et c’est une vie que j’aime, mais...
C’est en mettant en place des conditions de travail optimales que les soignants pourront retrouver leur place au sein de l’institution. Les soignants ne sont pas des numéros sur des fiches de paies, ce sont des humains qui travaillent avec des humains. Leurs salaires ne sont peut être pas non plus à la hauteur du travail qu’ils effectuent et de la tâche considérable qui leur incombe. L’histoire de la santé, l’histoire du soin, l’histoire de l’hôpital est l’histoire de chacun d’entre nous. C’est l’histoire d’une loi santé qui vise à la fin le soin public pour tous. Mais quand nous voyons nos collègues qui sont en grève depuis des mois dans les services d'urgence et la quasi indifférence des pouvoirs publics, il y a de quoi se poser des questions et craindre pour l’avenir, pour notre avenir et surtout celui de l’hôpital public.
Ma vie d’aide-soignante, Madame la ministre des Solidarités et de la Santé, vous pouvez venir la partager, je vous y invite, et vous ne vous ennuierez pas. N'’oubliez surtout pas de chausser vos baskets, car vous verrez qu’elles vous seront très utiles. Ma vie d’aide-soignante, c’est ma vie. S'il est vrai que que parfois c’est difficile, qu’il m’arrive de pleurer, pour rien au monde, Madame, je la changerai. Alors, ouvrez les vannes de la discussion, allez chercher les solutions non pas au fin fond d’un tiroir au sein d’un ministère, mais plutôt au sein même de ceux qui sont au cœur de tout, les soignants.
Nadia, aide-soignante. Ce billet a été partagé sur son compte facebook. Nous le reprenons à notre tour pour le faire voyager car telle est notre mission.
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