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Violences conjugales : porter plainte à l'hôpital, de la théorie à la pratique...

Publié le 06/09/2019

La généralisation du dépôt de plainte directement à l'hôpital pour les victimes de violences conjugales est une des mesures emblématiques présentées par le gouvernement lors de l'ouverture de son Grenelle dédié au sujet le 3 septembre dernier. Comment cette annonce va-t-elle être mise en application ? Qu'en pensent les professionnels du soin et en quoi vont-ils être impactés ?

La possibilité pour les femmes battues par leur conjoint ou ex-conjoint de porter plainter au sein d'un établissement de santé fait débat.

La possibilité pour les femmes battues par leur conjoint ou ex-conjoint de porter plainte au sein d'un établissement de santé fait partie des propositions "phares" annoncées par le gouvernement, mardi 3 septembre à l'ouverture du Grenelle contre les violences conjugales . Cependant, si les associations comme les professionnels de santé ont plutôt une opinion favorable quant à cette mesure, reste à la mettre en place et cela ne sera pas sans difficulté.

Quand une femme se rend aux urgences pour coups et blessures, c'est déjà suffisamment pénible. Si elle doit retourner chez elle avant de porter plainte, elle retrouvera son conjoint qui risque de la menacer, a expliqué le Premier ministre, Edouard Philippe. Cette solution, déjà expérimentée dans quelques lieux de soins, devrait donc se généraliser via des conventions conclues entre tous les commissariats, les gendarmeries et les hôpitaux, a indiqué le chef du gouvernement en évoquant une mise en oeuvre à partir du 25 novembre prochain.

Il ne s'agit pas d'augmenter ou surcharger le travail des soignants à l'hôpital, notamment dans les services d'urgence

Généraliser un dispositif existant de manière expérimental

Interrogée par France Info le 4 septembre, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a confirmé que le processus devrait être opérationnel dans les mois qui viennent. On va partir des expériences qui ont déjà été mises en œuvre pour voir comment le déployer partout en France, a-t-elle précisé. En effet, déposer plainte directement dans un établissement de santé est déjà possible dans de rares endroits. Les policiers ont la capacité de prendre des plaintes en dehors de leur bureau. Le but de cette annonce est qu'on puisse généraliser ce qui est aujourd'hui un peu exceptionnel, clarifie le directeur général de la police nationale Eric Morvan, également questionné par France Info.
Plus précisément, ce dispositif a déjà cours dans certains services d'urgence ou de très gros hôpitaux, souvent des CHU, qui ont signé des conventions avec les services de police, a indiqué la ministre de la Santé.

Cependant, Agnès Buzyn se veut rassurante : il ne s'agit pas d'augmenter ou de surcharger le travail des soignants à l'hôpital, notamment dans les services d'urgence. Hors de question de transformer des box aux urgences en pseudo commissariat de police. Cela doit être réfléchi et de façon protocolisé avec les soignants, a-t-elle martelé. Eric Morvan est du même avis. ll n'est pas question qu'un officier soit présent en permanence dans les établissements hospitaliers. Le chef de la police a souligné que le but sera de protocoliser le dispositif sur l'ensemble du territoire national et de faire en sorte que soient requises les conditions de confidentialité qui permettent le recueil de plainte. Selon la direction générale de la police nationale (DGPN), l'intérêt est de faire en sorte que des policiers puissent se déplacer sur demande. Il existe nénamoins des conditions particulières pour recueillir une plainte et c'est un peu la difficulté du sujet, estime Eric Morvan.

Par exemple, le CHU de Bordeaux fait partie des établissements où ce procédé est déjà mis en oeuvre dans certains cas. Les policiers font le déplacement uniquement lorsque le médecin légiste doit être saisi et à condition que l'état de santé de la victime (physique ou morale) ne lui permette pas de se rendre elle-même au commissariat.

Sur le principe c'est une très bonne idée, mais j'attends de voir comment ça va être organisé...

Une idée excellente ou une fausse bonne idée

A la maison des femmes de Saint-Denis, installée dans l'enceinte même d'un établissement de santé, des policiers spécialement formés s'y relaient afin d'enregistrer les plaintes des victimes d'excision et de violences conjugales et sexuelles. La fondatrice de ce lieu, Ghada Hatem, gynécologue, est favorable à la mesure. Pour elle, devoir se rendre au commissariat pour déposer plainte suscite énormément de freins. Souvent, la femme a peur, son mari lui a toujours dit "si tu portes plainte, je te tue !", elle a peur pour ses enfants aussi. Le plus important pour le professionnel de santé est que les policiers en charge soient correctement formés et que la procédure ait lieu dans un cadre rassurant. Un avis partagé par Anaïs Leleux, du Collectif #NousToutes : sur le principe c'est une très bonne idée, mais j'attends de voir comment ça va être organisé. Elle insiste également sur la formation des agents afin d'éviter qu'ils ne mettent en doute la parole des victimes, voire refusent de prendre en compte leur plainte - alors qu'ils sont pourtant tenus de le faire.

Pour François Braun, président de l'association des médecins Samu Urgences France, l'idée est bonne mais la mise en application nécessitera des adaptations locales. Les modalités pratiques divergent en fonction notamment de l'éloignement des lieux de soins par rapport aux commissariats. Par ailleurs, Valérie une infirmière interviewée toujours sur France Info, se montre, elle aussi, enthousiaste face à cette annonce : je pense que c'est une très bonne idée. Exerçant à l'hôpital Avicenne de Bobigny, elle travaille dans le service d'addictologie et se trouve malheureusement souvent confrontée à des victimes de violences conjugales. Une consultation sur douze, évalue-t-elle. On leur dit ce qu'il faut faire, on essaie de les diriger, on les encourage à porter plainte. C'est ce qui est le plus difficile, parce qu'il faut aller vers un autre lieu. Le temps de la réflexion, parfois elles ne vont pas jusqu'au bout de la démarche. Cependant, elle admet qu'une présence policière dans les locaux la dérangerait un peu.

En revanche, d'autres pensent que cette mesure n'est pas concevable. Christophe Rouget, le secrétaire général adjoint du SCSI-CFDT (syndicat des cadres de la sécurité intérieure) a exprimé son désaccord. Il n'est pas envisageable de recueillir une plainte dans un couloir des urgences. En effet, l'important est d'apporter le meilleur à la victime afin de lui assurer un rendez-vous et un accueil adéquat dans un commissariat, avec un psychologue et des gens formés pour bien la recevoir. Certains professionnel de santé sont aussi assez critiques sur ce changement de procédure. Frédéric Adnet, chef du service des urgences de l'hôpital Avicenne, s'est dit surpris lors du discours du Premier ministre : On n'a pas du tout été préparé à cette annonce. De plus, pour le praticien, soin et juridiction n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Nous ne sommes pas des auxiliaires de justice. Mais je ne pense pas qu'on va aller jusqu'à mettre une annexe du commissariat dans les urgences, c'est une fausse bonne idée.

Reste une question en suspens, ces mesures de protection à destination des victimes de violences conjugales ne semblent s'adresser qu'à des femmes... en tout cas les hommes victimes de leur conjointe ou ex-conjointe ne sont pas mentionnés dans ces annonces gouvernementales. L'association Stop Hommes battus affirme pourtant prendre en charge par teléphone quelque 700 appels d'hommes battus par an... Ainsi, les hommes concernés pourront-ils, eux aussi, bénéficier de cette possibilité de porter plainte à l'hôpital ?

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com