Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Vers un infirmier sans émotions ?

Publié le 04/01/2016
robot rouge

robot rouge

À la suite d'une formation dispensée au sein d'un service d'urgences, Agnès*, infirmière, fait part de son étonnement et de sa réflexion. Un infirmier doit-il réellement se comporter comme un robot face aux patients ?

Crédits photo : littlelostrobot - L'infirmier doit-il devenir un robot dénué d'émotions ?

Tout juste sortie d'une formation dispensée au sein du service d'urgences où j'exerce en tant qu'IDE, je suis stupéfaite du contenu de cette session. Tout le paradoxe de notre métier en est ressorti plus contrasté que jamais, avec une question qui demeure en suspens dans mon esprit. Un IDE reste-t-il un être humain doté d'émotions et de ressentis ou doit-il être froid, distant et mécanique ?

Durant deux journées, des formateurs nous ont expliqué en quoi consistait le poste d'IOA - Infirmier d'Accueil et d’Orientation - aux urgences. Ce poste stratégique évolue en amont du service de soins des urgences, et se charge de "trier" le flux de patients en établissant, grâce à une évaluation rapide et fiable, leur degré de gravité. Un IOA est donc confronté toute la journée à des gens en souffrance, douloureux, au pronostic vital engagé, des gens violents, agressifs ou exigeants. Les profils sont variés mais évoluent tous dans cet environnement anxiogène : les urgences.

Je ne peux qu'être irritée par ce qui est demandé par les formateurs présents. Ainsi, les IDE postés à l’accueil, se doivent de rester neutres en toute circonstance. Un patient agressif déverse sa haine sur vous ? Restez de marbre et laissez le vous éclabousser de sa hargne. Une famille exigeante ? Faîtes preuve de patience même lorsqu’elle tente de vous pousser à bout. Vous êtes le professionnel, vous vous devez de rester calme, serein, et ne montrer aucun signe de faiblesse. Face à ces déversements de colère, le référentiel de cette formation recommande également de limiter les signes dits « non verbaux » (crispation du visage, haussement des sourcils...) qui trahiraient nos sentiments. Ce tableau m’inspire un visage de poupée de cire, que rien ne fait vaciller, qui garde un sourire de circonstance inébranlable mais tellement irréel et surfait !

Néanmoins, les formateurs insistent sur le fait d’être disponible, à l’écoute et de faire preuve d’empathie pour cette population qui doit se sentir en sécurité, entendue et prise en considération. Faîtes donc preuve d’humanité en résumé. Quelle contradiction ! Ne rien laisser entrevoir de notre état de fatigue, notre moral, que sais-je, tout en manifestant de l’intérêt. Rappelons qu’un entretien d’accueil ne doit pas excéder 8 minutes, selon les recommandations de la SFAR, afin d’éviter que le service ne s’engorge. Petite précision d’importance : les urgences de l’hôpital dans lequel j’exerce peuvent parfois absorber jusqu’à 350 patients par jour. Tout ça dans un contexte de stress et de pression qu’est le SAU - Service d’Accueil des Urgences - où le pronostic vital peut rapidement être engagé et l’IOA a la responsabilité d’établir rapidement un diagnostic infirmier juste, efficace et sécuritaire.

Bien entendu, face à ce paradoxe, il ne nous est rien proposé pour nous aider dans cette tâche dantesque. « Vous vous sentez excédés ? Passer la main »... D’accord mais à qui? Notre chère ministre réduit les coûts et les postes ! « Vous êtes fatigués, sur le point de craquer face à un patient : restez de marbre, mettez-vous dans votre bulle. » Croyez-vous que cela soit facile à la fin d’une journée passée à courir entre accueil et zone de soins? Quels sont les moyens donnés aux équipes ?

Mais quand cesserez-vous, mesdames et messieurs les bureaucrates, les technocrates et politiciens, d’exiger l’infaisable aux IDE déjà forts mis à contribution, et ce dans tous services ? Ne vous rendez-vous pas compte de l’absurdité de vos recommandations ? Ne restons-nous pas des humains, pleins de failles, uniques dotés de sentiments? En quoi montrer un minimum d’émotions ou de ressentis nuirait-il à notre relation soignant-soigné ? Une attitude professionnelle est-elle incompatible avec une affirmation de ce que nous sommes sans la blouse blanche? Le coeur même de notre métier d’IDE, de soignant, passe par le contact que nous établissons avec nos patients. Et l’expression de ces échanges est bénéfique pour le patient et son IDE qui mérite d’être considéré lui aussi comme une personne et non comme un robot lisse dénué de sentiments, inébranlable. Plutôt que d’exiger des IDE de se métamorphoser en êtres programmés pour tout faire vite et bien, même l'impossible, interrogez-vous sur les moyens mis à disposition et sur la capacité des patients à comprendre toutes situations.

* Le prénom a été modifié.

Agnès Infirmière


Source : infirmiers.com