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MODES D'EXERCICE

Vaccination : entre problématiques et tympans percés

Publié le 18/01/2011

Suite du récit de voyage de Jérémie. Où la santé dépend du bon fonctionnement de l’électricité et des performances du vaccinateur !

Et voilà une belle journée ensoleillée qui commence. Une de plus ! Depuis maintenant plus d’une semaine que je suis présent dans la vallée, je découvre chaque matin, l’inlassable spectacle des falaises du Tsaranoro qui dominent majestueusement le paysage. Le soleil est déjà bien haut dans le ciel (il est debout depuis 5h30), et la température avoisine déjà les 25°C.

A 8h, sac sur le dos, je prends le chemin, non pas de l’école comme tous les enfants qui m’accompagnent, mais du dispensaire, qui se trouve un peu plus bas dans la vallée. Le chemin de terre rouge que j’empreinte quotidiennement, traverse le petit village d’Andonaka, puis les rizières fraichement labourées. Je traverse ensuite l’un des rares ponts de la vallée, celui qui traverse la rivière où dormiraient les crocodiles. Une dernière petite côte, suffisante pour faire suer, et me voilà presque arrivé sur mon lieu de travail.

Ce matin, en arrivant tranquillement, je constate au loin qu’une trentaine de personnes, sont assises devant le dispensaire. J’étais habitué à voir des patients attendre quotidiennement devant la porte avant son ouverture, le plus grand nombre des consultations se passant essentiellement les matins. Mais là, il y a anormalement trop de monde…  peut être y a-t-il eu un décès durant la nuit ?

J’accélère un peu le pas, et en me rapprochant, je m’aperçois que ce ne sont que des femmes avec leurs nourrissons dans les bras. Je tente de me frayer un chemin jusqu’à la porte du bureau. Irène, ma collègue infirmière, n’est pas là. Ça aussi, c’est inhabituel. Il faut reconnaitre qu’elle est bien plus ponctuelle que moi, je dois avouer avoir vite adopté le rythme malgache...

Soudain, la réponse à tout ce mystère me vient à l’esprit… Irène m’avait dit la semaine dernière : « Mardi prochain, nous recevrons peut être les vaccins ». Voilà ! ça doit être ça, y’a pas de doute même ! les vaccins sont arrivés. Je regarde par la fenêtre, les femmes ne cessent d’arriver par tous les chemins, occupant chaque petit coin d’ombre dans un calme des plus remarquables. Je suis impressionné par l’efficacité et la rapidité avec laquelle a circulé l’information : mieux qu’internet, on dirait ! Et Irène qui n’est toujours pas là…

La vaccination des populations dans des endroits si isolés, est l’un des problèmes majeurs de ce dispensaire. Les centres de soins ne peuvent se fournir en vaccins que pendant des campagnes de vaccination, qu’organise l’État Malgache. Ainsi, celui-ci avait annoncé fin de l’année dernière, une pénurie de vaccins jusqu’à février 2011. Il aura finalement pu être réapprovisionné avant ce qui était annoncé, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Par contre, aucun nourrisson n’aura été vacciné depuis novembre 2010, ce qui explique ce grand nombre de patients aujourd’hui. A cela s’ajoute une autre problématique, celle du stockage. L’Etat malgache interdit tout stockage de vaccins dans un réfrigérateur qui ne serait pas dans les normes. Le seul réfrigérateur homologué par l’Etat, serait un appareil uniquement en vente par l’Unicef. Business is business ? (ndlr : pas forcément ! les conditions de stockage des vaccins sont un des facteurs décisifs de leur efficacité ; l’État ne veut sans doute pas prendre le risque de prendre pour vaccinées des personnes qui ne le sont pas, alors qu’elles ont reçu l’injection).

Dans tous les cas, qui dit réfrigérateur, dit obligatoirement prise de courant et puissance suffisante. Le dispensaire du Tsaranoro est pourtant équipé en panneaux solaires, mais un problème de convertisseur empêche le chargement de toutes les batteries, produisant une puissance insuffisante de courant électrique pour y brancher un réfrigérateur. C’est donc toute une organisation !

Irène finit par arriver. Les vaccins ont été livrés ce matin, d’un autre dispensaire qui se trouve à 11km plus bas dans la vallée. Le temps d’épuiser les doses, les vaccins seront stockés chez nous dans une petite glacière électrique. Elle cherchait justement le câble de la glacière, qu’elle n’a finalement pas retrouvé… En l’espace de quelques minutes, nous dépassons déjà les 50 femmes qui attendant dans la cour. Certaines ont fait plusieurs heures de marche pour venir ce matin. Imaginant bien que la matinée sera longue, je demande à Irène comment, avec Pascaline (la sage femme), elles ont l’habitude de procéder.

Elle m’explique qu’elles appellent une à une les femmes avec leur bébé, qu’elles complètent les carnets de santé et pèsent les nourrissons, puis dans un deuxième temps, les rappellent pour vacciner les enfants. Je lui rappelle qu’aujourd’hui nous sommes trois, et qu’il faut donc en profiter ! Elles décident donc de changer leur organisation habituelle, c’est vrai qu’il y’a exceptionnellement beaucoup de monde aujourd’hui : Pascaline se charge de récupérer les carnets de santé en fonction de l’ordre d’arrivée et les met à jour selon les dernières vaccinations faites ou non.

Irène appelle la maman dans toute la foule, s’occupe de peser le nourrisson, et m’apporte le carnet dans la salle de soins. Quand à moi, eh ! bien, n’ayant pas besoin de parler malgache pour faire une piqure à un nourrisson qui ne parle de toute façon pas, les vaccinations seront donc pour ma pomme. Tout le monde semble content, hop hop hop ! c’est parti ! Petit briefing tout de même bien nécessaire, sur les différents vaccins, les zones d’injection et la préparation des doses après dilutions, et nous voilà prêts !

La journée déjà bien entamée, le premier bambin arrive vers moi, dans les bras de sa maman qui s’asseoit en face de moi sur un tabouret en bois. A bien y réfléchir, il s’agit d’une première, je n’ai encore jamais piqué de crevettes de cette taille au cours de ma carrière.

Mais après tout, il n’y a rien de plus compliqué que chez un adulte, non ? Alors je me lance, la première injection, un peu hésitant, un peu maladroit aussi, je cherche à être le plus délicat possible… Mais délicat ou pas, il s’en fout le môme ! de toute façon, il va pleurer, crier, et s’agiter. Et le problème, c’est que ca se débat de toute leurs forces, ces petites choses ! Pas évident à gérer avec une aiguille en main… Alors j’améliore très vite ma technique : bien maintenir les deux bras et la jambe en extension, et surtout, être beaucoup moins hésitant. Désolé p’tit bonhomme, ça va pas être agréable, j’espère que tu ne m’en voudras pas trop...

Les injections s’enchaînent. Je n’aurais jamais vu autant de bébés défiler devant moi. Et chacun y va de sa technique pour échapper très malicieusement au supplice. Il y’a ceux qui arrivent en gazouillant, pensant peut être me charmer avec des sourires angéliques et des petites bulles au bout des lèvres, mais il m’en faudra un peu plus, petits malins… certains arrivent déjà en pleurant, traumatisés par la pesée. Ça ne sera pas assez dissuasif non plus! D’autres auront même essayé la technique du « pipi en jet », mais n’auront heureusement visé que mes pieds.

Le schéma vaccinal est simple :

  • L’injection d’une dose de BCG en intradermique, dans l’avant bras gauche, à maximum 1 mois et demi.
  • L’injection d’une dose d’anti Diphtérie, Tétanos, Coqueluche, Hépatite B, Méningite, (tout dans le même vaccin) en intramusculaire dans la cuisse. Première dose à 1 mois et demi, puis une dose à 2 mois et demi, et une dernière à 3 mois et demi.
  • 2 gouttes de vaccin perOs, anti poliomyélite, avec le même schéma que précédemment.
  • L’injection d’une dose de vaccin anti rougeole en sous-cutané, à l’âge de 9 mois.
  • La campagne prévoit aussi de vacciner les femmes enceintes avec 5 doses de vaccins antitétaniques, dès leurs premiers mois de grossesse, répartis sur 2 ans.

Les vaccinations s’enchaînent dans un rythme d’usine. Quelques regards furtifs dans la cour me donnent l’impression que l’attente ne désemplie pas, il ne reste pas un coin d’ombre de libre. Mais nous finissons par vacciner tous les enfants en fin de matinée, avec l’aide de Pascaline venue en renfort.

Plus de 90 bébés seront vaccinés ce matin, les 90 auront évidement pleuré... Le bilan me concernant : 74 bébés vaccinés en 4h.  Je ne sais pas s’il faut parler de performance, à voir peut être dans le Guinness, mais je n’imagine pas enchaîner autant d’injections de si tôt. Une matinée qui restera donc mémorable.

Le dos en compote, les tympans probablement percés par tous ces cris stridents de bambins traumatisés par mes aiguilles, je suis -pour la première fois- bien content de rentrer me reposer ce midi. J’ai toujours apprécié mes passages en pédiatrie, mais je dois admettre qu’aujourd’hui, les bébés, j’en ai (moi aussi) eu ma dose.

Jérémie THIRION
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Source : infirmiers.com