Rémunérer les hôpitaux pour réorienter vers la médecine de ville certains patients arrivés aux urgences, voici ce que prévoit un amendement d’ores et déjà adopté le 17 octobre dernier à l’Assemblée nationale. Proposé par Olivier Véran, rapporteur du PLFSS 2019 et député LREM, le texte est loin de faire l’unanimité auprès des acteurs concernés.
Dernière minute 30 octobre 2018- Le forfait de rémunération pour les services d'urgences a été adopté par les députés lors de l'examen en première lcture du PLFSS 2019 vendredi 26 octobre. Olivier Véran a toutefois modifié le texte. Cette initiative sera expérimentée pendant trois ans avec les établissements volontaires. Si certains politiques sont restés perplexes, Agnès Buzyn a soutenu cette mesure et affirme regretter qu'elle amène à toutes les caricatures
.
Mise à jour le 26 octobre 2018- Suite aux nombreuses critiques concernant la prime de réorientation, le député Olivier Véran s'est exprimé sur RMC où il a déclaré qu'il proposerait de modifier l'amendement concernant cette initiative. Il s'agirait à présent d'une expérimentation qui n'impliquera que les établissements de santé volontaires.
A voir aussi l'interview de Thomas Mesnier sur France 24.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’adoption de l’amendement n°659 par la commission des Affaires Sociales n’est pas passé inaperçu. Et pour cause, payer les établissements de santé pour qu’ils "envoient" des patients consulter en ville ou ailleurs à l’hôpital afin de désengorger les urgences c’est une proposition qui peut paraître originale mais qui prend tout son sens. Elle a notamment été instaurée dans d’autres pays avec un succè qui n’a jamais été démenti
assume Olivier Véran. Le député LREM, à l’origine du texte, a su convaincre mercredi 17 octobre.
Certes, les urgences sont surchargées, bondées, saturées, les équipes médicales et paramédicales sont mises en grande difficulté
, rappelle le rapporteur. En effet, 23 millions de patients par an sont accueillis aux urgences, un chiffre qui croît de 2% à 3% chaque année depuis 15 ans. D’après les études, on estime que 25-30% des patients ne relèvent pas des urgences, c’est-à-dire qu’ils sortent des établissements sans avoir eu d’examens complémentaires
. Apparemment, ce serait 6 millions des personnes qui ne devraient pas arriver aux urgences. Quiconque a fait l’expérience des urgences verra un personnel dévoué mais aura patienté plusieurs heures sur les brancards
, rappelle le député. En outre, un patient coûte en moyenne 160 euros à la sécu
, martèle-t-il.
Actuellement, des maisons de santé pluridisciplinaires ou des centres de soins urgents non programmés en ambulatoire se mettent en place pour proposer une alternative aux urgences. « Mais le système de financement actuel, à l’activité, n’incite pas les établissements de santé à réorienter les patients ou à travailler davantage avec ces structures. J’ai moi-même rencontré des urgentistes ou des infirmiers d’accueil qui m’expliquaient que de demander à un patient atteint d’une otite d’aller se présenter à la maison de santé à 500 m, c’était se tirer une balle dans le pied car c’est un cas qui ne prend pas beaucoup de temps aux équipes mais qui rapporte en therme d’activité », argumente le rapporteur. Pour appuyer ces propos, Olivier Véran cite l’exemple d’un hôpital qui a développé dans ses urgences pédiatriques une structure de consultation externe dans laquelle exerce des pédiatres et des médecins généralistes libéraux
. Résultat, sur les 30 000 enfants par an accueillis en moyenne, 5000 d’entre eux ont été réorientés et pris en charge sans délai
. Cependant, l’Assurance Maladie a payé pour les consultations médicales de garde mais plus le forfait des urgences vu qu’elles n’ont pas effectué de soins. L’établissement aurait donc perdu, de fait, 400 000 euros Il faut donc casser ce cercle qui n’est pas vertueux
.
J’ai moi-même rencontré des urgentistes ou des infirmiers d’accueil qui m’expliquaient que de demander à un patient atteint d’une otite d’aller se présenter à la maison de santé à 500 m, c’était se tirer une balle dans le pied
Deux forfaits pour limiter l’affluence aux urgences et le renoncement aux soins
Pour pallier ce problème, l’amendement prévoit de créer un forfait de réorientation (entre 20 et 60 euros par patient) où les cas sans gravité pourront repartir avec un rendez-vous médical en ville ou à l’hôpital dans un délai court. En parallèle, si la personne est tout de même prise en charge par le service, l’hôpital ne percevra plus le forfait urgence classique pour une admission (de l’ordre d’une centaine d’euros) mais touchera une prime inférieure pour une consultation spécialisée
.
Pour éviter une hausse potentielle du renoncement aux soins, le reste à charge sera supprimé pour les personnes réorientées vers la médecine de ville. De plus, les patients concernés pourront toujours refuser cette option et demeurer aux urgences pour y être soignés.
Un malade vu par un agent ou un soignant qui n’a pas le temps de l’examiner va être réorienté en ville et là on se rendra compte que c’est une femme en train d’avoir un infarctus du myocarde
Un amendement qui pose des problèmes au niveau organisationnel et éthique
Cette proposition avait déjà reçu l’aval d’Agnès Buzyn, le 10 octobre, lors de son audition par la commission des Affaires Sociales : Je vous confirme l'intention du Gouvernement de proposer une mesure incitative à la bonne orientation des flux d'urgences par la création d'un forfait de réorientation qui pourrait être pris en charge complètement par l'Assurance maladie
. Elle a donc déclaré être favorable à toute initiative en ce sens
. Lors de la présentation du dit amendement, Olivier Véran a également reçu le soutien et même les remerciements du député Thomas Mesnier pour avoir su parfaitement cerner le problème
. Il est vrai qu’en tant que médecin urgentiste et pour être l’auteur du rapport sur les soins non programmés, le député connaît bien le sujet
. Le biais provoqué par le financement à l’activité des services d’urgences est criant
a-t-il ajouté.
Toutefois, certains politiques se sont montrés plus critiques, comme Jean-Pierre Door, député LR qui juge l’amendement difficilement applicable étant donné la démographie médicale actuelle. Le diable se cache dans les détails. Pour orienter les patients, il est absolument nécessaire d’avoir les garanties d’une prise en charge en ville, or, vous connaissez l’état actuel de la démographie de la médecine de ville
. Quant à Jean-Louis Touraine (LREM), il pose une question de taille : qui prendra la responsabilité d’une réorientation ? Selon lui, il est nécessaire que ce soit un médecin : un malade vu par un agent ou un soignant qui n’a pas le temps de l’examiner va être réorienté en ville et là on se rendra compte que c’est une femme en train d’avoir un infarctus du myocarde qui n’était pas manifeste
. En effet, certains symptômes ne sont pas évidents
à analyser. Par ailleurs, Francis Vercamer, député du Nord, pointe l’importance du diagnostic rappelant la récente et tragique affaire Musenga
.
D’autre part, plusieurs députés se sont montrés réticents pour des raisons éthiques. Jean-Pierre Door, notamment s’est dit choqué car la réorientation, c’est aussi une forme de renvoi. Ce n’est pas la mission du service public
. Un avis en partie partagé par le député communiste des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville qui pense que cela va augmenter le taux de renoncement aux soins. Les équipes sont formées pour accueillir tout le monde. Là, vous modifiez la philosophie de l’accueil au sein des services d’urgences
.
La réorientation, c’est pour "la petite bobologie"
Des attaques auxquelles Olivier Véran a tenu à répondre. La réorientation, ce n’est pas mettre à la porte un patient. C’est une équipe qui prend son téléphone, qui trouve un rendez-vous précis avec un médecin dans un délai court. Le patient n’est pas livré à lui-même
. Quant à la pose du diagnostic par un médecin, l’intéressé n’exclut pas le recours aux paramédicaux. Dans un cadre protocolisé ce serait un infirmier ou une infirmière peut-être même de pratique avancée qui sera amené à voir un patient à l’accueil des urgences pour un diagnostic évident
. Par ailleurs, le député souligne que les cas réorientés se limiteront à la petite bobologie comme une entorse ou une otite
. On est à 10 000 lieux de ce qui s’est passé à Strasbourg
, ajoute-t-il. Enfin, il ajoute qu’il est prévu dans le texte que le dispositif devra faire l’objet d’une évaluation avant l’échéance d’une période de deux ans.
Les professionnels de santé en colère
Inutile pour certains d’attendre cette date pour juger de l’efficacité de cette initiative. Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et membre de CGT-Santé a réagi sur FranceInfo : Quand vous avez un médecin traitant qui vous dit qu’il est débordé et qu’il ne peut vous voir que dans les 48 heures, ce n’est pas possible l’urgence : c’est dans la journée
. Il a également commenté l’article d’Hospimedia où il précise que pour lui le problème est ailleurs : l’encombrement est lié aux patients en attente d’examens complémentaires et surtout à ceux qu’il faut hospitaliser et qui attendent des lits
. Toujours sur Hospimédia, le président de la Fédération des Cliniques et Hôpitaux Privé (FHP), Lamine Gharbi, a aussi dénoncé cette mesure.
Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui ont manifesté leur incompréhension et leur mécontentement. C'est bien de vouloir "corriger les effets négatifs de la T2A". Mais ne faut-il pas s'attaquer à cette usine à gaz plutôt que d'aligner les rustines pour lui permettre de continuer à nuire ?
, se demande une internaute. Pour cela il faut faire un interrogatoire médical confidentiel, voire un examen clinique minimal pour s’assurer de l’absence de pathologie grave évolutive... (on rappellera à cet égard que la patiente décédée à Lyon s’était présentée pour une
otite) Cette mesure reflète la parfaite méconnaissance de l’exercice réel aux urgences…
, argumente un autre médecin urgentiste sur Twitter. C'est beau tout ça, mais cela ne va pas résoudre le problème des patients qui s'entassent sur les brancards aux urgences parce qu'on manque de lits, de services d'aval d'urgence…
, conclut une interne.
En tout cas, si le dispositif est évalué d’ici deux ans, les chances que des infirmiers de pratique avancée se chargent de la réorientation sont bien minces vu que les premiers entrent en formation dés maintenant et… pour deux ans. Et vous qu’en pensez-vous ? Prendriez-vous cette responsabilité de réorienter un patient se présentant aux urgences de votre établissement ? Ou êtes-vous de l’avis de Jean-Louis Touraine ? On attend vos réactions...
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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