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ETHIQUE

Une infirmière bientôt docteur en philosophie...

Publié le 07/09/2015

Alors que les sciences infirmières tentent une timide progression en France, une soignante contribue à leur émergence par son engagement dans la recherche et la prise en charge de la douleur de l'enfant. Cette femme, c'est Bénédicte Lombart. Infirmière puis cadre à l'hôpital Armand Trousseau (AP-HP), elle achève une thèse en philosophie pratique et éthique hospitalière. Un parcours qui lui permettra d'accéder au poste de coordinatrice paramédicale de la recherche en soins dès novembre prochain. Portrait.

Un long parcours au profit du bien-être de l'enfant

Bénédicte Lombart, 45 ans, se destine à une carrière d'enseignante chercheuse en sciences infirmières.

La prise en charge de la douleur en pédiatrie... Cette problématique n'a eu de cesse de toucher Bénédicte Lombart dès le début de sa carrière. Infirmière depuis 1991, elle intègre le service d'oncohématologie pédiatrique de l'hôpital Armand Trousseau, à Paris, dès sa sortie de l'institut de formation en soins infirmiers (IFSI). Très vite, elle s'aperçoit que ses trois ans de formation n'ont pas suffi à la préparer face à la souffrance de l'enfant. Toutefois, elle ne s'avoue pas vaincue pour autant. J'ai été confrontée à des choses très difficiles, à la fois d'un point de vue technique mais aussi en termes d'accompagnement. J'ai trouvé auprès de mes collègues du soutien pour acquérir les compétences infirmières qu'il me manquait. Mais j'avais le sentiment d'avoir besoin d'outils supplémentaires pour mieux répondre à la détresse psychique des enfants et de leurs familles. Le début d'un long et intéressant parcours qui fera d'elle une experte dans la prise en charge de la douleur physique et psychique de l'enfant. J'ai d'abord fait une formation sur deux années en enrichissement des interventions en soins, soit l'équivalent des études d'infirmière clinicienne. Ces deux ans lui permettent d'acquérir des compétences supplémentaires dans la relation d'aide, l'accompagnement de la pathologie grave et du deuil, ainsi que des méthodes psycho-corporelles (la relaxation, la sophrologie…). Mais elle n'en restera pas là... Assez vite j'ai eu envie de compléter ce premier cycle par une seconde formation très orientée sur les techniques psycho-corporelles. Je sentais qu'elles représentaient pour l'enfant un moyen efficace de reprendre un espace de liberté durant son hospitalisation et de réinvestir son imaginaire malgré l'univers difficile de la maladie. Rapidement, ses compétences, reconnues par l'ensemble de ses collègues, la conduisent à accompagner les enfants lors d'actes invasifs tels que les ponctions lombaires et myélogrammes. Après environ neuf ans d'exercice en oncohématologie pédiatrique, elle devient cadre en ORL puis dans le centre de lutte contre la douleur de l'hôpital pédiatrique. C'est le poste auquel j'aspirais dès mon entrée à l'école des cadres car ma motivation initiale était avant tout de développer une expertise en soins, plus que le management. Cette période marquera le début de sa collaboration avec l'association Sparadrap, pour qui elle assure une formation en gestion de la douleur de l'enfant, mais aussi avec Pediadol dont elle est la trésorière depuis maintenant 15 ans.

J'avais le sentiment d'avoir besoin d'outils pour répondre à la détresse psychique des enfants et de leurs familles.

La « cécité empathique transitoire » : un concept pour mieux comprendre les soignants

Pour Bénédicte Lombart, le rôle du soignant, face à la douleur de l’enfant, est de mettre en place l’ensemble des stratégies médicamenteuses, mais c’est aussi d’être capable de l'amener à puiser dans ses propres aptitudes pour y faire face. La meilleure manière de faire, selon moi, consiste à s'appuyer sur les compétences de l’enfant. Il faut sans cesse se demander « de quelles façons puis-je accompagner l'enfant pour qu'il soit en mesure de trouver ses propres solutions face à la douleur ? » Il s’agit de toujours garder à l'esprit le fait que nous sommes là pour aider l’enfant à découvrir ses propres stratégies, pour penser avec lui et non pas à sa place. C'est ce qui m'anime depuis le début de ma carrière. Une carrière qui la destine à un parcours universitaire puisqu'elle suit ensuite un master, puis un doctorat en philosophie pratique et éthique hospitalière avec le concours de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris. L'AP-HP donne l’opportunité à des infirmiers titulaires d’un master 2 de candidater pour être rémunérés durant les trois années de formation doctorale. Les candidats doivent présenter un sujet de recherche directement lié à la problématique des soins infirmiers. Après une première approche quantitative en 2011, Bénédicte décide de mener une étude réflexive et philosophique sur l'usage de la contention forte lors des soins en pédiatrie. Cette recherche lui permet d'identifier et de mettre en exergue un concept novateur : la cécité empathique transitoire. J'ai tenté de comprendre le phénomène de la contention forte lors des soins du point de vue des soignants. Quand on leur demande de parler de leur métier, ils mettent en avant la vulnérabilité de l'enfant ainsi que leur empathie envers lui. Mais quand on les interroge au sujet des situations de soins qui se passent mal, en particulier lorsqu'ils doivent maintenir l'enfant de force, on s'aperçoit alors que ce dernier disparaît du discours. C'est un peu comme si l'infirmier mettait entre parenthèse son empathie le temps de la contention et que l'enfant disparaissait de son radar émotionnel. Est-ce un moyen pour lui de se protéger ? Pour quelle(s) raison(s) fait-il abstraction de son empathie ?

Bénédicte l'explique en évoquant notamment la double contrainte qui s’exerce sur les infirmiers en pédiatrie. Prendre soin tout en faisant les soins. Les soignants sont confrontés à un dilemme : ils doivent à la fois faire preuve d’empathie envers l’enfant et ils ont en même temps l’obligation professionnelle d'assurer le soin. L'infirmier est alors lui-même contraint de contraindre. Un lourd poids pèse sur le professionnel qui désire effectuer son soin de la meilleure façon possible. Et « bien faire le soin » c'est avant tout « faire le soin ».  L’espoir en proposant le concept de « cécité empathique transitoire », est d’instaurer un débat autour d’une pratique relativement fréquente et banale en pédiatrie. Ce concept peut aider les soignants à penser une pratique encore taboue en France. Et d'ajouter : J’espère avec ce concept, pouvoir les aider à récuser la fatalité de l’usage de la force pour réaliser le soin. Permettre aussi de trouver des alternatives, pour inverser le mouvement, pour rejoindre l’univers de l’enfant avec de la distraction, en faisant tout simplement des bulles de savon par exemple,  pour éviter de l’immobiliser dans notre univers médical. C'est  surtout autoriser les soignants à se sentir légitimes de suspendre un soin qui se passe mal, plutôt que de le poursuivre

Il s’agit de toujours garder à l'esprit le fait que nous sommes là pour aider l’enfant à découvrir ses propres stratégies. C'est ce qui m'anime depuis le début de ma carrière.

Vers une carrière universitaire

Aujourd'hui, Bénédicte fait partie des neufs (bientôt dix) doctorants financés  par l'AP-HP. Les pouvoirs publics reconnaissent de plus en plus la nécessité de développer la recherche infirmière en France et l'Assistance Publique soutient depuis quelques années les infirmiers qui désirent s'y investir. La mutation est en cours. Le déclic s’est produit. Je crois que tout le monde a enfin pris conscience de l'importance de la recherche infirmière. On commence à comprendre que les thèmes abordés par les infirmiers sont extrêmement précieux pour la qualité des soins. Pourtant, bien que les sciences infirmières soient très développées en Angleterre, aux États-Unis, au Canada et en Suisse, elles peinent encore à trouver leur place en France. Or les infirmiers français s'y sont intéressés depuis de nombreuses années. Il y a toujours eu des infirmiers doctorants. Il existe un réseau actif dans la recherche infirmière qui s'appelle Residoc, en lien avec l'association de recherche en soins infirmiers (ARSI), qui réunit des infirmiers docteurs en science ou doctorants. La diversité des domaines de recherche des membres du réseau (bio statistiques, santé publique, sciences de l’éducation, sociologie, ou encore philosophie) participe à la richesse de la réflexion professionnelle. D'ailleurs, il faut rappeler que l'ASRI a déjà  32 ans d’existence. Ce qui fait défaut aux sciences infirmières c'est le manque d'organisation et de financements. Malgré cela, Bénédicte n'en démord pas. La doctorante compte bien promouvoir la recherche en soins infirmiers à l'AP-HP. A partir du 1er novembre prochain j'assurerai un poste de coordinateur paramédical de la recherche en soins. L'objectif de l'AP-HP est d'en avoir un dans chaque groupe hospitalier. Il s’agit de fédérer les compétences et les ressources déjà nombreuses mais un peu isolées. Un poste qu'elle n'assurera qu'à temps partiel afin de s'orienter peu à peu vers l'enseignement universitaire. Je ne veux pas être trop « embolisée » par des missions institutionnelles, au contraire, je souhaite garder une démarche de réflexion et de recherche. Pour ça, je dois rester attachée à mon laboratoire de recherche (LIPHA, EA 7373 Paris-Est), et poursuivre mon questionnement philosophique en lien avec l’école éthique de la Salpêtrière dont je suis issue, et cela demande du temps. Mon projet est de monter un dossier pour passer une qualification et devenir enseignant chercheur à l'université. Ainsi je serai en mesure de mener mes propres travaux. En attendant, l'infirmière philosophe espère que l'intérêt pour la recherche augmentera de plus en plus chez ses pairs. Une façon de placer le patient au cœur d'une prise en charge qui ne cesse de s'améliorer.

La mutation est en cours. Le déclic s’est produit. Je crois que tout le monde a enfin pris conscience de l'importance de la recherche infirmière.

Gwen HIGHT  Journaliste Infirmiers.comgwenaelle.hight@infirmiers.com@gwenhight


Source : infirmiers.com