Reconnaissance. Le mot sonne comme une requête, récurrente et douloureuse, de la profession infirmière à destination de ses tutelles. Faire évoluer la profession, valoriser ses compétences, en étendre le champ afin de fluidifier les parcours de soins des patients, considérer les infirmiers comme des professionnels de santé à part entière et non plus comme des auxiliaires médicaux... voici en substance ce qu'il ressort de la "Grande Consultation nationale" - et ce n'est pas une surprise - menée par l'Ordre des infirmiers en France métropolitaine et dans les départements d’Outre-mer et présenté à Agnès Buzyn sous la forme d'un "livre blanc".
Alors que l'hôpital public vit l'une de ses plus grandes crises , majeure, profonde, que les professionnels de santé sont essorés, dépassés, désespérés, les solutions au malaise tardent toujours à venir. Des moyens sont réclamés, tant matériels qu'humains, et la reconnaissance des compétences métiers également. La profession infirmière est dans la tourmente et le malaise tourne au collapsus. Les différentes enquêtes menées sur le sujet en attestent : les infirmier(e)s ont le blues, épuisés "de porter à bout de bras le système de santé français". L'heure est donc plutôt bien choisie pour "reconnaitre la contribution infirmière" en la matière, reconnaissance argumentée par la remise du Livre blanc de la profession infirmière à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, fruit d'une Grande Consultation infirmière nationale menée par l'Ordre national des Infirmiers (ONI) cette année en France métropolitaine et dans les départements d’Outre-mer.
Pour mener à bien cette Grande Consultation, l’ONI a organisé 15 forums régionaux pour permettre aux infirmier(e)s de venir exprimer le quotidien de leur exercice et faire leurs propositions d’élargissement du rôle infirmier. C’est en effet du terrain et de la diversité de nos pratiques que peuvent émerger les propositions partagées
pour faire évoluer la profession
, a déclaré Patrick Chamboredon
, Président de l'ONI, lors de la présentation officielle du Livre blanc de la profession infirmière, le 13 novembre dernier.
Prendre le pouls de la profession... porter la parole de toute une communauté... L'heure est plutôt bien choisie pour "reconnaitre la contribution infirmière au système de santé"
Les Forums Régionaux - Grande Consultation Infirmière : synthèse en vidéo
Un champ de compétences élargi mais insuffisamment reconnu juridiquement et financièrement
Près de 4000 infirmiers inscrits aux forums régionaux, 20 000 répondants en ligne
- 58% de salariés (publics et privés), 38% de libéraux, 2% mixte (salarié + libéral) - l'initiative menée par l'ONI était inédite et a donc porté ses fruits. Pour le Président de l'Ordre, ce succès nous oblige à porter haut et fort la voix d'une profession aujourd'hui en détresse
. Et de s'interroger :pourquoi une profession de santé aussi nombreuse, aussi indispensable au maintien de l'édifice qu'est notre système de santé peine-t-elle autant à se faire entendre ?
Il en va de la reconnaissance des infirmiers dont le carcan réglementaire fige les compétences reconnues et ne permet pas de s'adapter efficacement aux évolutions des besoins des patients et des techniques. Patrick Chamboredon s'engage sur la voie de cette reconnaissance autant souhaitée que nécessaire : notre contribution à l'accès aux soins, à l'amélioration de la santé de tous comme au progrès social dans son ensemble doit être reconnue à la hauteur de son apport. De fait, investir dans les soins infirmiers contribuera intensément au développement rapide, rentable et de qualité des soins de santé universels. C'est ce message que je m'engage à porter auprès de l'ensemble des décideurs
.
C’est en effet du terrain et de la diversité de nos pratiques que peuvent émerger les propositions partagées pour faire évoluer la profession. Patrick Chamboredon
Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, l'a affirmé lors de l'entretien donné au Président de l'Ordre national des Infirmiers alors qu'il lui remettait le "Livre blanc de la profession infirmière" le 8 novembre dernier : il est vrai que les infirmières et les infirmiers lors de la sortie de la feuille de route Ma Santé 2022
n'ont pas vu leur place parce qu'en fait Ma Santé 2022 ne traite d'aucune profession en particulier. En réalité, la place des infirmier(e)s est évidente, aussi centrale que celle des médecins, des sages-femmes, des pharmaciens ou des kinés... Les infirmier(e)s sont totalement présents dans Ma Santé 2022 et sur tous les territoires. Il n'y aucune inquiétude à avoir (...) Cette profession est centrale dans notre système de santé, elle est adorée par les Français, très respectée, elle crée du liant, elle se déplace beaucoup notamment au domicile du patient. Elle crée donc une proximité et je veux user de cet atout pour améliorer la qualité des soins, la santé des Français et utiliser cette force pour faire encore mieux dans les années qui viennent
.
Les différentes évolutions et montées en compétences des infirmier(e)s dans leurs champs d'exercice distincts ne passeront pas nécessairement toutes par un diplôme de grade master, mais ce sont des évolutions que je souhaite pousser. Agnès Buzyn
26 propositions pour un exercice renouvelé et reconnu de la profession infirmière
La profession infirmière avait été invité à réagir à cinq grands thèmes : consultation et examen clinique, prescription, soins, prévention et éducation pour la santé, statuts. 26 propositions émergent de ces thématiques à l'issue de cette consultation. Les 6 premières portent sur la reconnaissance pleine de la consultation infirmière. On le sait, en effet, ces consultations existent déjà, parfois depuis longtemps dans les services de soins, mais peinent toujours à être valorisées. Elles pourraient pourtant représenter une réelle valeur-ajoutée dans le parcours patient pour des patients chroniques en phase aiguë ou suivis au long cours (proposition 1), dans le cadre du maintien à domicile (proposition 2), en sortie de chirurgie ambulatoire (proposition 3), à destination des patients traités par anticancéreux oraux à domicile (proposition 4) , dans les maisons de santé pluridisciplinaires et structures coordonnées avec un recours de l'infirmier en 1ere ligne (proposition 5)ou pour organiser des visites d'information et de prévention pour les infirmiers de santé au travail. Il s'agit là, pour le Président de l'Ordre de valoriser l'exertise clinique de l'infirmier, son regard et son écoute particulière pour une meilleure prise en soins des patients
.
Cinq autres propositions (22 à 26) visent, dans le même esprit, à créer un environnement favorable à la pleine reconnaissance de l'exercice infirmier. Patrick Chamboredon le revendique, il faut aujourd'hui considérer l'infirmier comme un professionnel de santé à part entière et non plus comme un simple auxiliaire médical, ce qui est très réducteur au regard des compétences déployées
.
L'élargissement des prescriptions par les infirmiers fait également l'objet de 5 propositions (7 à 11) : matériel nécessaire à l'autonomie du patient (lit médicalisé, déambulateur...), réalisation d'actes de soins des plaies aiguës (produits, dispositifs médicaux, fréquence er durée des actes), actes biologiques pour les patients chroniques (HbA1c, INR...) et renouvellement et adaptation des traitements, antalgiques dans le cadre de la lutte contre la douleur et des soins palliatifs). Il y a cohérence dans ces propositions qui visent toutes à améliorer, fluidifier l'accès aux soins des patients.Lorsque je fais une toilette le week-end sans prescription médicale, le médecin m'envoie la prescription le lundi. Nous n'allons pas laisser le patient sans soin. Avons-nous rellement besoin de cette prescription ?
s'interroge un infirmière lors du Forum dans les Haut-de-France.
Elargir le domaine de compétence des infirmiers n'a qu'une finalité : renforcer la qualité des soins délivrés. Là encore 6 propositions (12 à 17) vont dans ce sens : ouverture et valorisation de la télésurveillance et téléexpertise aux infirmiers pour le suivi des patients chroniques ou des plaies, prescrire et administrer des compléments nutritionnels après évaluation ou poser et retirer la sonde urniare sans prescription médicale.
Le président de l'ONI l'a rappelé, il faut nécessairement faire évoluer la profession et dialoguer en toute intelligence et bienveillance avec les autres professions de santé. Alors que les besoins en santé explosent, de nombreux infirmiers se retrouvent tiraillés entre le respect du cadre juridique de la profession et la nécessité de garantir aux patients un soin de qualité. Ce dilemme est à la source d’une forte perte de motivation des professionnels infirmiers. S'ils sont de plus en plus contraints de pratiquer ces "glissements de tâches", c’est parce que le contexte de restriction financière et de démographie médicale fortement déficitaire le leur impose. Ce n’est pas par choix.
Il en va pour preuve que 69% des infirmiers déclarent administrer aux patients de manière quotidienne un médicament sans prescription médicale et 61% des infirmiers déclarent adapter, de manière quotidienne et de leur propre chef, la posologie de traitement... Faire évoluer le cadre réglementaire des professionnels est une nécessité pour se rapprocher des réalités rencontrées sur le terrain et garantir ainsi aux patients un soin de qualité.
Nous devons sortir d'une logique d'actes et défendre une logique de compétences - Patrick Chamboredon
Le rôle clé à développer en matière de prévention et d'éducation à la santé fait l'objet de 4 propositions (18 à 21). Comme il est souligné dans le Livre blanc, la prévention en matière de santé est l’un des défis majeurs d’une politique sanitaire encore trop centrée sur le curatif. Si l’on veut renverser cette logique et investir de manière décisive dans la prévention, c’est vers les infirmiers qu’il faut se tourner, d’autant qu’ils sont présents à tous les stades de la vie
. Les infirmiers, notamment à domicile, en sont les premiers convaincus, eux qui sont souvent les premiers en contact avec le patient, qui détectent et alertent sur les premiers signes de la maladie. Et en matière de prévention et d'éducation à la santé, le champ est large. Pour Patrick Chamboredon, les infirmiers contribuent à l’information en matière de santé tout au long de la vie par leur rôle de conseil aux patients. Ils promeuvent les comportements favorables à la santé, notamment en matière de lutte contre les addictions, de nutrition et de vaccination. Un grand rôle à jouer se dessine pour eux demain où donner plus de place à la prévention passera forcément par leur donner plus de place - et donc de reconnaissance - pour le faire !
Un propos partagé lors du Forum Provence-Alpes Côte d'Azur-Corse : la santé a un certain coût. Axer sur la prévention, c’est limiter le coût de prochaines hospitalisations
.
Agnès Buzyn l'a également rappelé lors de son entretien, les infirmier(e)s ont un rôle majeur de santé publique de par cette proximité avec nos concitoyens, et parce qu'ils sont entendus, appréciés, je souhaite qu'ils jouent un rôle majeur dans l'éducation thérapeutique, un enjeu réel afin que les patients soient partie prenante de leur maladie et des traitements associés. Et puis j'ai souhaité développer le service sanitaire avec ce déploiement de tous les professionnels de santé sur les territoires pour faire de la promotion de la santé dans les écoles, les collèges, les lycées, les Ehpad... et j'ai souhaité surtout que les professions se mixent, apprennent à se connaître. Les nouvelles générations de soignants seront les fers de lance de la santé publique grâce à ce service sanitaire
.
Un grand rôle à jouer se dessine pour les infirmiers demain où donner plus de place à la prévention passera forcément par leur donner plus de place - et donc de reconnaissance - pour le faire !
Le Grand Entretien : Patrick Chamboredon, Président de l'Ordre national des Infirmiers, avec Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé
Porter cette parole des infirmiers auprès des décideurs...
Patrick Chamboredon s'y est engagé, tous ces témoignages recueillis, toute cette élaboration autour de la profession infirmière et de ses nécessaires évolutions doivent être partagés, compris et surtout pris en compte, notamment par Agnès Buzyn, au ministère des Solidarités et de la Santé mais également par les députés, la DGOS... Il faut aussi que ces requêtes et autres enseignements nous servent pour asseoir notre leadership afin que ces propositions, légitimes, se transforment, demain, en actions concrètes. La restitution du livre blanc sur le terrain professionnel sera faite par les présidents des ordres régionaux car l'ensemble de la profession doit s'en saisir et à son tour en être le promoteur et croire en des jours meilleurs
.
Concernant les attentes des spécialités infirmières (Ibode, Iade, IPDE, cadre de santé), Agnès Buzyn a rappelé que tous les métiers évoluent et l'on va relancer très prochainement la réingénierie pour ces spécialités. Tout cela va se faire progressivement, car on ne peut pas tout traiter en même temp. Le signal est donné notamment avec la création d'un CNU en Sciences Infirmières,
l'universitarisation, les délégations de tâches, la pratique avancée
...
Concluons sur cette réflexion d'un infirmier entendue lors du Forum Auvergne-Rhônes-Alpes : partout dans le monde, les médecins collaborent avec les autres professionnels de santé. Cela n’est pas le cas en France. La médecine française est dominée par deux principes majeurs : le paradigme de la maladie et le principe de la subordination de tous les professionnels de santé à la logique médicale. Ce qui de fait empêche toute coordination réelle
. Seule ou aidée, la profession infirmière se doit donc de se réinventer !
Visionnez l'intégralité de la table ronde qui a réuni des experts du monde de la santé lors de la remise du Livre blanc de la profession infirmière le 13 novembre 2019 dans les locaux de l'Ordre national des infirmiers, à Paris.
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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