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GRANDS DOSSIERS

Un avis pour « une sédation profonde explicitement létale » en fin de vie

Publié le 16/04/2018
Coucher de soleil

Coucher de soleil

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de rendre public un avis sur la fin de vie et les soins palliatifs. Ce texte baptisé « Fin de vie : la France a l'heure des choix » repose sur plusieurs observations et liste les difficultés actuelles auxquelles sont confrontés les patients concernés et leurs proches. Le Conseil émet donc des recommandations pour améliorer l'application des lois en vigueur et se prononce même pour un droit à « une sédation explicitement létale ».

Le CESE a adopté un avis qui se prononce pour « une sédation explicitement létale »

Il faut pouvoir donner au patient ce droit ultime, ce droit de mourir, ce droit de choisir sa propre mort, explique Pierre-Antoine Gailly, rapporteur d'un avis sur la fin de vie adopté le 10 avril dernier par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le texte préconise le droit à la personne malade de requérir une sédation profonde explicitement létale.

Cet avis a été rédigé par une commission temporaire pour répondre à cette autosaisine approuvée par le bureau en novembre/décembre 2017. En effet,  le CESE avait constaté, via sa plateforme de veille de pétitions en ligne, que plusieurs d'entre elles portaient sur la fin de vie et avaient recueilli un très grand nombre de signatures (plus de 350 000), preuve que le sujet préoccupe les Français. A la suite de cela, l’ouverture le 18 janvier dernier des Etats généraux de la bioéthique avait soulevé  plusieurs questions sur la bonne application de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Le Conseil a donc voulu examiner la portée des textes actuels et leur mise en œuvre. Autre question posée : faut-il faire évoluer ces lois pour permettre d'autres types d'accès ?, énonce Pierre-Antoine Gailly.

Le débat de tout un chacun est ouvert jusque fin avril sur le site des Etats généraux de la Bioéthique. Exprimez-vous !

Une réglementation sur la fin de vie difficile à appliquer en pratique

Premier constat de la commission : le rôle prépondérant des aidants qui demeure trop peu reconnu, alors qu'ils sont 8,3 millions en France selon des estimations récentes. Leur rôle, pourtant crucial, se heurte à l'insuffisance des relais susceptibles de les soutenir dans leurs tâches. Beaucoup d'entre eux sont exposés au risque d'épuisement (700 000 en 2014 selon les données).

De même, si on remarque des améliorations grâce aux nouvelles réglementations en vigueur, toutefois, un décalage subsiste entre la mise en application des textes et les besoins actuels. Plusieurs dysfonctionnements ont été observés. L'accès aux soins palliatifs reste problématique, notamment à domicile. Par exemple, sur les 518 673 personnes de plus de 18 ans décédées en 2013, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPV) estime que 60 % d'entre elles (311 000 patients) auraient pu bénéficier de ce type de soins. Une étude réalisée en 2008 dans 200 hôpitaux par le Dr Edouard Ferrand démontrait que deux tiers des infirmiers considéraient les conditions de fin de vie des personnes qu'ils soignaient comme inacceptables pour eux-mêmes.

D'autre part, le texte souligne une méconnaissance des dispositions qui ont pour but de placer le patient au centre des décisions notamment en ce qui concerne des directives anticipées. D'autres travaux datant de 2012 indiquaient que seulement 38 % des patients se disaient satisfaits de l'accès qui leur était donné à leur dossier médical. Enfin, les auteurs du texte ont noté la difficulté d'accès à la sédation comme codifié par la loi de 2016. En effet, l'avis suggère une « zone grise » qui n'est pas encadré par la législation. Si pour certains, cette sédation profonde et continue relèverait d'une forme d'hypocrisie, certains médecins ressentiraient de la crainte d'être exposé à un risque judiciaire.

Il faut mieux informer les Français mais ils faut aussi mieux former les professionnels de santé et à tous les niveaux : médecin, infirmiers, aides-soignants... »
Pierre-Antoine Gailly

Des pistes d'améliorations des réglementations en vigueur

Après avoir énuméré les problématiques sur le sujet, le texte préconise une série de mesures pour améliorer l'application des lois actuelles. Lancer une campagne d'information sous l'égide du ministère des Solidarités et de la Santé, déclarer l'accompagnement en fin de vie grande cause nationale d'ici 2020 ou renforcer la formation initiale des professionnels de santé et accroître d'environ 20 % en volume l'offre de formation continue sur le sujet devrait d'ores et déjà permettre de combler les lacunes auprès de tous les acteurs concernés comme du grand public.

Aussi, afin d'augmenter l'offre de soin d'un volume de 20 % à 40 % sur tout le territoire et de la rendre plus accessible, il est recommandé de doter le prochain plan national pour le développement des soins palliatifs d'un budget entre 228 et 266 millions d'euros pour la période 2019-2021. Toujours au niveau financier, le CESE propose d'exclure les soins palliatifs de tarification à l'activité (T2A), et de consacrer davantage de moyens à la recherche sur ce type de soins.

Il y a un manque, certains ont parlé d'hypocrisie de la part de la législation dans son ensemble »,
Pierre-Antoine Gailly

Optimiser l'ambulatoire et reconnaître le rôle des professionnels de santé non médecin

D'autre part, conformément aux désirs de la population, la place de la prise en charge en ambulatoire devrait être optimisée notamment en prenant mieux en compte, dans le cadre de la future tarification à la pathologie, le temps nécessaire dans le forfait mensuel du médecin coordonnateur de soins palliatifs, ainsi que la rémunération de l’ensemble des autres professionnel.le.s de santé. Plus précisément en ce qui concerne la sédation profonde et continue, la prescription en médecine de ville devrait être rendue possible.

Au delà des mesures techniques, pour garantir des soins efficaces le dialogue entre le patient et l'ensemble des professionnels de santé doit être encouragée. Une procédure collégiale à préciser afin de reconnaître la place des professionnels non-médicaux dans la prise en charge dont les aides -soignants, les infirmiers, les aides à domiciles ou les psychologues. Il faudrait leur donner la possibilité de s'exprimer les premiers dans certains cas voire d'animer les débats, rapporte le texte. Ce point avait d'ailleurs été souligné par le président de l'Ordre, Patrick Chamboredon lors de son audition par le Conseil en décembre 2017 ( vidéo ci-dessous). L'avis recommande également de permettre aux infirmiers et aux pharmaciens de pouvoir faire appel à un confrères pour la mise en oeuvre de la sédation profonde et continue comme c'est le cas pour les médecins.

Si vous ne pouvez pas voir la vidéo, cliquez sur ce lien

Vers une sédation « explicitement létale »

Enfin, le texte, dans un second volet, propose d'élargir les recours possibles en autorisant ce que le Conseil appelle les derniers soins, c'est-à-dire de permettre aux patients de demander aux médecins directement, ou via les directives anticipées ou une personne de confiance une sédation explicitement létale. Un droit qui bien sûr devra être très strictement encadré.

Pour expliciter son propos, le CESE rappelle les résultats de différents sondage qui montraient que la population (près de 95 % depuis 2013) était favorable à une évolution législative qui consiste à autoriser un médecin à mettre fin, sans souffrance, à la vie des patients qui en feraient la demande. Il cite également l'Ordre des médecins qui s'était exprimé dans le rapport de 2014 du CCNE où il déclarait que la loi peut n’offrir aucune solution pour certaines agonies prolongées ou pour des douleurs psychiques et/ou physiques qui, malgré les moyens mis en œuvre, restent incontrôlables ajoutant que ces situations, quand bien même elles seraient rares, ne peuvent demeurer sans réponse. De son côté, Pierre-Antoine Gailly évoque une extension de loi car l'actuelle est incomplète. Il faut clarifier la situation et donner une sécurité à ce type d'intervention, à ce type de geste ultime pour que tout ceci se fasse de manière plus paisible. On a entre 2000 et 4000 cas d'euthanasie en France par an que certains ont qualifiés de clandestines. Cette nouvelle loi devra également comprendre une clause de liberté de conscience permettant à toute personne quelle que soit sa profession de refuser de participer à la prescription, à la dispensation ou à l'administration d'un médicament expressément létale.

Donner la mort n'est pas un soin

Un sujet qui demeure épineux

Néanmoins même si cet avis à été approuvé à la majorité avec 107 voix pour, 18 contre, 44 abstentions, le texte rapporte des divergences exprimées au cours des débats, sur ce point de sédation explicitement létale. Certains membres du comité ont émis des réticences sur le fait que la légalisation de l'assistance au suicide entraînerait une contradiction avec le droit à la personne à la vie. Cette nouvelle loi s'opposerait aussi selon eux, au principe de dignité, la loi ne peut pas dire qu'une vie ne vaut pas d'être vécue. De même, celle de 2016 étant récente, une fois son application optimisée, elle permettra sans doute, à elle seule, de répondre à toutes les situations.

Ces divergences ont été remarquées et soulignées par la Société Française d'Accompagnement et de Soins palliatifs (SFAP) qui, si elle est en accord avec toutes les préconisations concernant l'amélioration de la mise en œuvre des textes actuels, elle s'oppose en revanche aux recommandations qui permettront à la législation d'évoluer vers la libéralisation de l'euthanasie et du suicide assisté.

De son côté, l'Ordre national des infirmiers (ONI) qui avait déjà donné son avis sur la question à plusieurs reprises reste sur ses positions et demeure contre la légalisation de ces pratiques. Interrogé sur la fin de vie, Yann de Kerguenec, le Directeur du Conseil national de l’ONI s'appuie sur le code de déontologie des infirmiers (voir encadré) qui reste un phare pour les infirmiers, souvent quotidiennement confrontés à ces questions. Il faut donc rappeler qu’en l’état du droit, un infirmier ne peut donner délibérément et sciemment la mort sauf à tomber sous le coup des lois pénales selon lesquelles tuer est un meurtre et tuer par préméditation un assassinat. Le fait que l’acte concerne une personne en fin de vie ne peut supprimer la responsabilité pénale qui est entièrement personnelle. Enfin, une pétition réalisée par des infirmiers et des aides-soignants intitulée "Non, une légalisation des injections létales n’est pas la bonne solution !" circule sur les réseaux. Ses rédacteurs stipulent qu'en tant qu' infirmièr.e.s et aide-soignant.e.s de terrain, nous sommes les mains médiatiquement invisibles mais qui pourtant prennent soin à chaque instant du jour et de la nuit de patients en fin de vie. Nous n’accepterions pas que les injections létales deviennent la seule façon de soulager la souffrance. Nous ne renoncerons pas à notre devoir de bientraitance qui est le moteur de notre engagement professionnel.

Le code de déontologie infirmier parle "d'accompagnement jusqu'à la mort"

Prise en charge de la fin de vie

Art. R. 4312-20. – L’infirmier a le devoir de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Il a notamment le devoir d’aider le patient dont l’état le requiert à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Il s’efforce également, dans les circonstances mentionnées aux alinéas précédents, d’accompagner l’entourage du patient.

Art. R. 4312-21. – L’infirmier doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité de la personne soignée et réconforter son entourage. L’infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort.

A l'heure où la mère de Vincent Lambert, dans une affaire qui dure depuis l'accident de son fils en septembre 2018, en appelle au Président de la République pour que les traitements médicaux et les soins de celui-ci ne soient pas arrêtés. On peut se demander ce qu'il conviendrait de faire dans ce cas précis : continuer au risque d'acharnement thérapeutique ? Arrêter les soins comme l'a décidé le CHU de Reims ? Ou envisager d'autres possibilités…

Pour en savoir plus

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com