Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

GRANDS DOSSIERS

Ulcère artériel ou ischémique : savoir le reconnaître et le traiter

Publié le 17/11/2015

Cause d’une morbi-mortalité importante, avec un risque d'amputation élevé, l’ulcère artériel ou ischémique des membres inférieurs nécessite une prise en charge multidisciplinaire spécifique, avec notamment une vigilance accrue chez les diabétiques. Au moindre doute, un avis spécialisé et une mesure de l’index de pression systolique (IPS) sont requis. Geste de revascularisation, mais aussi lutte contre les facteurs de risque, hygiène de vie et éducation thérapeutique font partie de l’arsenal thérapeutique pour tenter de guérir cette lésion particulièrement douloureuse.

Les ulcères artériels sont le plus souvent, consécutifs à une artériopathie périphérique oblitérante chronique des membres inférieurs responsable d'une ischémie tissulaire.

Environ 10 % des ulcères de jambe sont des ulcères artériels1. Si ces derniers ne sont pas parmi ceux les plus fréquents, ils sont en revanche les plus graves et très douloureux. Ils sont en général dus à l'athérosclérose. Tabac, diabète - surtout de type 2 -, hypertension artérielle, hypercholestérolémie font partie des facteurs de risque causaux de la maladie vasculaire athérosclérotique, auxquels s'ajoutent comme autres facteurs de risque prédisposants, l'ethnicité, le sexe masculin, un âge élevé (++ à compter de 65 ans), l'obésité, l'inactivité, le stress, l'isolement social, ainsi que des antécédents familiaux.

Dépistage et diagnostic

Palpation des pouls

Il est fréquent qu'une plaie ait une origine - ou du moins une composante artérielle - qu'il convient de dépister. Pour cela, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande devant tout ulcère une palpation systématique des pouls distaux. S'ils sont perçus, cela signifie une absence d'artériopathie ; dans le cas contraire, les patients doivent être considérés comme possiblement artériopathes. Le diagnostic sera confirmé par la mesure de l’indice de pression systolique (IPS).

Apparence

Très douloureux - la douleur est le signe d'alarme qui amène les patients à consulter -, l'ulcère artériel siège aux extrémités (orteils), zones d'appui (reliefs osseux du pied, zones de frottement dans la chaussure) ; il est volontiers nécrotique (sec ou humide) et limité. Il est à l'emporte-pièce, pouvant présenter des zones creusantes, avec un fond atone.

En plus de l'ulcère artériel, d'autres signes vont permettre d'orienter le diagnostic : trouble des phanères (dépilation et ongles fissurés), talon et orteils déshabités, peau froide et pâle/érythrocyanose de déclivité. Une douleur de décubitus insomniante soulagée par des jambes pendantes, un allongement du temps de recoloration cutanée (> 3 secondes) et une pâleur lors de la surévélation du membre (45°) sont d'autres signes permettant le diagnostic. Une entité a été définie chez ces patients artériopathes sévères : l’ischémie critique (douleur au repos persistant pour plus de 15 jours ou ulcération ou gangrène des orteils ou du pied et pression à la cheville ≤ 50 mmHg et/ou une TcPO2

Les faux amis…

Attention à ne pas confondre ulcère neuro-ischémique et mal performant sans artériopathie chez le patient diabétique. Si en surélevant la jambe le pied reste bien coloré, bien chaud et que les veines ne se vident pas, il s'agit bien d'un mal performant. Autre faux ami de l'ulcère artériel : l'angiodermite nécrotique que l'on retrouve chez le même terrain de patients âgés, hypertendus. On pourra la distinguer de ce dernier par le fait qu'elle est localisée sur la face latéro-externe de jambe et qu'il s'agit d'une plaie polylobée (à la différence de l'ulcère artériel qui est à l'emporte-pièce). La nécrose est superficielle. Quant à l'ulcère artériel mixte, le plus souvent ulcère veineux chez un artériopathe, de plus en plus fréquent, la prédominance veineuse ou artérielle est définie par la mesure de l’IPS. Cette mesure permet de plus d’adapter la force de compression et éviter de décompenser l'artériopathie sous-jacente et éventuellement de créer d'autres plaies.

Explorations minimales/examens complémentaires

Suite logique et indispensable de l'examen clinique, les explorations paracliniques ont pour but de confirmer le diagnostic, d'évaluer la sévérité de la maladie et de cartographier les lésions en fonction du plateau technique disponible (cf. encadré ci-dessous). Elles doivent être pertinentes et de qualité pour définir de façon pluridisciplinaire une stratégie thérapeutique le plus souvent de revascularisation.

Les explorations paracliniques

  • La mesure des pressions à la cheville avec l'IPS est la base de ces explorations. Il s'agit du rapport entre la pression systolique du MI et la pression systolique humérale [normal entre 0,9 et 1,3 ; 1,3 ou artères incompressibles (diabète, IRC, artériosclérose). À ce moment-là on peut faire une pression systolique (PS) du gros orteil.
  • La pression transcutanée en oxygène (TcPO2) quantifie l'apport maximal d'oxygène au niveau de la peau. Si TcPO2
  • L'Echo-doppler vasculaire permet, entre autres, une analyse morphologique de la paroi artérielle, de quantifier le pourcentage de sténose, de connaître la qualité des réseaux de suppléance et surveillance des gestes déjà réalisées et d'évaluer le matériel veineux. Intérêt : non invasif, permet un couplage morphologie et fonctionnel mais difficultés liées aux conditions d'examens liées aux patients et opérateur dépendant.

Traitement

Comme pour tous les ulcères, le traitement des ulcères artériels doit être étiologique au risque de ne pas aboutir à une cicatrisation. S'il est efficace et possible, le pronostic est bon. Sinon il s’avère mauvais avec un risque d’amputation. Le traitement repose avant tout sur l'amélioration du flux artériel via plusieurs actions :

  • une revascularisation en cas d’ischémie critique ;
  • le traitement des facteurs de risque ;
  • un traitement médical avec antiagrégants plaquettaires.

Il faut aussi toujours penser à soulager la douleur, à vérifier la vaccination antitétanique, à contrôler le traitement général et lutter contre la dénutrition.

La revascularisation

La revascularisation est le traitement de choix chez les patients en ischémie critique car leur pronostic est très sévère avec, dans la moitié des cas, un décès ou une amputation2. Celle-ci doit être associée à un traitement médicamenteux notamment par antibiothérapie en cas d'infection. L'amputation en première intention ou son association au geste de revascularisation est parfois rendue nécessaire pour éradiquer les foyers septiques et nécrotiques. La revascularisation - proximale, distale, combinée (à double étage) - peut être réalisée à l'aide d'une technique endovasculaire ou chirurgicale. Lorsque ces deux techniques donnent des résultats équivalents à court et long termes, la technique la moins invasive (sur le plan morbi-mortalité) doit être privilégiée. Cependant, le traitement endovasculaire a généralement des résultats meilleurs en termes de morbi-mortalité que le traitement chirurgical mais les résultats sont moins bons à moyen et long termes concernant la perméabilité. Le choix de la meilleure revascularisation est basé sur la balance entre le risque de l'intervention et la perméabilité ; il dépend de plusieurs facteurs : localisation des lésions (aorto-iliaque, fémoro-poplitée, sous poplitée), lésions isolées ou multiples, nature des lésions, état du malade…

La revascularisation non chirurgicale

Elle permet de "reperméabiliser" les artères atteintes de rétrécissements (sténose) ou d'occlusion (thrombose) en les dilatant. L'angioplastie consiste à dilater un vaisseau rétréci par une plaque d'arthérome à l’aide d’un ballonnet placé directement dans l'artère (endovasculaire) avec souvent  mise en place d'une endoprothèse ou "stent" après dilatation avec le ballonnet. Elle traite les sténoses localisées et nécessite une surveillance post-interventionnelle car le résultat obtenu n'est pas toujours définitif. L'intervention dure 25-30 min sous anesthésie locale et s'effectue en trois étapes : ponction, ballonnet guidé jusqu'à la lésion, gonflage du ballonnet, traitement de la lésion et dégonflage du ballonnet, et retrait du guide. Le plus long réside dans l'installation du patient (salle de cathétérisme ou de radiologie), la préparation, la surveillance, le brancardage…). Il faut compter 24 à 48 h d'hospitalisation. En cas d'ischémie critique, il convient de privilégier la revascularisation par angioplastie en première intention (à tous les étages, avec une reperfusion au moins d'un axe jambier vers arcade plantaire) mais la prise de décision doit être pluridisciplinaire. Il en est de même pour les troubles trophiques de morbi-mortalité moindre (à peser avec la collaboration chirurgicale).

La revascularisation chirurgicale

Elle vise à enlever la thrombose qui se trouve dans l'artère ou à la contourner (pontage : veine prélevée à la jambe/prothèse synthétique). L'intervention (1h30-2h) s'effectue la plupart du temps sous anesthésie générale et la durée d'hospitalisation oscille entre 7 et 15 jours en fonction du devenir. Contrairement à l'angioplastie, l'abord chirurgical entraîne plus de lésions cutanées. Il faut donc des soins locaux (sur le prélèvement de la veine, ou au niveau de l’insertion du pontage) jusqu'à cicatrisation complète. On associe à la chirurgie une rééducation (réentraînement à la marche) et la correction des facteurs de risque. Ces soins peuvent être plus longs si apparition de complications (cf. encadré ci-dessous). Là encore, comme pour la revascularisation non chirurgicale un suivi est nécessaire afin que le médecin puisse évaluer l'évolution de la maladie. Cela passe par un écho-doppler, un examen clinique, une hygiène de vie, éducation/correction des facteurs de risques.

Revascularisation : les complications possibles

Toute intervention comporte un risque de complication.

  • Pour l'angioplastie
    • allergie et complication liées aux produits iodés
    • complication au point de ponction
    • risque thrombo-embolique
  • Pour le pontage
    • pontage qui se bouche
    • infections superficielles de la plaie
    • infections profondes entraînant une reprise chirurgicale
    • œdème de revascularisation
    • écoulement lymphatique
    • tuméfaction musculaire - syndrome des loges - urgence - décompression immédiate
    • autres complications
    • allergie à un traitement

Autres alternatives

Lorsque la revascularisation est impossible pour traiter l'ischémie critique, l'amputation est parfois la seule alternative possible, posant alors des questionnements éthiques. Le traitement médical, celui de l'artériopathie (antiagrégants, statines…), ne va pas du tout améliorer le pronostic local. Des vasodilatateurs puissants (ilomedine) peuvent être proposés en hospitalisation ; ils peuvent permettre de passer un cap. Cette dernière n'est toutefois pas la seule alternative thérapeutique. D'autres sont aujourd'hui possibles comme :

  • la momification avec application de Betatulle ou d’un alginate pour limiter le risque infectieux et obtenir une délimitation de la nécrose et une amputation spontanée ;
  • l'application cutanée de Flammacérium® (activité antibactérienne et anti-inflammatoire) sous forme de crème stérile chez les patients artériopathes ayant des nécroses sèches3 ou encore l'utilisation de cellules stromales autologues du tissu adipeux pour traiter l'ischémie critique chronique des membres inférieurs4 dans le cadre de protocoles de recherche clinique mis en œuvre dans des centres spécialisés ;
  • l'oxygénothérapie hyperbare. Le but est de mettre les patients dans une atmosphère  d'hyperoxie afin au final de dynamiser la cicatrisation. Selon le consensus TASC II, ce traitement peut être considéré chez des patients sélectionnés, avec des ulcères ischémiques ne pouvant pas bénéficier d'une revascularisation.

Traitement au long cours

Chez l'artériopathe, le traitement au long cours de l'ulcère artériel a divers objectifs : consolider le traitement chirurgical ou endovasculaire, réduire la morbi-mortalité, éviter les récidives, soulager la douleur, renforcer l'hygiène de vie, éduquer le patient et lutter contre un contexte socio-économique souvent défavorisé. Pour cela, il convient là encore d'améliorer le flux artériel en augmentant l'oxygénation et la nutrition tissulaire. Les moyens à long terme reposent sur le trépied suivant :

  • l'utilisation des agents anti-agregants plaquettaires (de type Aspirine ou Clopidogrel) ;
  • la lutte contre les facteurs de risque, en particulier le traitement des comorbidités en luttant contre le cholestérol (utilisation de la statine), l'hypertension artérielle (IEC) et chez les diabétiques en ramenant l'Hba1c
  • les thérapies adjuvantes telles les autres médicaments (peu d'intérêt des vaso-actifs, AVK) ;
  • l'hygiène de vie (sevrage tabagique total, réadaptation à l'effort pour lutter contre l'obésité et permettre une réadaptation à la marche ;
  • lutte contre les infections en vaccinant notamment les patients contre le tétanos, réadaptation de l'alimentation - albuminémie > 30 g/l, restauration de l'état nutritionnel à 40 Kcal/kg/J supplémenté en Vit. C et folates et régime pauvre en graisses pour avoir un LDL gras -, kinésithérapie, appel à la podologie pour appareillages de décharge et semelles, thermalisme - carbocrénothérapie/action vasodilatatrice) ;
  • et bien sûr l'éducation thérapeutique (participation active du patient après réalisation d'un diagnostic éducatif, contrat éducation personnalisé en groupe ou individuel, réalisation d'ateliers, coaching téléphonique).

Soins locaux

Comme pour les autres types de plaies, les soins locaux comprennent le débridement, la prévention de l'infection et la cicatrisation en milieu humide. Les soins s'avèrent différents lorsqu'il s'agit d'ulcères artériels nécrotiques, fermés et couverts.

En conclusion

Au vu du pronostic local (menace d'amputation), mais aussi risque vital sévère (espérance de vie réduite), l'ulcère artériel nécessite une approche pluridisciplinaire indispensable. La prise en charge globale du patient repose à la fois sur l'utilisation de deux thérapeutiques - anti-agrégants plaquettaires et anticholestérolémiants -, une hygiène de vie parfaite et une ETP. Néanmoins, les moyens thérapeutiques médicamenteux sont toujours très limités. En cas d'ischémie critique non revascularisable, l'amputation n'est pas la seule alternative. En plus du traitement médical de fond qui doit être intensifié, d'autres alternatives sont désormais disponibles.

Notes

  1. Doughty DB, 2012 in St-Cyr D. Les ulcères artériels aux membres inférieurs, partie 1. Reconnaître la maladie athérosclérotique, Perspect Infirm (revue OOIQ) sept/oct. 2013; 4(10): 40-44.
  2. Weitz JI, Circulation 1996;94:3026 and TASC, J Vasc Surg 2000. Aujourd'hui, chiffres quelque peu meilleurs.
  3. Une étude prospective randomisée est actuellement en cours pour évaluer l'efficacité à 12 semaines comme alternative à l'amputation dans le traitement des nécroses cutanées ischémiques du tiers inférieur de la jambe et/ou du pied (PHRC national/investigateur principal : Luc Téot, CHU de Montpellier).
  4. L'étude phase II du programme acelldream vient de démarrer ce mois-ci (PHRC national).

Valérie HEDEF   Journalistevalerie.hedef@orange.fr

Article rédigé à partir des interventions du Dr Fannie Forgues, médecin vasculaire, clinique Pasteur, Toulouse, Dr Philippe Carrière, médecin vasculaire, CH Rodez, Dr Bertrand Saint-Lebes, chirurgien vasculaire, CHU Toulouse-Rangueil, Dr Antoine Sauguet, cardiologue, clinique Pasteur, Toulouse, Marévah Xavier, infirmière, cardiologie interventionnelle, clinique Pasteur, Toulouse, Dr Julie Malloizel-Delaunay, médecin vasculaire, CHU Toulouse, Yves Ghrenassia, médecin généraliste (31), présentées lors de la session 6 "Ulcère artériel" dans le cadre de la 5e édition des Journées midi-pyrénéennes cicatrisation & Lymphologie (JMPCL) organisée par l’association Dom-Cica 31 les 26 et 27 mars 2015.

Remerciements au Dr P. Léger pour sa précieuse relecture.


Source : infirmiers.com