La schizophrénie est-elle forcément une maladie génétique ? Et la dépression qu'en est-il ? A l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, plusieurs travaux ont été publiés pour montrer les évolutions sur un sujet. Que ce soit sur les causes de ces pathologies encore très mal connues ou sur la manière de mieux prendre en charge les patients, il est important d’explorer toutes les pistes surtout au vu du contexte actuel, la psychiatrie traversant une crise de grande ampleur.
Schizophrénie, troubles psychotiques, bipolarité, dépression... les maladies psychiatriques sont plus fréquentes qu’on ne l’imagine. Ceux qui en souffrent sont souvent stigmatisés et restent considérés, encore aujourd’hui, comme n’appartenant pas à la catégorie des « gens normaux ». S’il est important de faire la chasse aux idées reçues, les scientifiques tentent de comprendre les origines de ces pathologies qui apparemment ne sont pas que génétiques. Ils prospectent également afin de faire évoluer la prise en charge des patients.
En effet, une étude récemment publiée par la revue britannique The Lancet montre l’intérêt de recourir à des « tuteurs » pour favoriser la reprise à la vie de tous les jours après un séjour en hôpital psychiatrique. Ces « parrains », appelés aussi pairs-aidants, seraient des anciens patients qui ont eux aussi souffert de troubles mentaux.
Certains programmes ayant recours à ces personnes existent déjà aux Etats-Unis et en Angleterre. Cependant, cet essai clinique comprenant près de 400 individus est le premier du genre à évaluer l’efficacité de cette méthode. Celle-ci semble désormais prouvée : d’après les résultats, les patients bénéficiant de ce coaching auraient moins de risque d’être réadmis en établissement psychiatrique.
Les participants choisis étaient atteints de diverses maladies : schizophrénie, troubles bipolaires, psychoses, dépressions, troubles du stress post-traumatique ou encore troubles de la personnalité… Ils ont été divisés en deux groupes lors des travaux : le groupe contrôle devait tenir un journal de bord avec différentes sections. Il contenait, par exemple, différents objectifs personnels à atteindre comme reprendre sa place au sein de la communauté, reconnaître les signaux avant-coureurs d’une rechute et mettre en place des stratégies pour l’éviter ou la retarder. Le groupe d’intervention, quant à lui, disposait du même journal mais bénéficiait en plus de 10 séances d’une heure avec leur tuteur. Celui-ci, préalablement formé, écoutait leurs problèmes et partageait les moyens qu’il avait lui-même mis en œuvre pour lutter contre ses propres difficultés.
Et à première vue c’est efficace : après un an d’observation, les réadmissions en unités de soins psychiatriques étaient moindres dans le groupe d’intervention (29% versus 38%). De même, les patients ont été plutôt observants et se sont fréquemment rendus au rendez-vous avec leur parrain (près d’un tiers d'entre eux était présent à chacune des dix sessions). Le soutien apporté par ces pairs pourrait s’avérer une aide et des encouragements particulièrement empathiques en raison de leur expérience personnelle. Et il pourrait servir un modèle de rétablissement
, conclut le Pr Sonia Johnson, auteur principal de l’étude.
« Schizophrénie, bonheur and Cie »
A l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, la Fondation FondaMental lance en partenariat avec l’Unafam, une campagne pour changer le regard que porte le grand public sur cette maladie. Sur les réseaux sociaux www.bonheur-et-schizophrenie.com, l’histoire de Margot est dévoilée au travers de divers témoignages de ses proches au moment de son mariage. La schizophrénie est une maladie. Elle est sévère mais une prise en charge thérapeutique de qualité, des accompagnements adaptés, un entourage aidé permettent à la personne de se rétablir, de redonner sens à sa vie et de reconstruire son avenir
, souligne Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam.
Rappelons que, en France, 15 à 20 % des pathologies débutantes évoluent favorablement lorsqu’elles sont prises en charge rapidement, mais, malgré tout 40% des personnes touchées font une tentative de suicide.
La schizophrénie : une maladie génétique mais pas que…
Pendant de nombreuses années, la schizophrénie était considérée comme une pathologie aux origines exclusivement génétiques, or ce n’est plus aussi certain… La majorité des données sur l’épidémiologie des troubles psychotiques provenant de Grande-Bretagne et du Nord de l’Europe, des travaux ont été menés par des chercheurs de l’Inserm dans le Val-de-Marne. Ils semblent conforter l’hypothèse d’un lien entre la pathologie et le déclassement social, la prévalence (le nombre de cas d'une maladie dans une population à un moment donné) étant plus importante dans les quartiers défavorisés.
Ne s’arrêtant pas là, la même équipe a, par la suite, participé à un vaste programme européen pour mettre en lumière les facteurs environnementaux et leurs interactions avec les facteurs génétiques. Réalisée simultanément dans cinq pays (Italie, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Espagne, France et Brésil), cette étude a permis d’observer des variations conséquentes selon l’environnement, notamment entre les zones urbaines et rurales. Dans l’Hexagone, les recherches effectuées dans le Val-de-Marne, à Paris ainsi que dans le Puy-de-Dôme ont révélé un taux d’incidence de la maladie (nombre de nouveaux cas à une période donnée) deux fois supérieur dans les grands centres urbains. De plus, l’analyse des données recueillies montre que les hommes jeunes (de 18 à 24 ans) et les minorités ethniques sont davantage touchées par ces troubles que le reste de la population.
Pour Andrei Szöke, psychiatre aux Hôpitaux Universitaire Henri Mondor de Créteil (AP-HP), ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives pour mieux comprendre les troubles psychotiques
. Les spécialistes vont poursuivre leurs recherches afin d’identifier les raisons de cette corrélation entre vivre en ville et schizophrénie. Nous pouvons avancer des hypothèses comme l’impact de la pollution ou la moindre cohésion sociale. Nous devons également comprendre dans quelle mesure le stress –précoce et/ou prolongé-, comme les antécédents de traumatismes psychologiques infantiles (Baudin et al. 2016) ou les situations de discrimination représentent des facteurs expliquant le risque accru pour les minorités ethniques
, explique le praticien. L’équipe va aussi s’intéresser aux facteurs de risques particuliers comme la consommation de cannabis. A terme, ces avancées pourront permettre d’ adapter la politique de santé publique
car il serait plus simple de cibler les populations à risques
et ainsi tenter de prévenir la survenue de ce type de pathologie et améliorer le pronostic.
Pourquoi certaines personnes deviennent dépressives et d’autres non ?
Dépression : la prédisposition génétique ne fait pas tout
En parallèle, des travaux parus en octobre 2018 dans la revue European Neuropsychopharmacology se penchent sur les origines d’une autre maladie fréquente : la dépression. D’après cette étude, certaines personnes ont la capacité de s’adapter aux facteurs de stress environnementaux pour éviter de tomber dans un état dépressif.
En effet, des chercheurs se sont intéressés au phénomène de dépression saisonnière causé initialement par le manque de lumière. Cette maladie est fréquente en Scandinavie. Par exemple 5% des habitants de Copenhague éprouvent des symptômes cliniques de dépression pendant la période hivernale. Il a été prouvé par des recherches précédentes que les femmes sont plus sujettes à cette pathologie ainsi que les individus porteurs d’un gène spécifique (élégamment baptisé 5-HTTLPR).
Les spécialistes ont donc examiné 23 candidats qui présentaient cette variation génétique mais qui, étrangement, n’étaient absolument pas impactés par les changements de saisons. Après leur avoir fait passer plusieurs scanners, les scientifiques ont compris pourquoi : « Nous avons découvert que les taux de transporteur de la sérotonine chutent de 10% en moyenne avec l’arrivée de l’hiver. Cette diminution est encore plus importante chez les femmes », explique le Dr Brenda McMahon, l’auteur principal des travaux. Rappelons que le transporteur de la sérotonine est chargé d’éradiquer ce neurotransmetteur associé à l’état de « bonheur » du cerveau. La plupart des antidépresseurs comme le Prozac ont pour effet de réduire cette évacuation des cellules cérébrales. Ainsi, sans médicament, et malgré un facteur de risque génétique, certaines personnes, sont capables de réguler les taux de sérotonine qui doivent être éliminés du cerveau, elles ont donc développé une résistance à la maladie
, souligne la spécialiste. Il existerait donc des facteurs protecteurs contre la dépression, le tout est de découvrir quels sont-ils…
Vers un nouveau trouble mental : la selfite chronique ?
Qui n’a jamais pris la pose devant son smartphone ? Cette attitude contemporaine et narcissique du selfie est souvent liée au besoin d’exister aux yeux des autres. Mais pour certains, cela peut virer à l’obsession, voire à l’addiction, c’est-à-dire à la « selfite ». Sujet qui peut prêter à sourire et pourtant, selon une étude publiée dans le Journal of Familiy Medecine and Primary Care, 259 personnes sont mortes en prenant en selfie entre 2011 et 2017 ! Ce chiffre est d’autant plus alarmant que le nombre de ces accidents augmente de façon constante. Noyade, transport et chutes sont les causes principales de ces décès.
D’autres travaux réalisés également par des chercheurs indiens en 2017 ont classé cette addiction est trois sous-catégories en fonction de sa gravité. Le premier niveau dit « borderline » se caractérise par le fait de prendre au moins trois selfies quotidiens sans pour autant les poster sur les réseaux sociaux. Le stade « aigu » concerne ceux qui, en plus de se photographier trois fois par jour, dévoilent forcément les clichés. Enfin, la selfite devient chronique quand la personne présente une envie incontrôlable de se prendre en photo et de la partager. Et vous à quel stade en êtes-vous ?
Patients bipolaires : surveillez votre alimentation !
Une autre étude, présentée lors de la conférence du Collège européen de neupsychopharmacologie à Barcelone le 7 octobre dernier, s’est intéressée aux troubles bipolaires, et plus particulièrement aux traitements associés. En effet, si certains médicaments s’avèrent efficaces pour traiter la phase maniaque, il reste peu d’options thérapeutiques pour pallier les épisodes dépressifs. Or, selon les travaux menés par cette équipe australienne, allemande et américaine la réponse aux médicaments peut varier en fonction de la qualité du régime alimentaire ou de l’indice de masse corporelle (IMC) du patient.
L’essai clinique impliquait 133 participants qui en plus de leur traitement habituel devaient, soit prendre une combinaison de vitamines et minéraux et des anti-inflammatoires, soit un placebo. Leur IMC et leur alimentation étaient également pris en considération. Les résultats ont surpris les scientifiques car ils l’admettent, ce qu’ils ont découvert n’est pas ce qu’il cherchait. Nous avons remarqué que les personnes ayant un régime alimentaire de meilleure qualité, avec des propriétés anti-inflammatoires, ou un IMC plus faible, répondent mieux au traitement additionnel composé de vitamines que les autres
. Ces résultats doivent être confirmés par des travaux complémentaires, mais s’ils se vérifient, il serait peut-être souhaitable d’introduire des recommandations sur le régime alimentaire en lien avec la prise de traitements pour ce type de trouble mental.
Ces découvertes montrent que la recherche progresse dans le champ de la psychiatrie, si souvent délaissé en France. Actuellement, si le monde de la santé dans son intégralité est en crise, la psychiatrie c'est le parent pauvre de la médecine depuis des dizaines d'années
, a admis la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn. En parallèle, les hôpitaux du secteur se mettent en grève les uns après les autres ( le Rouvray
, Le Havre
, Amiens
, Niort
, Auch
). Motif ? Un manque criant d'effectifs, de lits, de temps
, de moyens dans un pays où un français sur cinq développera des troubles psychiques au cours de sa vie. Face à cette situation qui ne cesse de se détériorer, Agnès Buzyn a promis « des mesures ». En parallèle, la Haute Autorité de Santé (HAS) vient de publier un guide « améliorer la coordination des soins dans la santé mentale » notamment entre le médecin généraliste entre les autres acteurs (psychiatres, infirmiers, psychologues…). Ces outils mis à disposition vont peut-être apporter une aide à la communication entre les professionnels mais ce n’est pas la seule problématique. D’autres solutions doivent suivre. Espérons que ces mesures ne se fasse pas trop attendre car il y a urgence !
« Guérir l’esprit, les nouvelles promesses de la psychiatrie »
Le magazine Science & Vie consacre ce mois-ci un numéro hors-série sur les troubles mentaux et le secteur de la psychiatrie. Témoignages de patients, recherche, classification de plus en plus floues, le magazine fait le point sur ce que l’on sait et surtout ce que l’on ignore des maladies mentales. Si l’objectif de certains spécialistes est de se diriger vers une médecine « à la carte » rappelons que les moyens doivent être au rendez-vous.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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