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PSYCHIATRIE

« Suis-je un salaud ou un soignant ? »

Publié le 02/06/2016
femme angoisse psychiatrie

femme angoisse psychiatrie

Tentons de voir les choses de façon, certes réaliste, mais aussi positive… Si la réalité de la qualité des soins est loin d’être satisfaisante partout en France, la potentialité qu’elle le soit davantage dans l’avenir est chaque jour un peu plus grande. En effet, la démocratie sanitaire, la recherche paramédicale et les diverses interactions humaines mêlant expertise profane et professionnelle permettent aujourd’hui d’interroger le réel dans sa complexité et donc d’appréhender avec plus de professionnalisme les contraintes spécifiques à l’exercice infirmier en psychiatrie. Tentative de réflexion pour élever le débat...

Plusieurs années après, des usagers en psychaitrie continuent lors de consultation ambulatoire a évoquer la peur d’être à nouveau attaché, un jour, de force, pied et poing lié sur un lit.

Vous avez peut-être lu un ou plusieurs articles concernant le rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté , Adeline Hazan, qui épingle les hôpitaux psychiatriques. Une fois de plus un rapport fait le triste constat que des professionnels de santé perpétuent des pratiques qui s‘apparentent, dans certaines conditions, à des traitements inhumains et dégradants. Le traitement médiatique, à l’image d’une société accélérée où le temps de pensée est bien court, ne laisse malheureusement pas de place à une analyse de la complexité des situations et donc à la possibilité d’un réel débat public. Et si nous ne devons pas nier des abus intolérables dans l’usage de l’isolement et de la contention il ne faut pas faire d'amalgame ni tirer de conclusion hâtive concernant telle ou telle pratique de soin. En effet les apparences sont parfois trompeuse comme le suggère avec humour Morisot dans son article intitulé mise à l‘index . Suis-je un salaud ou un soignant quand je fait un toucher rectal à une adolescente de 17 ans sans qu’elle ne l’ait explicitement demandé ?

En général on choisit de devenir un professionnel de santé parce qu’on souhaite soulager la souffrance et prendre soin des usagers. Pratiquer la contention génère donc fréquemment un conflit de valeur.

Maintenant, parfois, rien ne peut justifier la conduite des professionnels de santé et les pratiques mises en lumière dans ce fameux rapport semble l'attester. Comme vous, peut-être, j’ai découvert avec effroi la réalité des dérives dans certains services qui n’ont d’hospitaliers que le nom. Mais si je regarde les choses en face, j’ai été témoin ou acteur ces quinze dernières années, dans le cadre de ma pratique, de situations quasi similaire. Et je suis dubitatif sur le fait que la simple mise en place d’un registre modifie en profondeur la triste réalité révélée. Car comme la majorité des infirmiers je me suis au moins une fois dans ma carrière demandé en sortant d’une chambre d’isolement : « suis-je un salaud ou un soignant ? ».

En général on choisit de devenir un professionnel de santé parce qu’on souhaite soulager la souffrance et prendre soin des usagers. Pratiquer la contention génère donc fréquemment un conflit de valeur. En effet, si je souhaite votre autonomie je vais devoir me faire violence si je dois vous priver de votre liberté, même si je pense que c‘est un mal nécessaire. D’autant plus que je ne peux pas avoir la certitude de faire ce qu’il y a de mieux pour vous. Même avec les meilleures intentions, je ne peux pas garantir que le bénéfice de la contention sera supérieur au traumatisme inévitablement engendré. Car plusieurs années après, des usagers continuent lors de consultation ambulatoire a évoquer la peur d’être à nouveau attaché, un jour, de force, pied et poing lié sur un lit. Et quand on prend le temps d’en parler avec eux c’est difficile de considérer que la contention est un soin ou quelle est en elle-même thérapeutique. Bien évidemment, la qualité de présence du soignant, son engagement, sa responsabilité peuvent permettre de mettre du soin autour de cette pratique sécuritaire de dernier recours. Mais la complexité veut que même quand la mesure coercitive est appliquée dans les règles de l’art, comment être persuadé que la contrainte exercée sur l’usager le conduira à l’usage de sa propre liberté ?

Le soignant, comme l’éducateur, ne peut mesurer exactement l’impact de ce qu’il pense produire chez l’autre car le contrôle des multiples variables en jeu dans une interaction humaine est impossible. Soigner en psychiatrie reste un art où il est nécessaire de prendre le risque de se tromper et d’accorder parfois à tord sa confiance à autrui avec des conséquences potentiellement tragiques. De plus, une décision ou un acte  peut nous faire passer pour un salaud dans l’instant et pour un soignant une fois la crise passée.

Plusieurs années après, des usagers continuent lors de consultation ambulatoire a évoquer la peur d’être à nouveau attaché, un jour, de force, pied et poing lié sur un lit.

Quoiqu’il en soit, concernant la contention, rare sont les usagers qui vont nous remercier du fond du cœur de les avoir bousculé et sanglé contre leur volonté. Devons-nous néanmoins qualifier de salaud, un fonctionnaire qui, sans votre consentement, vous attache pied et point liée sur un lit sans forcément se soucier de votre pudeur ? Devons-nous qualifier de salaud ce fonctionnaire qui, sur ordre, utilise sa force physique pour vous contraindre à intégrer une chambre d’isolement ou vous immobiliser le temps d’une injection non désirée dans le muscle fessier ? Bien entendu, si on décide d’exercer en psychiatrie c’est qu’on arrive à se convaincre qu’un fonctionnaire qui utilise sa force pour limiter la liberté d’autrui n’est pas un salaud (après tout, même les CRS y arrivent). Mais peut-il être qualifié de soignant pour autant ? Car les faits sont là ! Y’a des usagers qui moisissent en chambre d’isolement et d’autres qui restent attachés plusieurs jours sans réelle justification clinique !!!

Et ben oui, c’est terrible mais dans les hôpitaux français, il y a des situations où des usagers, des familles et même des professionnels sont niés dans leur humanité. Ce mal est connue sous le nom de « maltraitance institutionnelle », conséquence d'un manque de pensée... On a beau le savoir, quand on lit le rapport on se demande forcément comment des soignants peuvent, même en temps de crise, mépriser à ce point la liberté et la dignité des usagers ?

Les réponses sont malheureusement connues. En effet, de La boétie à Milgram, les mécanismes de la soumission à l’autorité sont identifiés. Et comme le soignant est le plus souvent un fonctionnaire à qui on demande plus d’obéir que de réfléchir, une institution même accréditée peut être le théâtre de la banalité du mal. Et si la servitude envers les médecins a fortement diminuée depuis le début de mon exercice en psychiatrie, d’autres autorités se sont imposées pour limiter le pouvoir d’agir des soignants. Par exemple, dans un contexte sécuritaire un préfet va demander à un directeur d’établissement de limiter les fugues. Le directeur va répercuter cette injonction sur les médecins et les cadres qui, in fine, vont mettre la pression sur les équipes soignantes afin que les portes restent bien fermées au risque de produire une ambiance plus carcérale que thérapeutique.

Et ben oui, c’est terrible mais dans les hôpitaux français, il y a des situations où des usagers, des familles et même des professionnels sont niés dans leur humanité.

Ainsi, si on prolonge le raisonnement, les acteurs médicaux et paramédicaux épinglés par le rapport de la contrôleure des libertés ne sont pas des salauds mais des bons fonctionnaires ou pire, des lâches.

Car si le bon fonctionnaire et celui qui exécute sans réfléchir, le lâche et celui qui exécute en sachant que ce qu’il fait n’est pas ce qu’il devrait faire. Combien comme Frantz Fanon en son temps serait disposé à démissionner pour dénoncer l’absurdité d’une pratique ou d’une injonction ? Combien serait prêt à déplaire à un chef et donc risquer une sanction disciplinaire en exprimant le ras le bol de cautionner des pratiques indignes ?

Ne vous méprenez pas, mon propos ne se veut ni culpabilisant ni séditieux, il me semble juste important de dénoncer l’hypocrisie, ou pire l’omerta, qui entourent la réalité des pratiques psychiatrique. Ma vérité, c’est qu’au sein de chaque établissement de santé mentale la qualité des soins peut varier énormément d’un service à l’autre du fait de la différence d’étayage, de philosophie de soin et de disponibilités soignantes ou médicales. Partout vous pourrez trouver le meilleur comme le pire car ce qui sous tend le pire est connu et relevé dans les rapports ministériels successifs depuis les années 90. On peut citer, le manque de moyen, le manque de formation, le manque de reconnaissance de ceci et de cela, mais est-ce le principal ? N’y a-t-il pas eu, même en temps de guerre, des équipes capables de prendre en charge dignement des usagers quand d’autres les laissaient crever de faim ?

Pour éviter le pire à budget constant, il est urgent de remettre de la pensée soignante dans nos organisations de soins en psychiatrie. Les paramédicaux doivent arrêter de se cacher derrière leur petit doigt et commencer à réfléchir en équipe pour passer concrètement de la contention à la contenance psychique. Comment au quotidien, développer cette qualité de présence qui permet la rencontre et la possibilité d‘un soin ?

Reste à se faire confiance pour s’autoriser, en équipe, à passer du sens du réel au sens du possible.

Personnellement, j’ai de bonnes raisons d’être optimiste pour demain car les soignants sont en majorité réflexifs et en mesure de se poser des questions du style : « qu’est-ce que je fais là ? » qui permettent d’amorcer une réflexion et un nécessaire questionnement éthique lié à la pratique. Reste à se faire confiance pour être disposé, au nom de valeurs partagées, à prendre le risque d’adapter nos conduites à la singularité des situations complexes rencontrées. Se faire suffisamment confiance pour être responsable, c’est-à-dire pour répondre de nos choix quitte à ne pas suivre une consigne ou un protocole et risquer un avertissement voir un blâme. Reste enfin à se faire confiance pour s’autoriser, en équipe, à passer du sens du réel au sens du possible. Car si la réalité de la qualité des soins est loin d’être satisfaisante partout en France, la potentialité qu’elle le soit davantage dans l’avenir est chaque jour un peu plus grande. En effet, la démocratie sanitaire, la recherche paramédicale et les diverses interactions humaines mêlant expertise profane et professionnelle permettent aujourd’hui d’interroger le réel dans sa complexité et donc d’appréhender avec plus de professionnalisme les contraintes spécifiques à l’exercice infirmier en psychiatrie.

Ainsi, même si vous travaillez dans un des services épinglés par le rapport d'Adeline Hazan, ne vous laissez pas démotiver par le réel de l’actuel et pour être, ou rester soignant, envisagez le possible. Bref, autorisez-vous en toute humilité, à faire le choix de la pensée et de la créativité.

Jérôme CORNIER  Cadre infirmier en psychiatrieCMP/HDJ/EMGP/Psy de liaison  jerome.cornierifcs@gmail.com


Source : infirmiers.com