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Suicides : pour ne pas oublier nos pairs...

Publié le 08/12/2017
stop arrêt

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Virginie, l'infirmière "insoumise" dédicace cet article à tous les infirmier(e)s qui ont donné leur vie pour leur profession. Elle nous rappelle la citation d'Honoré de Balzac dans "Le médecin de campagne" (1833) : « Le suicide est la dernière crise d’une maladie morale. » Un billet qui fait écho à notre récent article "Suicide et professionnels de santé : le poids des chiffres " qui souligne qu'un quart des professionnels de santé ont - ou ont eu - des idées suicidaires en lien avec leur travail.

Je suis allongée sur mon lit, et je ne regrette rien. Mes filles sont en sécurité, et je suis épuisée. Je ne veux plus me battre. Il est temps d’accepter... et de ne plus souffrir...

Je m’appelle Virginie, j’ai 36 ans et je suis Infirmière. Aujourd’hui, c’est mon dernier jour. J’ai 36 ans, je suis mariée, j’ai deux enfants et je suis infirmière devrais-je plutôt dire. C’est ma profession. Ce dimanche matin, je viens de rentrer chez moi, après ma garde de nuit dans mon service. On est dimanche. Ma grand mère dirait que c’est le jour du Seigneur. ll est dix heures. Je suis partie en retard. Comme d’habitude, dirait mon mari. On est dimanche. Du coup, il est parti au parc avec les enfants. La plus petite, âgée de dix-huit mois, se réveille aux aurores. Je sais qu’il est en train de la pousser sur la balançoire et qu’elle en hurle de bonheur. J’ai cette vision de mon bébé, emmitouflée dans son manteau, qui essaye d’attraper le soleil, un grand sourire sur son visage. J’ai cette vision alors que je suis allongée sur notre lit, au travers du vasistas de notre chambre.

Ce matin, je suis rentrée en retard, je n’ai pas pu partir et laisser seule, cette jeune infirmière, tout juste diplômée, alors que le service est plein. Elle avait les larmes aux yeux, lorsque je lui ai dit que nous n’avions même plus de temps pour faire des transmissions orales et qu’il fallait qu’elle lise les dossiers. Alors je me suis assise à côté d’elle. Et je lui ai tout expliqué. Qu’il fallait faire le tour des prises de sang en premier. Qu’ensuite viendrait le tour des médicaments avec le petit déjeuner. Puis le tour avec le médecin de garde, qui en fonction du jour, serait soit un intérimaire, soit un titulaire. Puis, comme des larmes coulaient le long de ses joues, je suis restée pour faire le premier tour avec elle. Je l’ai présentée aux patients. J’ai voulu la présenter à  Monsieur G. le plus gentil du service. Il est là depuis bientôt deux mois. Si seulement il pouvait rester à jamais dans cette chambre, il me donne du baume au coeur et le moral tous les matins.

Ce matin, je suis rentrée en retard, je n’ai pas pu partir et laisser seule, cette jeune infirmière, tout juste diplômée, alors que le service est plein.

J’ ai ouvert la porte, de Monsieur G. Un sourire se dessinait sur son visage. Il avait les yeux grand ouverts et tenait dans sa main la dernière photo de ses petits enfants que lui avait remis sa fille à sa dernière visite. Monsieur G était inanimé. M. G ne voulait pas être réanimé. M G était en stade terminal d’un cancer du rein. Comme la plupart des patients dans notre service. Je suis infirmière en soins palliatifs. Du coup, je n’ai pas eu le coeur de laisser la toilette mortuaire à faire seule à ma jeune collègue. Et puis j’avais besoin de faire mes adieux à M. G. Alors je suis restée.

Je n’avais pas envie de rentrer. La veille au matin, après ma garde de nuit, mon mari était déjà sorti avec les filles lorsque je suis rentrée. Encore une fois, tu rentres en retard. Comme d’habitude aurait-il-dit. Mais cette fois-ci, au lieu des éternels reproches qu’il peut me faire lorsqu’il est présent et surtout lorsque j’arrive à l’écouter avec attention pendant mon petit-déjeuner avant d’aller me coucher sans m’écrouler dans mon bol de thé, il y avait une lettre sur la table.

Je suis allongée sur mon lit et j’écoute Summertime de Janis Joplin. J’ai demandé un jour à un de mes amis pourquoi il écoutait cette chanson en boucle. Ce sont les notes qui ont été jouées à l’enterrement de mon meilleur ami m’a-t-il répondu… Hier matin, il y avait une lettre sur la table.

Je suis allongée dans mon lit, et les mots flottent autour de moi… La brume s’installe, je suis en train de m’endormir doucement… Ce sont les mots contenus dans la lettre… Nous n’avons plus de vraie relation… Tu n’es plus présente que de corps pour les enfants… Tu ne m’écoutes plus… Ton travail a trop d’emprise sur toi... Il est temps que nos chemins se séparent… Hier matin, mon mari m’a quittée. Hier matin, j’aurai dû attendre qu’il rentre pour avoir une discussion, mais au lieu de ça je suis allée me coucher, épuisée par mon travail, et surtout soulagée qu’il ait pris cette décision. Cela lui fera une question de moins à se poser. Soulagée qu’il soit prêt à s’occuper des filles tout seul.

Ce matin M. G est mort. Après s’être battu pendant des mois pour avoir le bonheur de partager encore quelques instants avec sa famille. Ce matin, moi je n’ai plus le courage. De soutenir les gens, de les accompagner, et que toute cette souffrance rejaillisse dans mes entrailles une fois que je suis allongée dans mon lit. La nuit, les malades se livrent. Ils se sentent seuls et ont besoin d’un soutien, autre que la prise en charge de leur douleur. Alors on discute. Ils me racontent leurs secrets, leur vie et ce qu’ils ne veulent surtout par regretter.

Je suis allongée dans mon lit, et les mots flottent autour de moi… La brume s’installe, je suis en train de m’endormir doucement…

Je suis allongée sur mon lit, et je ne regrette rien. Mes filles sont en sécurité, et je suis épuisée. Je ne veux plus me battre. Il est temps d’accepter. J’écoute Janis Joplin et une larme ne peut tout de même s’empêcher de rouler sur mon visage au moment où je scrute la photo de mes filles que je tiens dans mes mains. Je ne regrette rien, je veux juste faire partir cette douleur qui est au plus profond de moi-même, et qui se résume à la solitude de notre prochain face à la mort. Moi aussi je suis seule en serrant cette photo. Je scrute le vasistas et je regarde tomber les gouttes. Comme des gouttes de pluie.

Je regarde tomber les gouttes de la perfusion que j’ai suspendu au crochet de la fenêtre. Je suis le trajet de la tubulure jusqu’au pli de mon coude. J’y ai mis suffisamment d’hypnotiques à l’intérieur pour ne pas souffrir. Mes yeux se ferment, Janis chante, le soleil brille et j’entame une ronde avec mes enfants, dans un champ couvert de fleurs. C’est la première fois que je me sens bien depuis des années. Une larme roule sur ma joue et j’esquisse un sourire. Mon mari va bientôt rentrer. Ce sont les derniers instants du reste de ma vie.

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Cet article a été publié sur le blog de l'infirmière insoumise le 4 octobre 2017. Nous la remercions de ce partage.


Source : infirmiers.com