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Suicide et professionnels de santé : le poids des chiffres

Publié le 06/12/2017
soignants hôpital souffrance

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Stress, souffrance, vulnérabilité, épuisement, burn-out, suicide... depuis des années maintenant ces termes impactent dangereusement les professionnels de santé. Alors qu'ils vivent des conditions de travail déliquescentes, ils n'ont de cesse de les dénoncer et d'espérer des améliorations concrètes qui influeront positivement sur leur qualité de vie au travail en chute libre. L'association Soins aux Professionnels de Santé (SPS) dévoile aujourd'hui les résultats d'une nouvelle étude sur le thème "Suicide et professionnels de santé". Les chiffres sont bien là : un quart des soignants interrogés ont déjà eu des idées suicidaires du fait de leur travail au cours de leur carrière. Au-delà du constat, reste la question des ressources disponibles et des actions concrètes à mener ; actions que l'association SPS souhaitent mettre en oeuvre au plus tôt face à cet enjeu de santé publique, véritable "urgence sanitaire", que constitue la souffrance des soignants. 

Au-delà des paroles et autres annonces et missions, les professionnels de santé veulent des actes pour prendre en compte la souffrance au travail et éviter ainsi les gestes désespérés...

Les soignants sont vulnérables et leur moral est au plus bas . Le contexte est de plus en plus dur quand il n'est pas dramatique : dégradation des conditions de travail, valeurs soignantes piétinées, pénibilité non reconnue, burn-out, suicides ... sans parler des grilles salariales peu conformes au niveau de responsabilité des infirmiers et de la réingénierie des diplômes de spécialités en stand-by... Les témoignages et autres enquêtes sur le sujet se succèdent et en attestent. Déjà, en 2015, la première étude menée par l'association SPS visait à évaluer la souffrance psychologique des professionnels de santé, en particulier les addictions à l'alcool, aux anxiolytiques et psychotropes . La deuxième étude, effectuée en 2016, évaluait la connaissance qu'ont les soignants des structures ou associations susceptibles de les soutenir en cas de souffrance psychologique, mais aussi d'identifier leurs attentes en termes d'aides, de services et d'interlocuteurs.

L’épuisement professionnel des soignants est une maladie de l’âme en deuil de son idéal.

Cette nouvelle étude "Suicide et professionnels de santé" qui a mobilisé quelque 700 répondants1 - médecins, pharmaciens, infirmiers, aides-soignants, salariés comme libéraux - démontre et confirme le besoin urgent de ressources dédiées pour aider, accompagner et prendre en charge les professionnels de santé en souffrance psychologique a souligné le Dr Éric Henry, président de l'association Soins aux Professionnels de la Santé. En effet, il ressort qu'au cours de leur carrière professionnelle, un quart des soignants ont déjà eu des idées suicidaires du fait de leur travail. Cette proportion est retrouvée quels que soient la profession de santé, l'âge ou le sexe. Cependant, la part de ceux qui ont répondu avoir eu des idées suicidaires est en revanche plus importante en milieu strictement rural. Faut-il suggérer que le fait de vivre dans des grandes villes est un facteur protecteur contre les idées suicidaires chez les soignants ? a poursuivi Eric Henry.

Mais un soignant qui souffre, partage-t-il sa souffrance et avec qui ? L'enquête souligne que seuls 42% en avaient parlé à quelqu'un (29% chez les infirmiers). Pour la moitié d'entre eux, il s'agissait d'un membre de leur famille, pour plus d'un tiers, d'un psychiatre en consultation, pour un tiers, d'un confrère ou d'un ami. Ce constat révèle l'importance pour les soignants d'avoir désormais à disposition une plateforme d'appel dédiée - 0805 23 23 36 - ,qui permet d'être écoutés 24h/24 et 7j/7 et, si besoin, d'être orientés vers des soins adaptés a poursuivi Eric Henry. Une interrogation néanmoins, si la majorité des soignants ne parlent pas de leur souffrance, c'est peut-être aussi qu'ils n'arrivent pas à l'assumer et encore moins à la formuler. Les soignants ont une forte propention à montrer coûte que coûte qu'ils vont bien plutôt qu'avouer ce qu'ils considèrent souvent comme une faiblesse qui peut les culpabiliser dans leur mission de soignant.

Le suicide d'un confrère, d'un pair, peut également affecter la confiance du soignant et la qualité des soins qui en découle.

Les soignants interrogés sont plus de 40% à connaître, autour d'eux, un confrère qui a fait une tentative de suicide. Chaque professionnel rapporte, en moyenne, près de 2,5 tentatives dans son entourage, dont la moitié a abouti à un décès. Dans le prolongement, ils sont plus de la moitié à penser que le suicide d'un professionnel de santé peut favoriser d'autres suicides. Le Dr Eric Henry l'a souligné, 710 professionnels de santé connaissent 762 confrères ayant fait une tentative de suicide, c'est suffisamment explicite pour se dire que maintenant on ne peut plus seulement aligner des chiffres mais passer réellement à l'action....

Ces chiffres posent la question des ressources disponibles ou à mettre en oeuvre afin d'aider ces professionnels de santé en souffrance et d'arrêter le processus qui peut les conduire à l'acte suicidaire car là est bien le but : prévenir. En la matière, la consultation d'un psychiatre ou d'un psychologue (66% et 50%) et l'appel d'une plateforme spécifiquement dédiée (52%) sont largement plebiscités. Les professioonnels de santé placent en premier la consultation d'un psychiatre pour 31% des répondants, le recours à une plateforme téléphonique pour 28% d'entre eux. L’association a, par ailleurs, recensé sur le territoire les unités dédiées (8 autorisées par les ARS) et lieux d’hospitalisation de jour permettant d’accueillir et prendre en charge les soignants en grande souffrance.

On le voit, si le contact humain est indispensable en cas de difficultés psychologiques, au-delà, des ressources "dédiées" avec des professionnels formés à l'écoute s'avèrent indispensables. La médecine du travail comme ressource pour le professionnel en souffrance n'apparaît pas citée, sans doute car elle concerne l'institution dans laquelle il évolue et peut ainsi le fragiliser s'il "avoue" ses difficultés... L’association SPS met ainsi en oeuvre des actions pour répertorier et former les médecins généralistes souhaitant accompagner et soutenir en ambulatoire des professionnels de santé rendus vulnérables. Intitulé "Repérage et prise en charge des soignants rendus vulnérables par leur travail", le premier module de la formation SPS se déroulera à Paris en janvier 20182. Il aura pour objectif de doter les membres du Réseau National de soignants en ambulatoire, de repères et d’outils communs, et de permettre à chacun de se situer au sein du dispositif global élaboré par l’association (plateforme téléphonique, maillage national de soignants en ambulatoire, unités dédiées d’hospitalisation).

Et de rappeler que depuis sa mise en place en novembre 2017, l'association SPS a déjà enregistré plus de 1 800 appels. Les appelants sont en majorité des femmes (les trois-quarts). Une moitié est salariée, un tiers travaille en libéral. Les professions les plus représentées sont les infirmiers (un tiers), les médecins (30%), les aides-soignants (15%), les pharmaciens (7%) et les dentistes (5%). SPS rappelle que parmi les motifs d’appels, l’épuisement professionnel arrive en tête (un quart des appelants) suivi par les demandes d’informations, les conflits avec la hiérarchie, les dénonciations des conditions de travail, les problèmes de santé (TMS…), la démotivation, les conflits avec un collègue, les ressentis de harcèlement. Pour le Dr Henry, ce bilan après un an témoigne du réel besoin d’écoute et de soutien des professionnels de santé en souffrance et démontre l’importance de la mise à disposition d’une structure qui leur assure un accompagnement et une orientation chaque fois que nécessaire.

Ces chiffres posent la question des ressources disponibles ou à mettre en oeuvre afin d'aider ces professionnels de santé en souffrance et d'arrêter le processus qui peut les conduire à l'acte suicidaire car là est bien le but : prévenir.

Les résultats de cette enquête doivent éclairer les pouvoirs publics et les tutelles de santé sur ce qui constitue aujourd'hui un véritable enjeu de santé publique. Le mot "suicide" ne doit plus être tabou d'autant lorsqu'il concerne des professionnels qui ont fait le choix de soigner autrui dans un engagement quotidien qui n'est pas toujours valorisé comme il le devrait. Il faut arrêter de compter et agir. En 2018, SPS passera à l’action de façon plus massive, au travers de la formation des soignants mais aussi de la dédramatisation des mots « pensées suicidaires », « suicidants » et « suicide ». Tous les acteurs de la santé doivent être convaincus de l’importance de ne plus attendre et se mobiliser dans un même but : chercher, trouver rapidement des solutions et agir. Il y a urgence !, résume Eric Henry. Chaque professionnel de santé doit ainsi devenir une "sentinelle" pour autrui sur cette question de la souffrance psychologique, que ce soit en secteur hospitalier, libéral et, au-delà, dans son cercle familial, amical, social.

En tant que soignant, c'est compliqué de garder une distance où il ne va rien nous arriver et où on ne va pas un moment être impacté par ce qu'on fait.

Le 11 décembre prochain, au ministère de la Santé, à Paris, le 3e Colloque national à l'initiative de l'association SPS sera une suite logique dans ce parcours vers une meilleure compréhension et une meilleure prise en charge de la souffrance du soignant. Intitulé "Soigner les professionnels de santé rendus vulnérables. Quelles innovations dans la prise en charge des soignants en souffrance ?", son objectif sera notamment de répondre à cette question d’importance : comment passer du soutien et de l’accompagnement de quelques-uns à l’aide pour l’ensemble de la profession. Un beau défi qui, nous l'espérons, d'autant que le colloque se passe au ministère de la santé, saura retenir l'attention d'Agnès Buzyn , ministre des Solidarités et de la Santé. En effet, déjà nommé par Marisol Touraine médiateur national pour la prévention des risques psychosociaux à l'hôpital, Édouard Couty a été chargé en parallèle par Agnès Buzyn d'une nouvelle « mission de préfiguration d'un dispositif de médiation » sur les conditions de travail des soignants au sens large. La ministre des Solidarités et de la Santé a également proposé au Dr Donata Marra, une autre spécialiste du secteur, une seconde mission sur les facteurs relatifs à la qualité de vie au travail des étudiants en santé . La formation continue [des soignants, NDLR] doit être revue pour mieux intégrer la qualité de vie au travail, la prévention et les risques psychosociaux, a-t-elle indiqué. Je souhaite m’inscrire dans la continuité des orientations prises dans la stratégie nationale « Prendre soin de ceux qui nous soignent » pour améliorer la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Les actions concrètes - au-delà des paroles et autres annonces et missions, les professionnels de santé veulent des actes... -  menées 2018 seront là pour en témoigner... ou pas !

Notes

  1. Plus de 700 professionnels de santé ont répondu au questionnaire de l'enquête entre le 15 octobre et le 20 novembre 2017. Parmi eux, 66.5% de médecins, 16% de pharmaciens, 7.5% d'infirmier(e)s, 10% d'autres professionnels (aides-soignants, chirurgiens-dentistes, masseurs kinésithérapeutes, sages-femmes, orthophonistes, orthoptistes, pédicures, podologues, psychologues, étudiants). Un peu plus de la moitié sont des hommes et exercent exclusivement en libéral. La grande majorité pratiquent leur exercice en milieu urbain. Age moyen : 51 ans.
  2. Les 11 et 12 janvier, les 18 et 19 janvier ou les 25 et 26 janvier 2018 (2 journées, au choix des participants).

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com