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PUERICULTRICE

Soins palliatifs en périnatalité : une démarche éthique en tension

Publié le 05/04/2017

La loi ne prévoit pas de dispositions spécifiques pour la fin de vie des nouveau-nés. Les équipes soignantes dans ce domaine ne bénéficient pas d'un cadre défini pour leur pratique, même si le travail en équipe et l'anticipation sont reconnus. La décision du Conseil d'État sur la fillette cérébrolésée a conduit à créer davantage de confusions. Merci à Hospimedia de partager avec la communauté d'infirmiers.com cet article à la fois éclairant et questionnant.

Professionnels comme membres d’associations sont unanimes : lors d'une décision d'arrêt des soins, tous les parents ressentent de la culpabilité. Le rôle des soignants étant de ne pas la susciter ou la renforcer.

Si chaque situation médicale est spécifique, son caractère est particulièrement accentué dans le domaine de la fin de vie des nouveau-nés. La loi Claeys-Leonetti sur les soins palliatifs et la fin de vie ne prévoit aucune particularité pour la périnatalité - ces situations concernent à la fois l'anténatal et le postnatal. Sauf des situations d’urgences, en salle de naissance notamment, les praticiens peuvent être amenés à décider d’arrêter la nutrition artificielle, avec ou sans sédation profonde. L'arrêt seul de la nutrition pose beaucoup de difficultés, surtout quand elle dure et que l'enfant ne dort pas. Pour certains, l'arrêt devrait s'accompagner d'une sédation profonde mais ce n'est pas la position de tout le monde. Nous sommes tous en train de chercher la solution, avec une tension éthique sous-jacente, détaille Pierre Bétremieux, pédiatre au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine), à l'occasion d'une journée sur la démarche palliative en périnatalité organisée, le 30 mars à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), par le réseau de périnatalité Méditerranée. Une situation "saine" selon lui car nous ne sommes pas dans l'application d'un protocole.

Si chaque situation médicale est spécifique, son caractère est particulièrement accentué dans le domaine de la fin de vie des nouveau-nés.

Laurence Fayol, pédiatre à l'hôpital la Conception de l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), invite pour sa part à rédiger des protocoles en équipe, même si toutes les situations ne rentreront pas. Un exemple possible de travail en équipe est de mener des entretiens communs pédiatre, obstétricien et sage-femme pour les parents dont le futur enfant est susceptible de recevoir des soins palliatifs. Laurence Fayol souligne également le besoin d'adapter les soins palliatifs à toutes les situations en périnatalité et à s'appuyer sur les ressources disponibles, comme les équipes régionale de ressources sur les soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP). Ces dernières ont notamment pour mission de sensibiliser les équipes aux spécificités de cette prise en charge et de former les professionnels et les bénévoles.

En pratique, les équipes soignantes sont amenées à anticiper les situations en rédigeant un projet d'accompagnement en soins palliatifs en dépit de nombreuses inconnues comme la durée de vie spontanée, la réaction des parents face à un nouveau-né malformé ou, comme cela arrive régulièrement, la mort in-utero. Elle est toujours possible mais c’est compliqué pour tout le monde, les parents comme les soignants. Mais plus personne n'a besoin de prendre de décision dans ces cas-là, souligne Pierre Bétremieux.

Une décision "utilitariste" du Conseil d'État dans l'affaire Marwa

Du fait de la loi, l’arrêt des traitements relève d'une décision médicale, après le recueil de l'avis des parents. Une exception en pédiatrie où toutes les autres décisions sont prises avec l'accord des parents. La décision du Conseil d'État dans le cadre de l'affaire Marwa, une fillette hospitalisée à Marseille pour laquelle les parents s'opposent à l'arrêt des traitements, a semé la confusion. Cette décision est un petit tremblement de terre. Pour Vincent Lambert, le Conseil d’État décide qu'il est possible d'arrêter les traitements mais, quand il s'agit d'un enfant, la voix des parents devient prioritaire. La définition de l'obstination déraisonnable est beaucoup plus trouble, estime Pierre Le Coz, professeur à la faculté de médecine de Marseille.

Le contresens de la loi

La loi Claeys-Leonetti fait contresens sur la notion de culpabilité, souligne Pierre Bétremieux, du CHU de Rennes. Lorsqu’elle a été écrite, les parlementaires ont décidé de mettre le poids de la décision sur les médecins pour éviter une culpabilité sans fin des parents. Tout ça est très naïf, balaie-t-il. Les participants, professionnels comme membres d’associations, de la journée sur la démarche palliative en périnatalité sont unanimes : tous les parents ressentent de la culpabilité. Le rôle des soignants étant néanmoins de ne pas la susciter ou la renforcer. L'absence de culpabilité traduit une absence d'investissement de la grossesse, résume Pierre Bétremieux. Ce dernier insiste sur la codécision entre parents et médecins, d'autant plus que l'origine de la culpabilité ne provient pas de la prise de décision.

Pierre Le Coz juge que le Conseil d'État a pris une décision utilitariste mais qui n’est pas assumée comme telle. Il explique : S'il avait donné raison à l’équipe médicale, cela aurait donné lieu à des émotions extrêmes. Il a pris la décision qui engendrera le moins de troubles mais il l'a justifiée par des décisions, cela entraîne des confusions. Chacun son pré carré et les vaches seront bien gardées. Cette confusion juridique s'ajoute à ce que les soignants, comme Camille Péronel, obstétricienne à la maternité du CH de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), soulignent la prédominance d'un risque médico-légal, qu'elle qualifie d'épée de Damoclès au dessus de nos têtes.

L’une des particularités des soins palliatifs en périnatalité est que ce domaine touche aux limites de la médecine, notamment dans la prise en charge de la prématurité. Nos connaissances ont des limites, il ne faut pas s’excuser de ne pas tout savoir, assure Pierre Bétremieux. Outre le fait de sortir d’une position de médecin paternaliste qui exclut les parents de la décision, cette incertitude fait le lit de l’espoir pour les parents, comme celui d’une erreur de diagnostic prénatal, assez rare, ou d’une pathologie moins grave que perçue qui permet d’initier, sans acharnement, un traitement curatif.

Les participants, professionnels comme membres d’associations, de la journée sur la démarche palliative en périnatalité sont unanimes : tous les parents ressentent de la culpabilité.

Un manque d’évaluation des pratiques

Pour avoir un recul sur leurs pratiques, les praticiens en périnatalité ne disposent d'aucune étude qui comparent le suivi psychologique des parents en deuil après une interruption médicale de grossesse et après des soins palliatifs. Pierre Bétremieux, du CHU de Rennes, a déposé une demande. Elle a été refusée par le comité d'éthique de l'établissement qui ne souhaitait pas faire revivre le deuil aux parents. Un projet similaire a également été retoqué à Lille (Nord). Le comité d'éthique n'avait rien lu sur la question, ça m'a sidéré. Nous ne pouvons pas faire l'économie de cette étude. Nous avons l'impression que ça fonctionne pas mal mais, en vrai, nous ne savons rien des complications psychiques. J’espère que nous ne sommes pas des apprentis-sorciers victimes de mode, rapporte le praticien de Rennes. Isabelle de Mézerac, la présidente de l'association Soins palliatifs et accompagnement en maternité (Spama), souligne le risque de simplification d’une telle étude. Notre expérience nous montre que bien d'autres éléments et circonstances interviennent dans le deuil. Dans des situations similaires, les évolutions dans le deuil sont différente", explique-t-elle.

Jérôme ROBILLARD

Cet article a été publié sur HOSPIMEDIA le 31 mars 2017. Tous droits réservés 2001/2017 - HOSPIMEDIA


Source : infirmiers.com