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IDEL

Soins palliatifs à domicile, un lien brisé...

Publié le 10/03/2015
flamme de bougie

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Alors que s'ouvre aujourd'hui à nouveau à l'Assemblée nationale le débat sur la fin de vie, Anne, infirmière libérale, nous raconte sur son blog "Une infirmière à la maison", une histoire de soin, une histoire de vie... et de mort. Pour elle, il est temps que des progrès soient engagés dans le sens du choix du patient qui veut finir sa vie dignement et chez lui auprès des siens. Une situation qui reste plus que difficile en termes de moyens mis en oeuvre pour y parvenir...

Désormais les journées de Jeanne s'étendent, inexorablement, de la lumière qui emplit la pièce le matin au crépuscule qui tombe, doucement sous la fenêtre de sa chambre...

Ma main gantée plonge dans la bassine, le bruit de l'eau est doux et dans la petite pièce le silence règne en maître. Mes gestes se veulent les plus souples possibles pour ne pas rajouter de douleur à celle déjà existante et si difficile à gérer. Jeanne est là, allongée face à moi, ses yeux fixent le plafond, le regard fuyant. Ses mots sont désordonnés, ses phrases sont devenues difficiles à comprendre. Nous la connaissons bien, depuis plusieurs années, des séries de petits soins et puis la maladie s'est faite omniprésente, emportant tout espoir de guérison. Désormais ses journées s'étendent, inexorablement, de la lumière qui emplit la pièce le matin au crépuscule qui tombe, doucement sous la fenêtre de sa chambre.

Soudain, le parquet craque sous des petits pas rapides et Georges apparait : Vous avez ce qu'il faut? Oui, ne vous inquiétez pas, merci. Tout est là, préparé avec soin, comme tous les jours, gants, savon, serviettes propres, médicaments, patchs... Il ne manque rien. Georges est le mari de Jeanne, il a décidé de s'occuper de sa femme, chez eux. Depuis la dernière hospitalisation elle est plus dépendante, avant elle se levait, se déplaçait à l'aide de son cadre. Maintenant elle ne coordonne plus ses mouvements, elle est très fatiguée, un peu perdue aussi mais à sa sortie on ne lui a pas vraiment laissé le choix, il n'y avait de place nulle part et puis une perspective de placement en institution n'est pas leur souhait. Ils s'étaient dit qu'ils resteraient dans leur maison, jusqu'au bout, jusqu'au dernier souffle.

Désormais ses journées s'étendent, inexorablement, de la lumière qui emplit la pièce le matin au crépuscule qui tombe, doucement sous la fenêtre de sa chambre.

Georges s'assoit sur le fauteuil à côté du lit et se prends la tête dans les mains en soupirant : Vous savez elle a crié toute la nuit et... je suis fatigué, très fatigué ses traits tirés et son teint pâle ne mentaient donc pas. Je...nous avons vécu beaucoup de choses tous les deux et même quand elle est tombée malade je m'en suis occupé sans soucis mais elle marchait encore, c'était plus simple, alors que là... Jeanne souffre, psychologiquement et physiquement, son mari est lui aussi en grande souffrance. Il ne s'imaginait pas avoir à accompagner sa femme dans ces conditions et culpabilise de ne plus y arriver : A l'hôpital nous sommes sorti avec des ordonnances et c'est tout. Le médecin traitant a pris le relais du mieux qu'il a pu, nous intervenons aussi souvent et même bien plus que nous le permet notre nomenclature mais ce n'est pas suffisant... Finir sa vie à la maison, dans de douces conditions, auprès des siens est un souhait de beaucoup de personnes souffrant d'un mal incurable. Mais les soins palliatifs à domicile, guidés, encadrés et pour tous ceux qui le souhaitent, nous n'y sommes pas en France, non vraiment...

Georges sera là, jusqu'au dernier souffle de Jeanne, à ses côtés oui, mais dans le cadre impersonnel et froid d'une chambre d'hôpital. Plus tard je passerais devant leur maison, le coeur serré. Un bien triste constat... une bien triste impuissance des soignants intervenant auprès des patients chez eux et quelque part se sentant complices de cette défaillance criante de notre système de santé. Un lien précieux qui se brise quand un matin, la douleur se faisant insupportable, il n'y a pas d'autre choix que l'attente d'une prise en charge hospitalière, en passant par les urgences et ses brancards. Oui, un lien précieux qui se brise entre un patient, ses aidants et nous, infirmières et médecins.

Un bien triste constat... une bien triste impuissance des soignants intervenant auprès des patients chez eux et quelque part se sentant complices de cette défaillance criante de notre système de santé.

A une heure où l'on parle beaucoup du tiers payant généralisé, où l'on cherche à compliquer encore l'exercice des praticiens libéraux, quid des moyens de prise en charge et d'application des soins palliatifs qui permettraient une fin de vie digne et sans souffrance à domicile, selon le choix du patient ?

Anne    IDE blogueuse Une infirmière à la maison. Pensées, réflexions et anecdotes d'une infirmière "libre".


Source : infirmiers.com