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GRANDS DOSSIERS

Soins douloureux en fin de vie : comment mieux les maîtriser ?

Publié le 20/12/2016
homme depressif

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Le Centre national de ressources de lutte contre la douleur (CNRD) vient récemment de mener une étude épidémiologique sur les soins douloureux en fin de vie. Rendu publics à l'occasion de la 11e journée du CNRD qui s'est déroulée mi-octobre à Paris, ses résultats bruts livrent de premiers enseignements. Même si l’échantillon est exclusivement hospitalier (dont HAD), les infirmiers libéraux peuvent cependant en tirer quelques conseils et leviers d'action éclairés pour faire en sorte d’atténuer ces soins douloureux autant que faire se peut dans leurs prises en charge de fin de vie en ambulatoire.

L'expertise des infirmiers libéraux lors de la prise en soins de patients en soins palliatifs bientôt mieux reconnue via le futur bilan de soins infirmiers (BSI) ? La question est posée.

Considérée parfois comme normale, inévitable, la douleur provoquée par les soins (DPS) peut pourtant être prévenue, traitée ou évitée rappelaient les auteurs en préambule de l'étude. Sa prise en compte dans la démarche soignante se justifie d'autant plus pour les patients susceptibles de relever de soins palliatifs. Déjà accablés par les souffrances imposées par leur maladie, ils doivent subir ces douleurs supplémentaires qui peuvent les fragiliser et les conduire parfois jusqu'au refus de soins.

Les premiers résultats de l'étude SPdol

Le CNRD a donc mené une étude1 épidémiologique observationnelle, multicentrique, « un jour donné ». Baptisée SPdol - Statut de Performance et douleur des soins -, elle visait à établir un état des lieux des procédures/gestes potentiellement douloureux chez ces patients requérant en soins palliatifs, porteurs de maladies graves et évolutives, et ciblés par un Palliative Performance Scale (PPS) (cf. encadré ci-dessous) inférieur ou égal à 60%. Elle consistait aussi à évaluer l'intensité douloureuse associée et à renseigner l'analgésie spécifique employée ou pas.

Cette étude s'est déroulée de mai 2015 à février 2016 dans 7 services de la région parisienne2, dont l’HAD Ile-de-France adulte, incluant au total 150 patients âgés de 18 ans et plus, et relevant pour une grande majorité de maladies oncologiques. Parmi les résultats préliminaires analysés - qui restent encore à être étayés par une analyse statistique fine des données -, il ressort que les infirmiers, aides-soignants ou binômes (variés) sont de loin les opérateurs qui sont le plus à l'origine de ces gestes potentiellement douloureux (près d'une dizaine par patient en 24h). Près des 2/3 concernent les soins d'hygiène et de confort (62,2%) souvent rassemblés en une série qui constitue le temps de la "toilette". Lesquels sont suivis par les ponctions/effractions (12,1%), des gestes divers (10,1% - du type prise de constantes, retrait adhésifs, aide à la prise de médicaments…), puis les mobilisations/transferts, les sondes et aspirations, les actes de kinésithérapie et pansements.

Plus de 8 gestes sur 10 sont effectués sans analgésie spécifique (« avant soins »). A contrario, 13 % le sont avec une analgésie, ce qui signifie qu'ils ont nécessairement été identifiés comme potentiellement douloureux indiquent les auteurs de l’étude SPdol. Parmi ces derniers gestes réalisés avec une analgésie « avant soins », 40% étaient associés à une douleur dépistable (Algoplus® ≥ 2) et un peu plus d’un tiers d’entre eux avaient en plus de "l’avant-soin" un traitement antalgique de fond, de palier III (morphinique) soulignant la fragilité à ce stade et l’importance qu’il y a à prévenir la DPS avec des moyens conséquents relèvent encore les auteurs.

Au final, ces derniers concluent dans leur analyse préliminaire sur l’intérêt d’utiliser le Palliative Performance Scale pour repérer les patients nécessitant une approche palliative. De même font-ils le lien entre la fragilité extrême de ceux à la durée de survie la plus faible et la persistance de douleurs malgré la présence d’analgésie spécifique. Ainsi faut-il peut-être savoir en faire moins si le soin n’est pas destiné à améliorer le confort.

Palliative Performance Scale

Le Palliative Performance Scale (PPS)* est un outil qui permet de déterminer la durée de survie** des malades atteints de cancer ou d'autres maladies ainsi que la nécessité de débuter une démarche palliative à partir, et en deça, du seuil de 60%.

* Anderson F, Downing GM, Hill J, Casorso L, Lerch N. Palliative performance scale (PPS): a new tool. Journal of palliative care. 1996;12(1):5-11. Epub 1996/01/01
** Au départ, il s'agit bien d'un outil qui fait une prédiction sur la survie pour des motifs plutôt organisationnels... Le PPS prédit à partir de l'état du patient plutôt qu'à partir de la gravité reconnue de la maladie. Ce n'est que secondairement qu'on lui a reconnu cette propriété de sélection des patients nécessitant des soins palliatifs, en premier lieu les patients cancéreux.

Quid dans le contexte du domicile ?

Rappelons-le, cette étude a été effectuée sur un échantillon exclusivement hospitalier. S’il est délicat d'extrapoler ses premiers résultats au contexte du domicile, le Dr Frédéric Maillard, l’un des co-auteurs de l’étude, observe que la méthode descriptive utilisée parait cependant « transposable dans d'autres secteurs de soins ». Ainsi, parmi les principaux enseignements à tirer de ce travail pour le contexte propre du domicile, celui-ci indique notamment que « rien ne semble empêcher le repérage au domicile des patients qui nécessiteraient une approche palliative. Mais il faut tenir compte du fait qu’un patient identifié en fin de vie au domicile sera peut-être de nos jours volontiers encadré par une HAD (avec son IDE libérale et son médecin traitant néanmoins). Imaginons seulement la mise en place d’une morphine IV ou PCA ou sous-cutanée ».

À propos des soins d'hygiène et de confort, les plus fréquemment rencontrés parmi les soins douloureux, il suggère par ailleurs d'insister, comme à l'hôpital, « sur la notion de communication entre professionnels », avec les aides à domicile par exemple.». « Dans tous les cas de figure, résume-t-il, l'identification, la mise en évidence, la connaissance, de la douleur provoquée par les soins constituent la première étape de sa prise en charge. Il s'agit d'un enjeu majeur, tant on a tendance à la négliger au regard des objectifs initiaux de soins ». En outre, compte tenu de « la très bonne acceptation de l'échelle Algoplus® dans le cadre de l'étude », ce dernier considère qu’il serait opportun « de généraliser son usage au domicile, pour les personnes âgées dyscommunicantes ». Toutefois, conclut-il, « il faut garder à l'esprit que la meilleure évaluation de la douleur reste l'auto-évaluation quand elle est possible, et que l'hétéro-évaluation (ici Algoplus) doit n'être qu'un outil de deuxième ligne ».

L'expertise des IDEL en soins palliatifs bientôt mieux reconnue via le futur BSI ?

En cas de prise en charge des soins palliatifs à domicile, outre les soins prescrits, les infirmiers libéraux réalisent des actes relevant de leur rôle propre : l’évaluation globale du patient (douleur, état cutané, état psychologique, situation sociale...), les soins de confort pour éviter la majoration de la douleur (dont les soins d’hygiène), mais aussi les soins éducatifs destinés à la personne en fin de vie comme à ses proches. La prise en soin de la personne englobe également les soins relationnels. Toute cette facette du métier de l’IDEL est méconnue des autorités, parfois même du médecin traitant lui-même. Il faut dire que ce temps n’est pas identifié et donc non rémunéré en tant que tel. La nomenclature des actes infirmiers ne le permet pas. C’est pourtant un rôle essentiel que celui de rassurer, d’accompagner, d’échanger avec l’entourage à plus forte raison quand on accompagne la famille depuis des années. Ainsi, au-delà de sa compétence, l’IDEL présente l’immense avantage de bien connaître son patient et son entourage, d’avoir un lien personnalisé avec eux, d’être joignable à tout moment, d’être extrêmement réactif et disponible…, et surtout, d’être le mieux placé comme interlocuteur unique, ce qu’aucune structure ne peut offrir. Le patient dispose du numéro de portable de son infirmier qu’il peut solliciter à tout moment. Le bilan de soins infirmiers (BSI), qui devrait prochainement succéder à la démarche de soins infirmiers (DSI), devrait permettre de mieux valoriser cette plus-value apportée par l’IDEL. Ce serait un premier pas. Il faudrait également reconnaître l’IDEL comme coordinateur d’appui, et mieux valoriser l’évaluation et la surveillance de la douleur.

Notes

  1. Maillard F, Cimmerman P, Thibaut M, Guirimand F, et al. Statut de performance et douleur des soins : résultats préliminaires de l'étude SPdol. 11e journée du CNRD, 13 oct. 2016, Paris
  2. Services de neurologie, d'oncologie médicale, de néphrologie et de médecine interne des hôpitaux parisiens Saint-Antoine et Tenon (AP-HP), HAD Ile-de-France (AP-HP) et unité de soins palliatifs (USP) de la Maison médicale Jeanne Garnier à Paris.

Valérie HEDEF  Journalistevalerie.hedef@orange.fr

Cet article a été publié dans le journal de la Fédération nationale des Infirmiers (FNI) « Avenir et Santé » n°449, décembre 2016, pp. 32-33. Merci de ce partage.


Source : infirmiers.com