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AU COEUR DU METIER

Savoir compter sur les IDE hospitaliers face aux défis organisationnels

Publié le 06/11/2018
équipe soignante, hôpital

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L’innovation organisationnelle en établissements de santé ? La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a fait un premier pas dans ce sens avec la création d’un fonds pour l’innovation organisationnelle doté d’une enveloppe de 20 millions d’euros en 2018. Alors que les hôpitaux publics et les cliniques privées vont se saisir de cette opportunité pour expérimenter de nouveaux parcours de soins et de nouvelles coopérations, quelles leçons peut-on tirer des expériences à l’étranger (notamment dans le monde francophone) ?

L’innovation organisationnelle : un enjeu pour l’avenir

En Suisse, le « case manager », assisté d’un data manager, prend en charge les soins des patients tout au long du parcours. Dotshock/Shutterstock

Si, en général, l’innovation est d’abord entendue comme thérapeutique ou technologique, aujourd’hui les établissements de santé se doivent également de transformer leurs organisations, et notamment les métiers de la santé et du soin.

L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 prouve combien l’innovation organisationnelle est essentielle à notre système de santé. Le dispositif de financement prévu dans le texte vise en effet à encourager et soutenir les expérimentations d’organisations innovantes dans l’objectif : d’améliorer l’accessibilité des services de santé aux usagers ; de fluidifier leur parcours médical et de soin tout en veillant à une meilleure utilisation des ressources, financières bien sûr mais aussi humaines (expertise des professionnels) et techniques (dernières innovations techniques de diagnostic et de traitement) ; le tout en assurant un suivi de qualité.

L’innovation organisationnelle doit ainsi être pensée de manière ouverte, comme le montrent les travaux du professeur américain d’innovation Henry Chesbrough : conçue de manière collaborative et ouverte autour du partage de connaissances, elle est vectrice de nouvelles solutions particulièrement intéressantes.

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Des indices d’une telle prise de conscience et d’actions concrètes se développent dans tous les univers de la santé, comme en témoignent la constitution de réseaux de professionnels, instaurant un espace d’échange et de dialogue propice à aller plus loin.

Une nécessaire évolution des ressources humaines

Les innovations thérapeutiques ou technologiques évoquées plus haut imposent souvent une adaptation des services hospitaliers, notamment dans les champs du management et de l’allocation des ressources humaines. Les habitudes de travail sont parfois bouleversées et de nouveaux métiers peuvent apparaître. Les professionnels de santé en place acquièrent ainsi de nouvelles compétences ; certains doivent accepter une délégation de tâches et/ou un exercice en équipe pluridisciplinaire. De nouvelles synergies entre métiers et entre services peuvent se former.

Tous ces changements, qui modifient le quotidien et les habitudes, ne se réalisent ni naturellement ni spontanément. La directrice générale de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), Sophie Martinon, a d’ailleurs encouragé les acteurs du monde de la santé au changement. « Tout le monde est habilité à proposer des innovations organisationnelles et ensuite à les porter. Tout le monde est légitime. Il n’y a pas de monopole, et puisque ces innovations ont un impact dans le quotidien, elles doivent s’ancrer et être pragmatiques », a-t-elle ainsi insisté dans une récente déclaration officielle.

Le métier infirmier, notamment, connaît des transformations importantes, illustrant la nécessité d’une innovation dans les organisations de santé. La Suisse et le Québec fournissent des exemples très concrets à cet effet, montrant l’intérêt, pour les établissements de santé, d’innover en matière de coordination de soins.

En Suisse, le « case manager »

Les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) ont notamment expérimenté, dans leur Centre du Sein, la fonction de « case manager ». Celui-ci, assisté d’un data manager, prend en charge les soins des patients tout au long du parcours, depuis la prévention jusqu’à la guérison en passant par le dépistage, le diagnostic et l’ensemble des soins liés à cette pathologie.

La fonction est confiée à une infirmière expérimentée qui n’a pas de contact direct avec la patiente (selon la volonté expresse des médecins), mais qui assure la coordination de l’ensemble du parcours de la patiente à partir du premier appel. Le data manager, quant à lui, collecte les données médicales et de soins des patientes à des fins analytiques et de « benchmarking » (comparatif). Cette fonction est proche, en France, de celle d’un médecin DIM (Département d’Informations Médicales). Mais, alors que le data manager assure, pour une seule pathologie, la collecte des données médicales des patientes à des fins analytiques, le médecin DIM français code et collecte ces informations pour l’ensemble des prises en charge d’un hôpital.

En Suisse, le case manager a alors accès en temps réel à toute l’information et organise le parcours dans l’établissement ainsi qu’en dehors, à partir d’un dossier médical partagé. Ses domaines d’intervention sont délimités en amont par l’organisation et les médecins qui lui attribuent toutes compétences pour définir les rendez-vous médicaux, transmettre les comptes rendus de suivi et compléter le dossier médical partagé. Ce modèle de case manager est essentiellement focalisé sur la dimension organisationnelle du suivi du patient. La transmission des informations médicales au patient restent dans les attributions des médecins et des personnels soignants.

L’infirmière pivot au Québec

Toujours en cancérologie, mais cette fois-ci outre-Atlantique, la fonction d’infirmière pivot, mise en œuvre au Québec, est en partie similaire à celle de case manager mais présente quelques spécificités. Les travaux de la Chaire sur l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins aux personnes atteintes de cancer de l’Université de Sherbrooke définissent avec précision cette fonction dans le domaine de la cancérologie. Comme dans l’exemple suisse, l’infirmière pivot intervient dans le suivi des patients dès leurs premiers contacts avec l’établissement pour du dépistage ou pour de la prise en charge après diagnostic médical.

En revanche, elle est en contact direct avec les patients et leurs familles afin d’évaluer leurs ressources et leurs besoins de santé. Elle les informe sur les différents aspects de la maladie, sur les traitements et ses conséquences, et sur le suivi à court, moyen et long terme. Enfin, comme le case manager, elle assure la coordination et la continuité des soins entre tous les intervenants. Le modèle de l’infirmière pivot recouvre à la fois des dimensions informationnelles et organisationnelles du parcours de soin, ce qui peut renforcer la fluidité du parcours à la condition que son rôle soit accepté par tous les acteurs.

En France, des freins à comprendre afin de mieux les dépasser

Ces deux exemples viennent éclairer la réflexion en cours sur la coordination des soins dans le système de santé français. Dans ce cas précis, il reste néanmoins quelques obstacles importants, mais non irréductibles, à la diffusion progressive des innovations organisationnelles en matière de coordination des parcours de soins et de santé :

  • Les moyens financiers des établissements de santé publics demeurent contraints par une surreprésentation de l’indicateur « activité » dans les modes de gestion des structures. La coordination des soins représentant, avant toute chose, une charge supplémentaire, il conviendra de convaincre les gestionnaires des établissements qu’elle peut avoir à long terme un effet sur la réduction des coûts et/ou sur l’augmentation de l’activité rémunérée.

  • L’organisation du système de santé fonctionne encore largement sur le modèle des bureaucraties professionnelles dans lesquelles la standardisation des qualifications reste le mode d’ajustement privilégié (Mintzberg, 1982). Ceci tend à d’abord favoriser la coordination entre les professionnels des spécialités médicales ou médico-techniques (par exemple : la cancérologie, l’imagerie médicale, la médecine de ville, la pharmacie, etc.) même si des efforts importants ont été accomplis pour réduire le cloisonnement professionnel, notamment dans le milieu de la cancérologie.

Laurent Mériade, Enseignant chercheur en sciences de gestion - Titulaire de la chaire de recherche "santé et territoires" - IAE, Université Clermont Auvergne; Anne Albert-Cromarias, Enseignant-chercheur HDR, management stratégique, Groupe ESC Clermont; Catherine Dos Santos, Professeur de Management Stratégique, Groupe ESC Clermont et Corinne Rochette, Maitre de conférences en sciences de gestion HDR (management public, territorial et de la santé), Université Clermont Auvergne.

Ce texte s’inscrit dans une série d’articles autour de la thématique « Santé publique », sujet du colloque de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui se tient les 6 et 7 novembre, à Bruxelles avec plus de cent cinquante acteurs francophones : établissements universitaires, représentants gouvernementaux, représentants des agences nationales, experts des politiques de santé publique dans le monde francophone.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Source : infirmiers.com