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LIVRE

"Réparer les vivants"... : l'histoire d'un "corps à coeur"

Publié le 21/06/2019
couveture Réparer les vivants

couveture Réparer les vivants

réanimation salle de bloc

réanimation salle de bloc

coeur champ fleurs

coeur champ fleurs

"Réparer les vivants", un titre emprunté à Tchekhov, est un roman à flux tendu, fait d'accélérations paniques et de pauses méditatives. Maylis de Kérangal trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur va bien au-delà de sa seule fonction organique à l'occasion d'une greffe. A lire comme une épopée héroïque, une chanson de gestes comme un geste d'amour. L'adaptation cinématographique1, réalisée par Katell Quillévéré, présentée en salle en novembre 2016 est disponible en DVD. L'occasion de le revoir ou de le relire à la veille de la journée nationale de réflexion sur le don d'organes et la greffe et de reconnaissance aux donneurs le 22 juin de chaque année.

« Réparer les vivants » le film : l'histoire d'un « corps à coeur »

Tahar Rahim incarne avec humanité Thomas, l'infirmier coordinateur de greffe.

Adapter à l'écran ce roman si profond de Maylis de Kérangal « Réparer les vivants », sorti en 2014, aventure humaine haletante à travers l'histoire d'une transplantation cardiaque, relèvait presque de l'impossible tant l'écriture est ciselée, précise et habitée ; une exacerbation des sentiments au lyrisme échevelé.

La jeune cinéaste Katell Quillévéré s'y est donc essayée - son film éponyme est présenté en salle le 1er novembre - et le défi est plutot réussi. Cette épopée dramatique joue sans cesse sur des registres opposés : la vie/la mort, le refus/l'acceptation, la privation/le don, la souffrance/la renaissance, les ténèbres/la lumière. Mise en scène nerveuse, pulsée et tourbillonnante lorsque l'on est du côté de la vie, plans et scènes plus intimistes lorsque, face à la mort, la souffrance étouffe et les sentiments contradictoires s'entremêlent. Il y a du Xavier Dolan chez Katell Quillevéré, la même appétence à montrer l'indicible, à dessiner les contours intimes des personnages, à emporter le spectateur dans une course folle au rythmne d'une bande son qui l'est parfois tout autant.

« Dans les naufrages du cœur, comme dans les naufrages de l'océan, le moindre mot d'espoir devient une planche de salut à laquelle en cherche à se cramponner. »
Jean-Napoléon Vernier, Fables, pensées et poésies (1865)

A travers l'histoire de cette transplantation cardiaque, le coeur est de toutes les images, au figuré comme au propre...

Simon, 17 ans, beau comme un coeur qui bat la chamade. Il s'en donne à coeur joie pour épancher sa quête d'amour auprès de sa jeune conquête, vivant le coeur léger - mais avec du coeur au ventre - sa passion fulgurante pour le surf jusqu'au moment où...

Les parents de Simon qui, le coeur brisé et la rage au coeur, trouveront la force d'avoir du coeur, un coeur d'or, tourné vers le don et la force de vie d'autrui...

Les soignants - et notamment Pierre le réanimateur hospitalier et Thomas l'infirmier coordinateur de greffe - qui parlent à coeur ouvert pour en avoir le coeur net mais aussi tous ceux qui mettent du coeur à l'ouvrage pour préléver et greffer ce coeur... Il y a même l'infirmière… plutôt petit coeur fragile, voire coeur d'artichaud

Claire, 50 ans, dont le coeur lâche, mère et femme épuisée, qui doit faire contre mauvaise fortune bon coeur et qui ne ne sait pas si « elle a envie de vivre avec le cœur d'un mort », alors qu'elle attend une greffe depuis des mois...

Alors bien sûr, et on peut s'en trouver frustré, le scénario de la réalisatrice fait des raccourcis ou prend des libertés mais, entre le coeur d'un jeune garçon qui bat mais fait débat, et celui, défaillant, d'une quinquagénaire à bout de souffle, il y a le don de soi et le don de vivre. Cette histoire de « corps à corps » qui se termine « en corps à coeur » nous montre avec acuité qu'il y a bien une vie après la mort, une force vitale qui permet d'aller de l'avant dans des moments de drame infini…Un beau plebiscite, réaliste, précis et documenté sur le don d'organe - le film est d'ailleurs soutenu par l'Agence de Biomédecine.

Restaurer les morts, puis réparer les vivants... Il suffit alors d'une seule pulsation pour montrer que de battre le coeur ne s'est jamais arrêté…

1- Réparer les vivants », drame de Katell Quillévéré (France). Avec Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval, Bouli Lanners, Alice Taglioni. Distribué par Mars Film. Durée : 1 h 43. En salle le mardi 1er novembre 2016. DVD disponible depuis mars 2017.

Voici la bande-annonce de ce long-métrage émouvant et déchirant à la fois !

"Réparer les vivants, le livre" : une approche mixte du deuil et de la renaissance

Sur un thème difficile, celui d'une transplantation cardiaque, Maylis de Kerangal dans son dernier roman emporte le lecteur dans une aventure humaine haletante et sans pathos. Ecriture ciselée, phrases longues et touffues, fiction documentée, style habité et incisif, à la fois précis comme un scalpel et lyrique comme peut l'être un violon, l'auteur nous bouleverse dans cette approche mixte et toute personnelle du deuil et de la renaissance. Car pour prélever un coeur et le transplanter, il faut un donneur... Ce sera Simon Limbres, un jeune homme de dix-neuf ans, passionné de surf qui, après une virée nocturne à la rencontre de la belle vague, au Havre, percute de plein fouet un poteau dans le van qui le ramène chez lui... Aux urgences de l'hôpital, c'est le médecin Pierre Révol qui va devoir annoncer à Marianne et Sean, les parents de Simon, la mort de leur jeune fils. Mais le coeur de Simon, aidé par la machine, bat toujours.

Votre fils est dans état grave. Aux premiers mots prononcés - timbre clair, cadence calme - Marianne appuie ses yeux - secs- dans ceux de Révol qui la regarde idem, tandis que sa phrase se met en branle, tandis qu'elle se compose à présent, limpide sans être brutale... (...) Il s'agit d'un coma profond. Les secondes qui suivent ouvrent un espace entre eux, un espace nu et silencieux, au bord duquel ils se tiennent un long moment (...) L'état de Simon est évolutif, et cette évolution ne va pas dans le bon sens. (...) Les lésions de Simon sont irréversibles. Il a le sentiment pénible de flanquer un coup, l'impression de faire péter une bombe. (...) Simon est en état de mort cérébrale. Il est décédé. Il est mort.

Un style habité et incisif, à la fois précis comme un scalpel et lyrique comme peut l'être un violon...

Un roman comme une épopée héroïque, une chanson de gestes comme un geste d'amour...

Vont s'en suivre 24 heures épiques que l'auteur nous raconte presque minute par minute. Un temps mêlé de choc, de sidération, de chaos intime, de refus, de silence et de colères, de discussions, d'acceptation, de séparation et de réparation.

Il s'agit en même temps pour les parents de Simon d'accepter le deuil de leur enfant et le prélèvement d'organes qui va s'en suivre car il faut aller vite. Le temps s'est pourtant arrêté pour Simon et sa famille. Thomas Remige, infirmier coordinateur des prélèvements d'organes et tissus, va devoir proposer l'impensable aux parents, la double peine.

Révol vient de s'introduire dans la pièce. Sean se retourne et l'interpelle : j'entends son coeur qui bat - il semble que le bourdonnement des machines s'amplifie à cet instant - puis de nouveau, insistant : son coeur bat n'est-ce pas ? Oui Révol insiste, son coeur bat, grâce aux machines. (...) Sean soudain hausse le ton , éclate : vous n'avez rien tenté ! Révol grimace sans broncher, voudrait répliquer quelque chose mais sent qu'il ne peut que se taire.

Ok, on prélève quoi . Sean a réattaqué tête baissée regard par-dessous et Thomas, surpris par ce changement de cap, fronce les sourcils et se cale illico sur ce nouveau temps : il est question de prélever le coeur, les reins, les poumons, le foie, si vous consentez à la démarche, vous serez informés de tout, et le corps de votre enfant sera restauré...

Je ne veux pas qu'ils ouvrent son corps, qu'ils le dépiautent, je ne veux pas qu'ils le vident - pureté chromatique de la voix de Sean, blanche que le froid aiguise comme la cendre sur la lame... (...) Ils ne lui feront pas de mal, ils ne lui feront pas de mal. La voix de Marianne est prise dans un filtre textile... (...) Sean acquise, d'accord, il faut retourner là-bas maintenant. Il est donneur.

L'épopée collective va alors commencer puisque tous les protagonistes sont réunis. Des personnages inanimés, réanimés et qui pourtant s'animent, en choeur, autour d'une même cause.  Avec la mort cérébrale de Simon, la famille vit la sidération alors que les soignants s'incarnent peu à peu, diablement humains, habités de leurs passions personnelles : l'infirmier coordinateur qui chante, Pierre le réanimateur aguerri, l'infirmière Cordélia et ses amours bancales, Marthe à l'Agence de Biomédecine, les chirurgiens préleveurs et transplanteurs... et Claire, 51 ans, qui va recevoir le cœur d'un inconnu de dix-neuf ans, Simon.

On a un coeur. Un coeur compatible. une équipe part immédiatement prélever. Venez maintenant. La transplantation aura lieu cette nuit. Vous entrerez au bloc autour de minuit. (...) Elle [Claire]est terrifiée comme jamais, elle est anesthésiée par la terreur (...) c'est maintenant, c'est cette nuit. (...) Le bloc est prêt. Le scialytique projette sur la table d'opération une lumière blanche, verticale et sans ombre portée, les spots rassemblés en bouquet circulaire convergeant leurs faisceaux sur le corps de Simon Limbres que l'on vient d'amener sur sont lit (...) Il est placé au centre de la pièce - il est au coeur du monde.

Demain matin, Simon Limbres sera remis à sa famille, à Sean et à Marianne, à Juliette et à Lou, à ses proches, il leur sera rendu ad integram.

A l'heure de "l'après", Thomas redonnera au corps "outragé" de Simon allure humaine, pour le rendre à sa famille restauré

Thomas lave le corps, ses mouvements sont calmes et déliés, et sa voix qui chante prend appui sur le cadavre pour ne pas défaillir tout comme elle se dissocie du langage pour s'affermir, s'affranchit de la syntaxe terrestre pour aller se placer en ce lieu exact du cosmos où se croisent la vie et la mort : elle inspire et expire (...) ; elle convoie la main qui revisite une dernière fois le modelé du corps, on reconnaît chaque pli et chaque espace de peau  (...) Le chant s'amplifie encore dans le bloc opératoire tandis que Thomas enveloppe la dépouille dans un drap immaculé - ce drap qui sera noué ensuite autour de la tête et des pieds - et, l'observant travailler, on songe aux rites funéraires qui conservaient intactes la beauté du héros grec venu délibérément mourir sur le champ de bataille, ce traitement particulier destiné à en rétablir l'image, afin de lui garantir une place dans la mémoire des hommes.

« Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps. »

• Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Collection Verticales, Gallimard, 2014

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com


Source : infirmiers.com