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AU COEUR DU METIER

Réflexion - « On ne fait rien, il va mourir... »

Publié le 27/06/2013

Nous avons tous été confrontés, souvent à plusieurs reprises, à la prise en charge d’un patient en fin de vie au cours de notre parcours professionnel. Certaines fois plus facilement que d'autres. Pourquoi ? Qu'est-ce qui fait frein ou, au contraire nous aide ? Réflexions dans un contexte précis : celui de patients atteints d'insuffisance cardiaque dans un service de soins intensifs en cardiologie.

Accompagner la vie jusqu’à la fin de la vie...

Qui n'a jamais entendu prononcer cette phrase en tant que soignant ? Est-il vrai que lorsque la mort approche pour nos patients nous ne faisons plus rien pour eux ? Pour ma part, je n’en crois rien. Il reste beaucoup de choses, de gestes, d'attitudes à adopter pour pouvoir les accompagner, ainsi que leurs proches, jusqu'à l’issue fatale, moment tant redouté de tous.

Infirmière diplômée en 2009, je travaille actuellement - et depuis bientôt trois ans - dans un service de soins intensifs de cardiologie. Depuis ma formation initiale, je me pose beaucoup de questions sur nos pratiques et notamment celles sur l'accompagnement des personnes en fin de vie. Est-ce un transfert ? Possible car, dans mon service, nous sommes régulièrement confrontés à la prise en charge des personnes atteintes d'insuffisance cardiaque1 en phase terminale. Pour ces patients, aucun traitement ne pourra améliorer leur état de santé. Cela me conduit donc à me questionner sur les conduites et attitudes à adopter face à eux. Qu'est-ce qui pourrait être amélioré ? Où sont les limites de la prise en charge d'une personne en fin de vie dans un service dit « d'urgence » ? Y-a-t-il en la matière un manque de formation de l'équipe médicale et paramédicale ? Un manque de temps ? Face à ces questions multiples, je vais tenter quelques pistes de réponses à partir de mon expérience.

Depuis ma formation initiale, je me pose beaucoup de questions sur nos pratiques et notamment celles sur l'accompagnement des personnes en fin de vie.

Quelques définitions et textes de lois

Avant de s'interroger sur nos pratiques face à un patient en fin de vie, il me semble important de faire le point sur certaines définitions et sur ce que dit la loi. L'insuffisance cardiaque, maladie fréquente et grave, est une pathologie chronique qui non comptant d’altérer sensiblement la santé du patient, altère plus encore sa qualité de vie. Rappelons que la santé est définie, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».

Suite à l'annonce d'une maladie telle l’insuffisance cardiaque, l'étape dite « curative » se met en place. Il se peut, après de nombreuses années en général, lorsque le traitement ne contrôle plus la maladie que l'étape « paliative » suive. La prise en charge de la douleur et l'accompagnement des proches sont alors très importants ; une démarche soignante et globale pourtant peu fréquente aujourd’hui. L'OMS2, ainsi que la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs, (SFAP) proposent une définition des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des actions, actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave et évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. […] Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables. […] »

Il peut aussi y avoir une phase dite « de fin de vie » où l'objectif des soins est d'écouter les demandes des patients et de prendre les décisions en équipe par lors de réunions pluridisciplinaires par exemple.

On parle également d'accompagnement de la personne en fin de vie. Selon le dictionnaire médical, il consiste en une prise en charge globale des besoins physiques, psychologiques et sociaux de manière à ce que le patient ait une qualité de vie requise à la dignité humaine. Le patient hospitalisé a en effet droit au respect et à la dignité selon les Articles L. 1110-2, L.1110-3, L. 1110-4 du code de la santé publique. Deux autres textes sont fondamentaux :

Ces deux lois édictent des notions importantes pour la prise en charge des patients en fin de vie hospitalisés. Cependant, malgré ces textes légaux, le code de déontologie et les réglementations du code de la Santé publique, les difficultés d'une prise en charge optimale demeurent en pratique. Des difficultés liés aux patients ? Aux soignants ? La difficulté première, me semble-t-il, est d’initier une démarche de soins palliatifs dans l'insuffisance cardiaque car la principale difficulté est d’identifier à quel moment la mettre en place.

Identification difficile mais ensuite ?

En effet, il n'existe pas de « marqueurs » pour la fin de vie du patient atteint d'insuffisance cardiaque. Il est donc difficile pour les cardiologues de définir précisément à quel moment les traitements ne seront plus efficaces et combien de temps, de jours, de semaines il reste à vivre à nos patients. Deux questions se posent alors : limiter la prise en charge curative et initier une démarche de soins palliatifs oui, mais quand ? De plus, lorsque cette décision médicale est actée, des difficultés surgissent chez les soignants lorsqu’il s’agit d'arrêter un traitement actif par seringue électrique (par exemple la dobutamine) et le substituer par un traitement sédatif (hypnovel, par exemple). Chaque soignant en connaît les effets secondaires, ce qu’il vit plus ou moins bien car cela le confronte à son propre concept de la mort et à la vision qui en découle.

Nous adoptons tous des mécanismes de défense3 lors d'un moment dérangeant et les réactions sont très différentes d’un soignant à l’autre. Certains éviteront le regard du patient, d’autres mettront de la distance dans la relation soignant/soigné, d’autres encore seront touchés au plus profond d’eux-même et opérerons un transfert... Autant d’attitudes qui impactent la qualité de prise en charge à ce moment clé de l'accompagnement d'une personne en fin de vie.

Cette même notion de deuil est également vécue différemment par chaque patient ainsi que par la famille et les proches qui l’accompagnent. Les soignants ne sont pas épargnés : eux aussi doivent faire le deuil du « soin idéal », celui qui soigne et qui guérit la maladie. Ces différentes étapes du deuil4 - indispensables pour arriver à une phase d'acceptation - déroulées dans le temps sont également un frein dans l'accompagnement du malade. Le rôle d'accompagnant externe est, répétons-le, très important lors de ces étapes, il s'intègre dans la relation d'aide5. Le soignant doit s'appuyer sur ses propres ressources tout en ayant conscience de ses limites. Il lui faut alors du temps pour pouvoir adopter la bonne attitude, développer une écoute active, un respect, une empathie, une congruence. Or, le temps manque parfois dans un service de soins intensifs et d'urgence. Parfois un autre patient requiert une forte disponibilité soignante lors d’une pose de drain, de cathéter central ou d’une réanimation. Les soignants privilégient alors les urgences vitales aux accompagnements...

Autre question : pouvons-nous déléguer cet accompagnement ? La famille peut jouer un rôle important à condition qu'elle soit, elle aussi, épaulée et soutenue. De plus, dans certains établissements, des équipes mobiles de soins palliatifs peuvent être appelées en renfort. Leur soutien en tant qu’experts pour le patient et ses proches mais aussi pour l'équipe soignante est précieux. Encore faut-il y recourir.

Pour un accompagnement de qualité, il faut également, me semble-t-il, une communication pluridisciplinaire et homogène à propos du patient. Trop peu de réunions ont lieu pour échanger sur les cas qui posent question. Quid, par exemple, de l’incompréhension de l'équipe paramédicale face au maintien des traitements curatifs alors que l’état du patient est très dégradé. Il y a également trop peu d'entretiens avec le patient et sa famille pour échanger, évaluer l'état de santé, son évolution, les besoins, les demandes et les réponses le plus adaptées.

Le soignant doit s'appuyer sur ses propres ressources tout en ayant conscience de ses limites.

Pour ne pas conclure...

Si nous connaissons nos limites pour un accompagnement de qualité, que faire alors pour tenter d'améliorer la prise en charge de ces patients en fin de vie ? Au-delà de toutes les belles théories en la matière, nous avons tous en tant que professionnels de santé, les clés pour réussir un accompagnement de qualité. Alors pourquoi ce sentiment de ne pas pouvoir le faire au mieux ? Comme souligné précédemment, nos propres peurs et nos idées reçues sur la mort orientent nos faits et gestes et l’importante charge de travail dans le service a également un fort impact sur la qualité de nos prises en charge. Si nous essayons cependant de faire au mieux pour que chacun de nos patients puisse combler ses besoins lors de ses derniers instants, pourquoi alors ce sentiment d'échec qui perdure ? Vouloir toujours faire mieux et parfaitement ?

Utopique me direz-vous... Le mieux n'est-il pas justement de faire de son mieux selon ses moyens psychiques, l’appui de l’équipe soignante et la réalité des services de soins ? Se remettre en question est toujours nécessaire car bénéfique pour faire évoluer nos pratiques. Il appartient donc à chacun d'entre nous de réfléchir à la meilleure façon d’accompagner et d’aider nos patients à supporter ces instants difficiles, de manière conjointe.

Notes

  1. L'insuffisance cardiaque est l'incapacité du système cardiovasculaire dans son ensemble à apporter l'1oxygène et tout les nutriments à toutes les cellules de l'organisme avec des pressions de remplissage normales.
  2. L'OMS définit les soins palliatifs selon l'Article 1er de la loi n°99-477 Droit de la personne malade et des usagers du système de santé.
  3. Les mécanismes de défense sont en premier utilisés par Freud. Ils peuvent s'appliquer aux soignants comme aux patients. Il en existe beaucoup comme le refoulement, le déplacement, l'isolation, la dénégation, la projection, le déni de la réalité.
  4. Élisabeth Kübler-Rossa observé les différentes étapes lors d'un processus de deuil. Il en existe six : le choc, le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation.
  5. La relation d'aide est définie par Carl Rogers comme « une situation dans laquelle l'un des participants cherche à favoriser chez l'une ou l'autre partie ou chez les deux une appréciation plus grande des ressources latentes de l'individu, ainsi qu'une plus grande possibilité d'expression et un meilleur usage fonctionnel de ces ressources »

Bibliographie 

  • Quevauvilliers J., Dictionnaire Médical de Poche, Ed. Masson, 2006, 516 p.
  • Hesbeen W., Prendre soin à l'hôpital, Inscrire le soin dans une perspective soignante, Ed. Masson, 1997, 195 p.
  • Bioy A., Maquet A. Se former à la relation d'aide, Ed. Dunod 2007, 199 p.

Pauline MARAIS IDE 2009, CHRU de Tours pauline.marais@sfr.fr


Source : infirmiers.com