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Rééducation post-Covid : « les patients se réentraînent à l’effort »

Publié le 29/12/2020
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Atteints par des formes graves du coronavirus, ils sont passés par la réanimation et l’intubation. Ces patients tirés d’affaire entament désormais plusieurs semaines de rééducation à l’Institut Universitaire de Réadaptation Clemenceau, qui compte deux sites, l’un à Strasbourg et l’autre à Illkirch, et deux unités ouvertes pour les patients Covid. C’est là que s’activent médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, diététiciens, psychologues… toute une équipe dont l’objectif est de rééduquer les patients aux gestes de la vie quotidienne afin qu’ils retrouvent au maximum leur autonomie. Marie Velten, coordinatrice des soins, Raphaël Donne-Levy et Sandra Geiss, infirmiers, et Céline Duwique Heid, orthophoniste, nous racontent en quoi consiste ce retour à la vie après l’épreuve du Covid.

Fonte musculaire massive, dénutrition, perte de poids importante (10kg en moyenne), troubles de la déglutition liés à l'intubation, difficultés respiratoires… Certains patients ont été alités de nombreuses semaines, ce qui a entraîné de multiples troubles.

Ils ont frôlé la mort. Ils ont connu la réanimation, l’intubation et le réveil. Les patients pris en charge dans les deux unités Covid de l’Institut Clemenceau, de respectivement 28 et 26 lits, font partie des 50% de ceux qui s’en sont sortis après la réanimation. S’il arrive que certains guéris du Covid se remettent bien et rentrent presque immédiatement à domicile, d’autres ont besoin de soins, parfois durant de longues semaines. L’établissement, reconnu pour sa prise en charge en Médecine physique et de réadaptation, s'est donc réorganisé pour les accueillir. On a observé que le court séjour avait besoin de filières d’aval pour l’accueil des patients post-Covid en phase aigüe. Un circuit d’admission dédié aux patients Covid a donc été créé afin de fluidifier le parcours du patient. Ce circuit comporte une équipe mobile qui se rend au CHU pour une visite permettant de valider en direct l’admissibilité de la personne en secteur de médecine physique et de réadaptation, explique Marie Velten, coordinatrice des soins à l’Institut Clemenceau. Une cellule de coordination des admissions se réunit également au quotidien pour la validation finale et la prise en charge de l’aspect logistique liée à ces admissions.

« Les gestes de la vie courante sont devenus très difficiles »

Les patients passés par la réanimation et orientés vers le centre Clemenceau ont des profils variés. Ce sont en majorité des hommes, mais aussi des femmes. L’âge moyen tourne autour de 60, 65 ans, mais le plus jeune patient admis ici est une femme de 34 ans, sans antécédents particuliers ni maladies associées, nous précise l’équipe. S’il y a effectivement de grandes tendances, le Covid peut toucher tout le monde. Et pas forcément des gens qui avaient des comorbidités associées, rappelle Marie Velten. A leur arrivée, ce qui caractérise nos patients, c’est une immense fatigue, explique Sandra Geiss, infirmière à la solide expérience chargée de leur prise en charge dans les unités Covid. Les déplacements, les gestes du quotidien sont devenus très pénibles, avant tout sur le plan respiratoire. Certaines personnes sont encore sous oxygène. Il faut donc peu à peu les sevrer. La déglutition, les premiers jours, est aussi devenue très difficile : le processus est en dysfonctionnement du fait de l’intubation.

Fonte musculaire massive, dénutrition, perte de poids importante (10kg en moyenne), troubles de la déglutition liés à l'intubation, difficultés respiratoires… Certains patients ont été alités de nombreuses semaines, ce qui a entraîné de multiples troubles. Certains souffrent d’un déficit moteur, de problèmes neurologiques. Ils ont des difficultés à se laver seuls, à manger seuls, à marcher… , raconte Raphaël Donne-Levy, également infirmier, venu prêter main forte dans ces unités. Ce sont des gens qui sont vraiment asthéniques. Au début, chaque effort coûte, il faut tout réapprendre et il faut de nombreuses aides, précise Marie Velten. L’équipe soignante prend donc en charge les soins de base : boire, manger, se déplacer, s’habiller… en plus des gestes plus techniques tels que la surveillance des paramètres vitaux, la prise de constantes, l’administration des médicaments par voie veineuse, la nutrition parentérale…

Sur le plan psychologique aussi, les dégâts sont importants. On constate une grosse perte de l’appétence, de la désorientation, une tendance à la dépression, racontent Raphaël Donne-Levy et Sandra Geiss, dont les patients, très éprouvés psychologiquement, sont souvent angoissés, font beaucoup de cauchemars, une autre caractéristique récurrente après le passage en réanimation à cause du covid-19. Pour la plupart ils ont eu l’impression qu’ils allaient mourir. Beaucoup ne se souviennent plus de la réanimation. Une dame qui est arrivée ici ne se souvient même plus de la semaine avant son hospitalisation, raconte l’infirmière. Pour tous, la maladie a été une épreuve. Aujourd’hui, ce qu’ils vivent le plus mal ce sont leurs cauchemars. Ils ont frôlé la mort. Certains redoutent aussi d’être réinfectés.

On a envie d’être porteurs d’espoir pour le patient, de lui redonner goût à la vie en se projetant dans l’après-Covid, de lui montrer que c’est possible de se rétablir. 

Réapprendre à boire, à manger, à respirer…

L’état des patients qui arrivent en rééducation-réadaptation nécessite un accompagnement pluridisciplinaire au plus près des besoins. Chacun a un rôle à jouer. Kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, psychologues, toute la population soignante, médecins, infirmiers, aides-soignants, mais aussi les ASH, qui se chargent du bio-nettoyage renforcé, tâche primordiale en ces temps d’épidémie pour endiguer la chaîne de contamination par contact avec les surfaces.

Lors de toute l’admission, le patient est vu en entretien médical et paramédical pour un bilan ; pour ces patients un bilan orthophoniste est également indispensable dès leur entrée au vu des troubles de déglutition qu’ils présentent et des risques de fausses routes qui en découlent* (cf notre encadré plus bas), explique Marie Velten. Notre objectif à partir de là va être de construire un projet de rééducation / réadaptation ainsi qu’un projet de vie. On a envie d’être porteurs d’espoir pour le patient, de lui redonner goût à la vie en se projetant dans l’après-Covid, de lui montrer que c’est possible de se rétablir. Pour beaucoup malgré tout, il faudra du temps, de la patience, la présence et l’accompagnement de toute l’équipe. Au début, c’est en restant à côté d’eux, en faisant à leur place qu’on avance, et puis en les laissant peu à peu reprendre le contrôle. On a un monsieur, par exemple, avec qui on a réinstauré le fait de couper la viande tout seul avec ses couverts. On est à côté de lui pendant les repas et on l’aide quand il le faut, détaille Raphaël Donne-levy. Comme les patients sont assez fatigables, on les laisse commencer et on prend le relais lorsque ça devient nécessaire. C’est évidemment plus long et plus lent que le fait de faire les gestes à leur place, ajoute Sandra Geiss. Au début, on les aide énormément et puis ils regagnent en autonomie. Ils se réentraînent à l’effort, résume l’infirmière.

Pour tous, patients comme soignants : il y aura un avant et un après Covid

Les patients nous le disent, ils voient tout à fait autrement leur vie d’après-Covid, raconte Sandra Geiss. Et le chemin est semé d’embûches. Pour certains, l’objectif est de retrouver la vie d’avant, mais ils se rendent compte qu’il y a des fonctionnalités qu’ils ont perdues. Il va falloir faire le deuil d’une capacité, et de l’autre, essayer de trouver des solutions. Ces patients garderont ils des séquelles ? Impossible de le dire. On ne peut pas répondre à cette question. C’est vraiment du cas par cas, explique Raphaël Donne-Levy. Tout dépend des pathologies qu’il y avait à la base, et du potentiel de la personne dans sa globalité : pathologies et comorbidités associées, capital de santé, état psychologique…On a des patients qui vont se remettre très certainement complètement – des personnes jeunes, comme cette dame de 34 ans qu’on a vue très vite évoluer tout au long de la semaine. Il y a de fortes chances pour qu’elle ne garde pas de séquelles, exception faite de celles dues au traumatisme. D’autres auront plus de difficultés.

Le passage en rééducation marque quand-même le fait que le patient est très diminué dans ses capacités, du moins à son arrivée. A travers ce parcours de réadaptation, il récupère beaucoup, la totalité ou en partie son potentiel et ses capacités fonctionnelles de départ, assure la coordinatrice des soins, mais lorsqu’il y a des comorbidités ou pathologies associées, certaines fonctions ne pourront pas toujours être récupérées totalement. Malgré tout, l’équipe l’affirme : un grand nombre de patients sont déjà rentrés à domicile. C’est porteur d’espoir mais le moral joue aussi énormément, précise Marie Velten. Ce sont des gens qui n’ont pas revu leur famille depuis des semaines… Le confinement a créé un sentiment d’isolement, qui engendre le besoin de créer des interactions sociales et un lien de confiance avec les équipes ; le besoin de pouvoir bénéficier d’un soutien psychologique aussi pour aider à dépasser le traumatisme vécu.

Le Covid est une épreuve pour la personne et pour son entourage. Le patient passe par de multiples phases avec des luttes, des combats, il est en proie avec la vie la mort, confie Marie Velten. Les gens que l’on voit repartent vers une nouvelle perspective de vie, positive-t-elle. Les soignants se rappellent du premier retour à domicile, un monsieur de 76 ans, qui avait en arrivant le moral très abattu. Il y a eu une haie d’honneur pour ce premier départ. Il a énormément pleuré ce jour-là, se souvient Sandra Geiss. L’équipe a même créé la marguerite de la sortie, affichée dans le service. Chacun écrit des messages sur les pétales. Souvent ce sont des messages de reconnaissance. Pour certains, les soignants étaient devenus presque la famille – comme ils étaient le seul lien

A lire aussi : Quelles recommandations de la HAS pour l’aide aux patients COVID19 sortant d’hospitalisation ?

"Certains sont inquiets pour leur voix" : le travail des orthophonistes auprès des rescapés du Covid*

Pour les patients Covid de l’Institut Universitaire de Réadaptation Clemenceau, qui sont tous passés par la réanimation et qui ont été intubés, le médecin prescrit systématiquement un bilan déglutition et un bilan de la voix. Céline Duwique Heid est orthophoniste et c’est elle qui témoigne du travail des orthophonistes auprès des patients dans ce centre. L’orthophoniste commence par expliquer le mécanisme de l’intubation aux patients à leur arrivée (certains sont admis quelques jours après l’extubation) : je leur montre que le tuyau traverse leur larynx, passe au milieu des cordes vocales. Certains des patients dont elle s’occupe ont été intubés 21 jours. Pendant tout ce temps, il n’y a pas d’air qui passe et le larynx n’est pas stimulé, ce qui fait qu’au réveil, on se retrouve avec des complications de voix ou de déglutition, résume-t-elle, assurant toutefois que les progrès sont souvent rapides. Il faut remuscler le larynx, refaire bouger les muscles et les cordes vocales, souvent aussi donner des techniques respiratoires aux personnes, pour que la coordination entre l’air expiré et la voix soient corrects. Au niveau de la déglutition, les différents muscles sont affaiblis : quand on avale, la langue doit reculer, le larynx doit s’élever, et les cordes vocales doivent se fermer, l’épiglotte basculer pour éviter la fausse route. Du fait de l’immobilité de toute cette zone pendant le coma artificiel la plupart des patients ont ce risque à leur arrivée. Il faut donc adapter les textures, lorsqu’ils reprennent peu à peu une alimentation : de l’eau gélifiée, des aliments lisses (compotes, yaourts).

L’orthophoniste ici au centre de rééducation travaille en collaboration avec les diététiciennes, les médecins, ou les ergothérapeutes pour adapter les installations au moment des repas, de façon à faciliter les gestes pour manger, par exemple grâce à des couverts ou à un fauteuil roulant adaptés… Certains patients arrivent sous perfusion, ou bien avec une sonde nasogastrique. Dès que c’est possible, ils recommencent à manger, d’abord avec des aliments lisses moins dangereux. Nous avons accueilli 55 patients et aucun n’est resté avec de gros troubles de la déglutition. Nous n’avons pas relevé de lésions neurologiques mais vraiment des soucis mécaniques et tout le monde pour le moment récupère – sauf les gens qui connaissaient déjà des problèmes à ce niveau-là auparavant évidemment, assure Céline Duwique Heid. Nous sommes passés de 2 patients par semaine en temps normal qui nous sont adressés avec des soucis de déglutition à 55 bilans en l’espace de trois semaines. Quand les gens arrivent, ils sont aussi souvent inquiets pour leur voix – qui est soufflée, éraillée. Quasiment tous repartent avec leur voix d’avant, rassure là encore l’orthophoniste. Le fait est que les patients sont intubés à l’hôpital, que les médecins connaissent désormais les complications dues à la maladie. De ce fait, ils se préparent aux intubations qui sont donc réalisées très correctement. Il n’y a donc pas trop de dégâts au niveau des cordes vocales.

L’orthophoniste travaille avec les patients autour d’exercices de respiration, effectue du renforcement musculaire du larynx, des cordes vocales (pas forcément en parlant) et ses collègues et elle-même sont aussi formés en thérapie manuelle Osteovox@ (une thérapie manuelle sur le larynx). Comme les patients ont des tensions énormes dans toute la zone laryngée, le plancher de la bouche, la nuque… ça les soulage énormément, explique-t-elle. Céline Duwique Heid relève : certains patients sont un peu désorientées à leur arrivée et donc pas forcément fiables à 100%. Certains vous disent : "oui oui je mange des morceaux", alors qu’ils ne l’ont encore jamais essayé depuis l’intubation. D’autres pensent avoir été intubés 2 jours au lieu de 11. Il faut donc toujours bien s’appuyer sur le dossier du patient. A l’IUR Clemenceau, on a préféré sécuriser et prendre des précautions pour les premiers repas : tous les patients mangent en texture mixée pour le premier repas par exemple.

Propos recueillis par Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com