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Recommandations d'experts autour du travail en 12h

Publié le 22/05/2018
travail 12h

travail 12h

Même si elle est plébiscitée par nombre de soignants, l’organisation du travail en 12h suscite des inquiétudes, notamment pour la santé des agents qui y sont soumis ainsi que pour la qualité des soins. L’INRS et la Société française de la médecine du travail émettent, du coup, des recommandations sur ce thème. Revue de détails...

L’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), spécialisée dans la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail, a dressé un constat critique de ces horaires, dans le public comme dans le privé.

Il y a déjà plusieurs années les postes en 12 heures sont apparus dans les services hospitaliers. Au départ, utilisé principalement dans les services de réanimation et d’urgences, et censé n’être que dérogatoire, ce type d’organisation s’est répandu dans les autres services de médecine, chirurgie et obstétrique allant même jusqu’à pousser les portes des EHPAD et de la psychiatrie .

Un point sur cette pratique avec l’œil du professionnel

Au départ, tout le monde est d’accord. Le personnel soignant (Infirmières, aide soignantes, etc.) voit dans cette pratique plus de temps libre, améliorant ainsi l’organisation de la vie familiale. En effet, pour un temps plein, en trois jours de travail, l’agent est à 36 heures. C’est aussi, mécaniquement, diminuer la durée globale de trajet domicile-travail. Ce type de planning amènerait au salarié à être présent 77 jours de moins sur son lieu de travail qu’un collègue en 7h30 ou 10 heures. Parallèlement, les directions espèrent des économies de personnels. On évalue entre 4 et 15% les économies de personnel gagnées grâce aux 12 heures. Selon l’École des Hautes Etudes en Santé Publique (Ehesp), l’organisation en 12heures à l’hôpital permet de réduire les effectifs de 3,5% par rapport à un planning entre 7 h 30 ou 10 heures. De leur côté, les cadres de santé considèrent que le travail en 12h réduit le nombre de relèves, et donc la perte d’informations entre les équipes. On trouve également dans ce fonctionnement une plus grande continuité des soins, ce qui permet de ne pas multiplier le nombre des intervenants auprès du patient.

La santé du salarié en danger

Aujourd’hui, les syndicats et organismes nationaux remettent en cause ce fonctionnement. Des études françaises et étrangères ont démontré la limite de ce système et sa dangerosité pour la santé. Même si certaines études anglo-saxonnes affirment qu’il n’y n’aurait pas plus d’impact sur la santé qu’une organisation en 3x8h, d’autres montrent que les risques de santé augmentent : manque de sommeil qui s’accumule, grignotages, accidents lors des trajets du fait de la fatigue… Enfin, d’autres études encore affirment que le risque d’erreurs augmente à partir de la 9e heure de travail. D’autres à partir de la 11e heure. En effet, en 1996, Macias a montré une augmentation des AES lors des 2 dernières heures de travail sur un poste en 12h et en 2003, Folkard a montré une augmentation des accidents du travail à partir de la 9ème heure de travail et un doublement de la fréquence de survenue sur la dernière heure de travail.

L’INRS souhaite que cette pratique soit mieux encadrée

En juin 2014, en France, l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), spécialisée dans la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail, a dressé un constat critique de ces horaires, dans le public comme dans le privé. Prise de poids, augmentation des erreurs, des accidents de travail et de trajet, des conduites addictives, des TMS et pathologies dorsales, des troubles cardio-vasculaires, troubles de la grossesse, etc. Les salariés doivent parfois choisir entre leur état de santé et leur disponibilité familiale. Tels sont les effets secondaires les plus conséquents des 12 heures. Selon l’INRS, pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail, il convient de « contre-indiquer » ces postes à contraintes élevées, de « respecter strictement les repos » et « proscrire » tout remplacement par des personnels justement en repos, d’intégrer les transmissions dans le temps de travail, d’instaurer des pauses en cours de poste, de tenir compte du trajet dans le choix des horaires de prise de poste. En pratique, cela n’est pas si simple.

La pratique en lien avec les inquiétudes des études

Même si la majorité des soignants n’ayant jamais expérimenté le rythme en 12h pousse à la mise en place de cette organisation, certains qui la pratiquent depuis plusieurs années se plaignent de travailler fréquemment 48h par semaine, voir 60h exceptionnellement, de devoir revenir sur leur repos, de l’impossibilité de prévoir leur vie privée suite aux nombreuses modifications de plannings, d’un épuisement permanent et enfin d’un anéantissement de l’esprit d’équipe dans leur service.

Justement, avec le passage en 12h, et du fait de l’absence de chevauchement entre les deux équipes, il n’y a généralement que 2 temps de transmission de courte durée. La circulation de l’information s’en trouve donc modifiée. Les échanges doivent être rapides voire informels entre les deux équipes. Pour permettre le passage de la totalité des informations en un minimum de temps, l’organisation met l’accent sur la nécessité de la maitrise des transmissions ciblées (écrites) par les équipes. C’est oublier que les temps de transmissions sont également des moments de dialogue et d’échanges sur la vie de l’équipe au sens large. Les échanges informels jouent un rôle très important dans la cohésion d’une équipe. Malheureusement, la réduction de ces temps d’échange influence donc la cohésion d’équipe. De plus, les salariés ne sont présents que par alternance. Le nombre de jours de présence réduit sur le lieu de travail implique une coupure plus nette, et parfois un fossé entre vie personnelle et vie professionnelle. Cette coupure peut induire un désinvestissement total de la vie de l’institution. En 12h, les agents peuvent être réticents à revenir quelques heures sur leur repos pour participer à un groupe de travail interne ou institutionnel. Partant du principe que le risque de conflit est accru quand les protagonistes n’échangent pas et se connaissent peu, il est possible que les relations de travail se tendent dans les services en 12h. Rappelons que le conflit interne d’une équipe de soins joue sur la relation de soins, et donc la qualité des soins.

Des préconisations en cas de travail en 12h

La mise en place des postes en 12h est possible, mais il est indispensable que cette nouvelle organisation soit préparée et anticipée. Pour protéger les agents vis-à-vis des inconvénients d’une organisation en 12h en place ou à venir, la Société Française de Médecine du Travail (SFMT) donne plusieurs recommandations [1] Tout d’abord, il est clairement contre-indiqué d’instaurer des postes longs quand le travail présente des contraintes physiques importantes , une charge mentale soutenue, voire nécessite une présence régulière ou un suivi relationnel. Au moins une de ces caractéristiques est systématique en service de soins. Il est demandé également aux cadres de santé, mais aussi et surtout aux directions des ressources humaines de respecter les jours de repos et de proscrire une politique de remplacement qui fait appel au personnel en repos, même sur la base du volontariat. Bien entendu, il s’agit également d’intégrer les temps de transmission dans les temps de travail et d’instaurer des pauses, sans dérangement possible, permettant le repos plusieurs fois par poste (particulièrement de nuit ). Les prises de poste de jour avant 6 heures du matin sont à éviter. Il faut adapter cette prise de poste afin d’être sûr que l’agent respecte un temps de sommeil entre minuit et 5 heures du matin au minimum. La fatigue doit être évaluée comme un risque qui peut avoir des effets néfastes sur la santé et la sécurité.

Une attention particulière des cadres de santé

Les possibilités de reclassement pour les salariés dont l’état de santé n’est pas ou plus compatible avec le tenue d’horaire en 12 h doivent être anticipées et réalisables pour un salarié vieillissant qui fait la demande d’intégrer un poste en 8 heures. Toutes ces questions et réflexions doivent être évoquées avec le médecin du travail, qui sera une réelle ressource pour chaque manager. Enfin, les cadres et cadres supérieurs de santé auront une attention particulière à la mise en place et/ou au respect de temps d’échanges quotidiens au sein du service pour créer ou entretenir la cohésion d’équipe. Au delà des règles préétablies, il s’agit de faire preuve de bon sens. L’équilibre est recherché entre vie professionnelle et vie privée, entre bien être des professionnels et cohésion d’équipe, entre le prendre soin et la maitrise des coûts, entre le respect de la législation et l’évolution sociétale.

[1] Surveillance médico-professionnelle des travailleurs postés et/ou de nuit. Recommandations de bonne pratique. Société française de médecine du travail. 2012.

André Roche
Cadre de santé formateur
IFSI Hôpital du Gier, St-Chamond (42)
Master 2 Management des organisation de Santé


Source : infirmiers.com