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AS

« Qui soigne les soignants ? », la douloureuse question...

Publié le 30/01/2018
soignante infirmière dépression

soignante infirmière dépression

Alexis est un aide-soignant engagé dans et pour sa profession. Alors qu'a lieu aujourd'hui, partout en France, une importante mobilisation qui vise à dénoncer des conditions de soins inacceptables, voire dégradantes, dans les Ehpad, Alexis nous propose une nouvelle chronique "dans son couloir". Avec son sens de la formule habituel, il nous montre à son tour la fatigue et la désillusion des soignants face à des structures qui "à trop vouloir se faire du blé, coupent l'herbe sous le pied de jeunes pousses et éliminent de vieilles branches". Il en appelle à la résistance et à la solidarité pour que le soin retrouve son humanité...

"Séchons nos larmes, levons tous ensemble les petits mouchoirs placés sur notre triste réalité. Utilisons nos tenues, jusqu'alors immaculées, pour écrire et dessiner un avenir en couleur"... le message porteur d'espoir d'Alexis, aide-soignant.

« Qui soigne les soignants ? » Cette phrase, prononcée par une de mes patientes, résonne en moi et, de plus en plus, je lui trouve un sens profond et touchant. En effet, depuis plusieurs mois et sans retenue, souffle un vent glacial sur la communauté soignante. Progressivement, avec lui se développe une redoutable épidémie, et pas n'importe laquelle !

Comme d'autres germes, cette virulente maladie touche insidieusement, sans faire de différence, les jeunes et les anciens. Son nom est dans toutes les bouches et pourtant, comme pour se protéger de la contagion, personne n'ose le prononcer. Pourtant, elle est là, bien présente, on lui donne l'implacable nom de burn-out, en français, syndrome d'épuisement professionnel. Force est de constater, qu'en ce moment, au coeur du monde aseptisé des blouses blanches, ce ne sont pas les microbes mais plutôt les idées noires qui pénètrent les organismes...

Tapies dans l'ombre, elles frappent évidemment en premier celles et ceux qui ont la carapace la plus fine. Alors qu'ils commençaient tout juste à s'épanouir, j'ai vu nombre de jeunes diplômés s'étioler rapidement, comme des arbres déjà arrivés à l'automne de leur vie professionnelle. Ils sont à peine sortis de l'école et la couche de vernis, encore toute neuve, est bien trop fine pour affronter la polisseuse hospitalière ou institutionnelle...

Quant aux anciens, nostalgiques d'une autre époque, partisans du « C'était mieux avant ! », ils ne résistent pas mieux à la nouvelle maladie qui sévit parmi nous. L'évocation émue des bons moments passés a presque une saveur surannée. Entendre dans la bouche de ces piliers de service résonner des mots comme esprit familial, temps, écoute paraît bien incongru lorsque l'on étudie les subtilités financières de notre nouveau vocabulaire soignant qui utilise des mots comme rendement, rapidité, rationalisation, clientèl e. Nous basculons sans ménagement dans un autre monde qui ne nous est pas familier : l'industrie. Mais, à trop vouloir se faire du blé, on coupe l'herbe sous le pied de jeunes pousses et on élimine de vieilles branches.

En effet, dans le champ du soin au rabais, le soignant OGM n'en demeure pas moins comestible, mais dorénavant, mieux vaut être parfaitement calibré pour répondre aux critères de sélection d'un cahier des charges toujours plus important. Pour les malheureux cabossés ne correspondant pas ou plus au profil type, le traitement est à l'image du consumérisme ambiant : je prends, je jette...

La morosité obscurcit davantage nos couloirs et assombrit les équipes, faisant vaciller la flamme, celle de notre raison d'être soignant.

Heureusement, au milieu de certaines journées grisâtres propices à l'infection, on voit poindre des faisceaux d'humanité qui redonnent un sens aux valeurs soignantes auxquelles nous sommes attachés. Le sourire d'une vieille dame, un regard échangé avec des familles, des rires entre collègues... Autant de précieux instants partagés qui se transforment en rayons si nombreux qu'ils illuminent discrètement nos journées.

Malgré cela, la morosité obscurcit davantage nos couloirs et assombrit les équipes, faisant vaciller la flamme, celle de notre raison d'être soignant. Utilisé dans une course toujours plus folle, le carburant soignant, déjà épuisé, vient d'atteindre ses réserves. Seulement, cette fois, il ne suffira pas de faire le plein, le contrôle technique est de rigueur ! Sous le capot de la carlingue, même si la machine continue de tourner, les pièces qui souffrent d'une usure prématurée méritent que l'on s'y attarde si l'on ne veut prendre le risque de ne définitivement plus avancer...

Une de mes cadres parlait souvent de la « solitude soignante ». En disant cela, elle évoquait le fait qu'il nous est difficile de nous confier hors des murs de l'hôpital car ce que nous vivons peut-être totalement irréel, voire incroyable. Il est vrai qu'il est difficile de confier les vicissitudes de nos patients à des proches ou des amis, cela peut les choquer ou les rebuter. Toutefois, le mot « solitude » est un trop triste mot qui ne reflète pas ce que nous formons : une communauté. L'union fait la force, alors au lieu de voir nos collègues les utiliser pour sécher leurs larmes, levons tous ensemble les petits mouchoirs placés sur notre triste réalité. Utilisons nos tenues, jusqu'alors immaculées, pour écrire et dessiner un avenir en couleur. Même en plein hiver, il faut savoir redonner des couleurs à son jardin ! Il paraît qu'après la pluie vient le beau temps… En tout cas, là, il y a urgence !

#Soignetonsoignant en lui disant simplement MERCI.

Dans le couloir - Pensées d'un aide-soignant - Chambre 149, 30 janvier 2018.

Dans le couloir…

Aide-soignant diplômé en 2013, Alexis il a toujours exercé à l'hôpital. Je prends plaisir à être le spectateur assidu de mes meilleurs acteurs : les patients et le personnel soignant. Ce contact me permet d'apprendre beaucoup sur l'humain, ses travers parfois, les cultures du monde, les difficultés du quotidien... Cet apprentissage de la vie, j'en garde une trace depuis cinq ans. Dans un carnet qui me sert d'exutoire, je relate des anecdotes professionnelles. Depuis, j'essaie de formaliser cela sur un support accessible et ludique. C'est ainsi que j'ai créé une page Facebook sur laquelle je délivre régulièrement une histoire courte. Parfois humoristiques, parfois touchantes, elles sont le reflet du quotidien d'un aide-soignant travaillant à l'hôpital. Pourquoi avoir choisi comme nom "Dans le couloir - Pensées d'un aide-soignant" me direz-vous ? A la fois une entrée et une sortie, cet élément anodin d'un service représente le passage et c'est, à mon sens, l'essence même de l'hôpital. Passeur d'âmes et passeur d'histoires je souhaite faire découvrir ce monde troublant.

Découvrez Alexis et son message lors de la Journée internationale de l'aide-soignant le 26 novembre 2017.


Source : infirmiers.com