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Quelle identité professionnelle pour les infirmières ?

Publié le 04/01/2012
Quelle identité professionnelle pour les infirmieres

Quelle identité professionnelle pour les infirmieres

Sur le thème « Coopérations professionnelles et identité professionnelle infirmière », Christine Garric, aujourd'hui formatrice, nous livre son analyse à partir d’une situation concrète.

L’article 51 de la loi HPST1 a donné le coup d’envoi d’une politique en santé publique en faveur des coopérations professionnelles définies comme des « démarches de coopération impliquant des transferts d’activité ou d’actes de soins ou de réorganisation des interventions des professionnels auprès du patients ». Cette impulsion est renforcée par le rapport du député Laurent Hénart2 sur les nouveaux métiers, et les premières applications - dans le cadre du dispositif LMD - orientent la mise en place d'études sur les pratiques avancées à l’intention des infirmières. Sauf que la question du choix des nouveaux métiers à partir des besoins en soins de la population risque bien d’être pervertie par un budget drastique. Loin de toutes ces considérations, là sur le terrain, les coopérations entre professionnels doivent faire l’objet d’une démarche ardue, et bien plus humble, relevant d’une exigence éthique professionnelle et d’un véritable défi dans une organisation sanitaire et sociale en « tuyaux d’orgue » pour reprendre l’expression employée par le HCSP dans son récent rapport « Pour une politique globale et intégrée de sécurité des patients »3.

Qu’est-ce que coopérer sinon co-réfléchir et co-agir, bref travailler solidairement en mutualisant les potentiels et les compétences. Chacun, dans la communauté soignante, doit par conséquent identifier clairement son propre champ d’expertise, connaître son propre rôle, sa propre responsabilité et reconnaître celle de l’autre.

Évoquées par Serge Cannasse4 à partir de l’article de la revue Pratiques les menaces pesant sur l’identité professionnelle infirmière ne sont pas de pures spéculations des auteurs mais bien confirmées par la réalité. On peut supposer que si l’identité infirmière existe, une éthique infirmière l'accompagne et qu’il appartient à la profession de la promouvoir ainsi que de protéger et optimiser les compétences acquises, sans que cela aboutisse nécessairement à de nouveaux métiers.

Ancrer la réflexion dans le concret

Je propose d’analyser ces menaces à partir d’une situation concrète. Volontairement, je place la maladie d’Alzheimer (MA), paradigme de la vulnérabilité, à domicile comme en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), au cœur de cette réflexion sur l’identité et l’éthique professionnelle. L’enquête effectuée par la Drass du Nord- Pas de Calais5 sur plus de 70 Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) se consacre particulièrement aux problèmes des aides-soignantes dont celui, récurrent, du refus de soin des personnes souffrant d’une MA. Si les aides-soignantes sont sous la responsabilité d’une infirmière coordinatrice, il est également fréquent qu’une infirmière libérale, dans le cadre d’une convention passée avec le SSIAD, effectue les soins techniques et le suivi thérapeutique. Le développement des soins à domicile fait en effet intervenir chez la même personne deux systèmes d’organisation des soins. L’un est vertical, de type institutionnel, le SSIAD ; l’autre horizontal avec des infirmiers libéraux. Si les fonctions diffèrent, ces infirmières n’en ont pas moins la même identité professionnelle. L’une fait de la coordination à un niveau distal, l’autre œuvre dans la proximité. Deux logiques comptables contradictoires, deux modes de raisonnements, l’un institutionnel et normatif, l’autre contextuel, favorisant une approche clinique différente, au plus juste et au plus près de la personne vulnérable afin de maintenir son équilibre physique et psychique, sa sécurité et son bien-être. Au centre de ce dilemme, une dame âgée vulnérable est en risque de rupture de soin et une aide-soignante plongée dans le désarroi qu’on connaît. Le refus de soin n’attend pas et les deux infirmières ensemble doivent l'analyser pour en comprendre les mécanismes, réinstaurer une relation de confiance, entrer dans une étape de négociation avec la personne ce qui demande, du temps, de la patience, de la douceur et un talent relationnel que tout le monde n’a pas encore acquis. Les deux infirmières collaborent-elles ? Les relations, loin d’être sereines, sont parfois conflictuelles. Interrogé sur ce qu’il pensait devoir faire dans ces circonstances, un étudiant en soins infirmier posa la question ouvertement : « si je suis infirmier libéral, je ne vois pas pourquoi le problème du refus de soin de l’aide-soignante me regarderait, puisqu’elle est sous la responsabilité de la coordinatrice ». Son questionnement reflète une triste réalité du domicile où les actions sont de plus en plus juxtaposées là où il faudrait collaborer et être solidaire.

L’identité professionnelle permet une reconnaissance mutuelle

L’identité professionnelle6 se définit par un noyau unique fondateur, essentiel, et des personnages multiples selon les rôles attribués. Iade, Ibode, infirmière dans l’éducation nationale, coordinatrice, libérale… De même que notre identité personnelle repose sur un noyau essentiel unique stable à partir duquel des interprétations multiples sont possibles : père, citoyen, voisin, bénévole d’association... Quelle que soit la mission confiée à l’infirmier, l’identité professionnelle permet de se reconnaître dans une appartenance à la profession à partir de ce noyau d’acquisitions au cours des études. Ce noyau commun concerne la compréhension du sens, de la finalité et des valeurs du soin ; la déontologie, autrement dit les devoirs ; le corpus de savoirs nécessaires et de compétences à acquérir. La construction de l’identité professionnelle permet au futur infirmier, partant d’une vision personnelle idéalisée de la profession, influencée par sa culture, de confronter sa propre conception aux exigences de sa profession.

La responsabilité lieu éthique de l’identité professionnelle

Tout au long de la vie professionnelle l’identité infirmière acquise reste soumise à l’épreuve du réel, peut être fragilisée ou consolidée, en tous les cas interrogée de façon permanente. Les influences sont soit de source endogène : soucis privés (maladie, accident, deuil...) soit exogène, sous l’effet de l’évolution sociale et politique, des conditions d’exercice, de situations inédites. Par ailleurs, on attribue à l’infirmier deux rôles, le rôle prescrit et le rôle propre. Son autonomie lui permet d’assumer sa responsabilité dans ces deux rôles et la responsabilité est le lieu éthique de l’identité professionnelle. L’indépendance de la profession dépend des aptitudes à assumer cette responsabilité que le politique, aujourd'hui, préfère occulter. Assumer sa responsabilité, c’est aussi mettre en œuvre des compétences cliniques et relationnelles qui coûtent du temps et de l’argent.

Pour une éthique du care7

La culture des soins à domicile fait trop peu l’objet d’enquêtes, d’études et de témoignages comme celui de Brigitte Greis8. Lieu de vie avant d’être lieu de soin, le domicile symbolise la liberté individuelle, l’intimité, la sécurité ou… l’insécurité chez les personnes isolées et fragilisées. Les soins à domicile obéissent à des exigences éthiques fortes et on ne peut penser leur organisation comme on la pense en établissement où une équipe est présente en permanence. La vulnérabilité à domicile, c’est aussi l’exigence du care, un travail en finesse, au plus près et au plus juste des personnes. On peut dire que le concept des soins palliatifs et d’accompagnement sont de la même fibre. Le care, si bien conceptualisé par la psychologue américaine Carol Gilligan, est devenu une référence dans le champ sanitaire et social, moral et politique mais il peine à être pratiqué, à domicile comme en EHPAD. Le débat sur la dépendance comme les plans Alzheimer ont fait littéralement abstraction du rôle des infirmières pourtant stratégiques.

Dans « La voix différente »9 Carol Gilligan a présenté cette justesse, dans l’activité de l’acteur du soin et du social isolé, comme complémentaire de l’organisation collective, institutionnelle qui utilise lois, normes, règles, garantes de justice sociale. Dans ces deux types d’approches, des compétences cliniques sont mises en œuvre différemment, mais on en reconnaît qu’une seule, celle de l’infirmière coordinatrice. Cette dernière et l’infirmière libérale, en collaborant, concourent pourtant à l’indispensable complémentarité entre deux modes de distribution des soins. En fait, dans la réalité, l’entente n’est pas toujours cordiale et ces deux professionnelles travaillent souvent… de façon juxtaposée.

Dans la situation évoquée, l’assurance maladie ne reconnaît que le rôle prescrit de l’infirmier libéral, ce qui conduira selon le cas cet infirmier lui-même à ne circonscrire sa responsabilité que par rapport à ce rôle. On ne reconnaît que l’évaluation médico-sociale qui tend à mettre les personnes dans une case alors que la prévention du vieillissement pathologique, comme des situations de crise à domicile, exigent une approche clinique plus rapprochée et plus fine, de même que les soins à ces personnes exigent du temps et des qualités relationnelles qui doivent faire l’objet de recherche approfondies. Là où la coordination proximale de ce que les gériatres appellent « le réseau informel » est si importante, on ne reconnaît plus que la coordination distale. Tout concourt ainsi à rendre impossible l’exercice de ces deux professionnelles qui doivent s’efforcer pourtant de collaborer. Sous-jacents, des principes fondateurs, un noyau commun de savoirs et de devoirs mais une situation qui tend au conflit malgré la question éthique du refus de soin.

Le professionnalisme en question

Comment coopérer sans se référer à la finalité de l’activité de soin, le bien pour la personne humaine ; une finalité qui donne sens au travail des soignants et impose le respect des valeurs de dignité, d’humanité, de droits, de liberté individuelle, de désirs et de souhaits, de protection des intérêts de la personne en situation de grande vulnérabilité. L’évocation abstraite des « valeurs » du soin permet d’identifier sa philosophie du soin explorée par Jean-Philippe Pierron10 dans son récent ouvrage. Ces valeurs, ce sens de l’action soignante sous tendent la déontologie médicale et para médicale.

Quand il faut traduire en pratique ces valeurs, il existerait non pas une mais des philosophies du soin en raison des conceptions différentes selon les appartenances culturelles, les religions, le sens que l'on donne à la douleur, à la maladie, à la mort. De même qu’en philosophie morale, l’autonomie a fait l’objet de conceptions différentes. Dés lors, dans la pratique quotidienne, on parlera d’éthique des pratiques en santé, l’éthique prenant en considération ces différentes conceptions ainsi que les circonstances des faits. L’éthique est avant tout un questionnement dans le cadre de ses propres responsabilités. Elle interroge la morale à l’aulne du bien et du mal, recherchant ce qui est bon pour l’homme. Si la communauté soignante partage les mêmes valeurs que sont les valeurs du soin et, à ce titre, des questionnements communs, chaque profession, à hauteur de ses responsabilités et de ses expériences propres peut être amenée à se poser des questions spécifiques.

Réaffirmer sa présence

Les soins aux personnes ont-ils été abordés lors du débat sur la dépendance ? Non, pas plus que le rôle stratégique des infirmières en la matière. Quant aux infirmiers libéraux, disposent-ils des outils nécessaires pour assumer pleinement leur responsabilité : prévention, gestion de crise... ? Preuve que le combat syndical ne suffit pas à lui-même. Les infirmières en soins généraux doivent s’emparer de ces questions de santé publique, en se référant à leur identité professionnelle et à partir d’une réflexion éthique indépendante, témoignant leur volonté d’assumer leur responsabilité propre. Pour finir, on a créé dans le cadre du plan Alzheimer la mission de « gestionnaires de cas complexes » mais combien en faudra t-il si on ne fait pas tout pour éviter que les situations se complexifient ? Réaffirmer notre présence et notre professionnalisme auprès des plus fragiles, n’est-ce pas un enjeu de société ?

Notes

  1. Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, Article 51.
  2. Hénard L, Berland Y, Cadet D. Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire, Paris, 2011
  3. Pour une politique globale et intégrée de sécurité des patients. Principes et préconisations
  4. Cannasse S. Quelles formations pour les professionnels?, le 28 novembre 2011
  5. Enquête Drass Nord pas de calais Ssiad
  6. Canto-Sperber M., Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996.
  7. Laugier S. et Paperman P. Le souci des autres, Ethique et politique du care, Paris, PUF,2010
  8. Greis B. De la perte de soi au soin des autres, Rueil-Malmaison, Doin et Lamarre, 2007.
  9. Nurock V. Une voix différente : pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2010.
  10. Pierron JP. Vulnérabilité Pour une philosophie du soin, Paris, PUF, 2010.

Christine GARRIC  Formatrice indépendante en Lorraine après 17 ans d'exercice libéral. Titulaire d'un DIU « Douleur » et « Soins palliatifs » ainsi que d'un master « Ethique, science, santé et société ».   christine-garric@wanadoo.fr


Source : infirmiers.com