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IADE

Quand un service ne donne pas toutes ses chances au patient

Publié le 04/06/2018
bilan samu consignes

bilan samu consignes

intubation ANISP

intubation ANISP

C’est un fait, les Services de Santé et de Secours Médical (SSSM) sont un moteur très dynamique pour faire bouger les lignes dans le domaine du secours à personnes. Souvent, ils ont su adapter leur fonctionnement aux exigences contemporaines, en particulier avec l’installation progressive des infirmiers de sapeurs-pompiers (ISP). Mais chaque département peut avoir son mode de fonctionnement, allant parfois à l’encontre du bon sens.

Mise à jour du 4 juin 2018 - Le SNIA (syndicat national des infirmiers anesthésites) se félicite du jugement du tribunal administratif de Strasbourg condamnant le SDIS 68 à annuler la sanction et à payer une amende l'infirmier anesthésiste, infirmier de sapeur-pompier volontaire - IADE ISPV - qui avait eu le malheur d’effectuer le bon geste au bon moment pour sauver une victime.

L’ISP, un véritable échelon intermédiaire

Un IADE a été sanctionné pour avoir prodigué des soins adaptés...

Les ISP interviennent à divers niveaux de la vie des services départementaux d’incendie et de secours. Leurs missions sont généralement déclinées sur quatre niveaux :

  • le secours opérationnel. La partie la plus visible qui consiste à porter secours dans le cadre d’une activité de garde ou d’astreinte (dénommée Aide Médicale Urgente) ;
  • le soutien sanitaire aux opérations, consistant à appuyer les sapeurs pompiers sur des opérations particulièrement longues, dangereuses, éprouvantes ou pouvant avoir un caractère particulier (NRBCe) ;
  • la participation à l’évaluation de l’aptitude opérationnelle par l’intermédiaire des Visites Médicales d’Aptitude ;
  • la formation. Les membres du SSSM sont de fortes ressources en matière de formation à destination des sapeurs-pompiers.

Ce qui intéresse notre propos aujourd’hui concerne plus particulièrement le secours opérationnel et la façon d’envisager l’intervention des infirmiers à cet échelon. L’intervention des ISP en secours à personnes consiste à proposer un échelon intermédiaire dans l’arsenal de prise en charge des urgences. Plus qualifié que ses collègues secouristes, il permet, par son expérience et sa formation, d’affiner un bilan et d’initier des soins, soit pour optimiser la prise en charge (antalgie, surveillance durant un transport par exemple), soit en attendant l’intervention d’une équipe médicalisée si nécessaire. Dans un grand nombre de situations, il permet de faire l’économie d’un moyen SMUR qui sera ainsi disponible pour répondre à des situations d’urgences nécessitant l’intervention d’un médecin.

Les SSSM ont donc développé depuis de nombreuses années des protocoles infirmiers de soins d’urgence afin de répondre efficacement aux situations qui peuvent se présenter en intervention. Cependant, afin de répondre de la manière la plus adaptée en prenant en considération les particularités de chaque région, les SSSM n’ont pas tous les mêmes protocoles et les mêmes principes d’intervention. Il n’existe donc pas de consensus national et de protocoles nationaux uniformisés. Chaque Service départemental d'incendie et de secours (SDIS), chaque SSSM possède son propre mode de fonctionnement et ses propres protocoles. Il existe bien une circulaire qui permet de donner des pistes et des recommandations récentes (circulaire SUAP 5 juin 2015 et les recommandations SFMU-SEMSP-SFAR-SRLF-CARUM-CFRC qui ont suivi en mars 2016), mais rien de totalement uniforme sur le plan national.

Mais si ces fonctionnements peuvent différer, il n’en reste pas moins qu’ils doivent se conformer au droit français. Sous le prétexte de l’urgence, on ne peut demander à un personnel de réaliser des actes hors du champ de ses compétences. Inversement, il paraît totalement incohérent de lui demander de ne pas faire son métier et de lui en interdire les gestes. C’est le cas qui nous intéresse aujourd’hui et qui semble poser question dans nombre d’établissements.

Un IADE sanctionné pour avoir prodigué des soins adaptés

En préambule à cette affaire, il convient de souligner que de façon assez surprenante, l’infirmier anesthésiste diplômé d’état ne dispose d’aucune reconnaissance spécifique lorsqu’il s’engage dans un SSSM. Pourtant, seul personnel infirmier spécialisé en urgence pré hospitalière et disposant d’un niveau Master II, son grade est placé sur le même plan qu’un infirmier de soins généraux.

Ce jour l’IADE, est d’astreinte à son domicile. Il est alerté d’emblée (départ réflexe) pour renforcer l’équipe d’un Véhicule de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) qui doit prendre en charge une urgence vitale. L’équipage pompier arrive le premier sur les lieux et peu de temps après le début de la prise en charge, constate que la victime passe rapidement en arrêt cardio respiratoire (ACR). La réanimation est initiée, mais la ventilation est difficile.

Lorsque l’ISP arrive sur les lieux, il confirme l’ACR et initie le protocole concerné en mettant en place une voie veineuse périphérique et en injectant l’adrénaline selon les recommandations et son protocole. Cependant, la ventilation déjà difficile a provoqué une distension gastrique et est devenue impossible en raison de régurgitations. L’ISP contacte alors le SAMU afin de demander conseil sur la conduite à tenir et propose d’intuber le patient afin de protéger ses voies aériennes. Après avoir pris les renseignements contextuels, le médecin du SAMU donne son accord et confirme que l’Unité mobile hospitalière (UMH) est en route (elle arrivera 30 minutes plus tard). L’IADE ISP réalise alors l’intubation, protège et libère les voies aériennes et parvient ainsi à améliorer l’état de la victime qui, oxygénée, récupère une activité cardiaque efficace. L’arrêt devant témoins secouristes, et les manœuvres de RCP précoces font partie des meilleures conditions pour que la chaîne des secours fonctionne efficacement et donne les meilleures chances au patient.

Cependant, le SSSM concerné ne dispose pas d’un protocole qui tienne compte de la présence d'infirmiers anesthésistes dans ses effectifs, et interdit même expressément à ces derniers de réaliser ce geste. Une procédure disciplinaire est initiée à l’encontre de l’infirmier et lui reproche d’avoir demandé l’autorisation d’intuber au SAMU, puis d’avoir réalisé le geste. Pour cela, le rédacteur du rapport concerné s’appuie sur le code de la santé publique en en faisant malheureusement une interprétation erronée.

L’intubation orotrachéale, un geste légal pour les IADE

Le rapport argumente que l’intubation de la trachée est un acte exclusivement réservé au médecin. Or, elle fait partie des actes courants pratiqués par les IADE, à tel point que c’en est devenu un symbole (réducteur) de la profession. L’ensemble des soins relatifs à cet acte fait l’objet d’un programme de formation défini et très clair dans la formation française. Les actes praticables par les IADE, au contraire de ceux des IDE, ne sont pas listés. Pour les IDE, tout ce qui ne se trouve pas listé dans les actes contenus au sein du CSP est de facto interdit.

En revanche, concernant les IADE, les actes sont définis par l’article R4311-12 du CSP : « [...] Il accomplit les soins et peut, à l'initiative exclusive du médecin anesthésiste-réanimateur, réaliser les gestes techniques qui concourent à l'application du protocole. » Ainsi, l'IADE peut réaliser des gestes techniques pour lesquels il aura été formé à partir du moment où ils font partie de la prise en charge anesthésique. C’est le cas pour l’IOT comme pour d’autres gestes en fonction des particularités locales, des formations complémentaires et de la collaboration avec le médecin anesthésiste.

Il serait parfaitement opposable que l’acte d’intubation n’ait pas cours dans la situation de cet IADE puisque pour que celui-ci puisse mettre en œuvre les gestes qui concourent à l’application du protocole, il faudrait « [...]qu'un médecin anesthésiste-réanimateur puisse intervenir à tout moment, et après qu'un médecin anesthésiste-réanimateur a examiné le patient[...] »

Néanmoins, il ne s’agit pas ici d’une situation de chirurgie réglée, mais d’une situation d’urgence vitale. Les médecins urgentistes rappellent souvent ce fait pour différencier leur pratique d’une anesthésie fut-elle réalisée en séquence rapide. Dans cette situation, nous en sommes d’autant plus éloignés qu’aucun médicament relevant de l’anesthésie ne sera injecté.

En l’occurrence, le geste ne relève pas de l’article R4311-12 du CSP mais de l’article R4311-14 : « En l'absence d'un médecin, l'infirmier ou l'infirmière est habilité, après avoir reconnu une situation comme relevant de l'urgence ou de la détresse psychologique, à mettre en œuvre des protocoles de soins d'urgence, préalablement écrits, datés et signés par le médecin responsable. Dans ce cas, l'infirmier ou l'infirmière accomplit les actes conservatoires nécessaires jusqu'à l'intervention d'un médecin. Ces actes doivent obligatoirement faire l'objet de sa part d'un compte rendu écrit, daté, signé, remis au médecin et annexé au dossier du patient.

En cas d'urgence et en dehors de la mise en œuvre du protocole, l'infirmier ou l'infirmière décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir un médecin. Il prend toutes mesures en son pouvoir afin de diriger la personne vers la structure de soins la plus appropriée à son état. »

Si la première partie concerne l’utilisation classique d’un Protocole Infirmier de Soins d'Urgence (PISU), la seconde explique clairement qu’en l’absence de protocole, l’infirmier peut décider des gestes à pratiquer en attendant le médecin. Évidement, il faut que ces gestes soient cohérents avec les capacités de l’intervenant, ce qui n’est plus à démontrer dans le cadre de l’IOT concernant les IADE.

De plus, l’intervention et le conseil du médecin régulateur sont renforcés par la circulaire SUAP du 5 juin 2015 : « [...] dans les plus brefs délais, l’ISP transmet son bilan directement au médecin régulateur. [...] le médecin régulateur du SAMU prescrit ensuite directement à l’ISP la poursuite, l’arrêt ou l’adaptation du PISU.[...] » En l’occurrence, le PISU a été adapté dans l’intérêt du patient une fois que toutes les informations nécessaires ont été recueillies. D’ailleurs ce même PISU demande à ce que le régulateur soit rapidement contacté et à l’issue du contact « l’application des consignes du médecin régulateur. » Reste une note de service du SSSM concerné, réalisée par l’ancien médecin-chef, interdisant clairement le geste aux ISP du département. Sans doute pensée pour protéger le personnel et lui éviter une situation litigieuse, elle ne peut malheureusement pas être en accord avec le code pénal français et le place précisément dans une situation intenable.

Capture d’écran protocole ACR SSSM 68

L’IOT, un devoir lorsque le patient est en arrêt cardiaque

Chacun est soumis à la législation française, quel que soit son mode d’exercice et l’entité pour laquelle il s’engage. En l’occurrence, il s’agit ici de porter assistance à une personne en péril. Art. 223-6 : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. » Le CSP renforce encore cette obligation de porter assistance pour les soignants et en particularité pour les infirmiers. Pour un infirmier, l'article R.4312-67 : « L'infirmier ou l'infirmière est tenu de porter assistance aux malades ou blessés en péril. »

Il est donc obligatoire pour un infirmier de porter assistance à une personne en péril. Cette obligation est renforcée dans le cadre de sa profession et en particulier si c’est un professionnel spécialement formé à la prise en charge des urgences pré hospitalières ce qui est le cas d’un IADE. S’il ne le faisait pas, il engagerait sa responsabilité civile et s’exposerait à des poursuites. Cependant, cela n’autorise évidement pas à pratiquer n’importe quel geste et heureusement, ici encore le législateur apporte des précisions salutaires. L'article 121-18 du Code pénal prévoit qu'il y a délit en cas de « manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

En l’occurrence l’IADE réunit des conditions nécessaires à l’accomplissement de son devoir de porter secours sur les trois principaux points du texte :

  • il possède les compétences pour réaliser une intubation orotrachéale. C’est un geste qui fait partie de son cursus et qu’il pratique quotidiennement dans le cadre de son activité professionnelle ;
  • il en a le pouvoir lorsqu’il est titulaire du diplôme d’état qui sanctionne sa réussite aux épreuves normatives de sa formation ;
  • il en a les moyens, puisque le matériel destiné à ce geste est mis à sa disposition dans les véhicules de secours du SSSM concerné.

En termes juridiques « la jurisprudence relative à la non assistance à personne en péril (art 223-7 et 223-16 NCP, Cass. du 26 juillet 1954 - Décret 54/666) évoque parmi les critères jurisprudentiels susceptibles de permettre de retenir cette qualification pénale d'une part que “le péril doit être réel et nécessiter une action immédiate“, d'autre part que “l'intervention doit être possible, qu'il s'agisse d'un geste personnel ou l'appel à un tiers qualifié” ».

Encore une fois, ne pas agir dans ce type de situation serait un délit d’omission de porter secours. Cette note de service, probablement pensée pour protéger les ISP met les IADE ISP dans une situation intenable.

Pour pallier ces difficultés et lever tout doute, certains SSSM ont fait le choix de ne mettre à disposition des personnels que le matériel strictement correspondant aux PISU. Cette démarche a le mérite de clarifier les choses et de ne prêter le flanc à aucune ambiguïté. De plus, elle a permis de substantielles économies sur le plan de la gestion des stocks. De très nombreux SSSM ont également choisi de clarifier les choses en élaborant des protocoles spécifiques à l’endroit des IADE dans le cadre de la prise en charge des ACR. Ces démarches vont dans le sens de la qualité de la prise en charge des patients. Une politique renforcée par les obligations elles aussi légales des médecins responsables pour lesquels le CSP précise également : article R.4127-93 (article 9 du Code de déontologie médicale) : « Tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d'un blessé en péril ou, informé qu'un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s'assurer qu'il reçoit les soins nécessaires. »

Le médecin régulateur s’est donc assuré que le malade en péril reçoive les soins nécessaire en cas d’ACR avec régurgitations, c’est-à-dire la libération des voies aérienne et leur sécurisation grâce à une IOT. Les médecins élaborant les PISU à destination des IADE pour l’IOT en ont fait de même. L’exemple de celui du Bas-Rhin est à ce titre très clair. Ce protocole est d’ailleurs parfaitement cohérent avec le droit. Dans le préambule on y trouve ces éléments : « En l’absence de médecin, la loi n’autorise pas la réalisation d’acte d’anesthésie/sédation par un infirmier DE ou IADE. Par conséquent, seuls les gestes d'intubation réalisables sans sédation ni curarisation, en situation d’urgence vitale, peuvent être délégués. Ce cas de figure n’est rencontré que lors des arrêts circulatoires.»

Nul doute que cette pratique finira par se répandre dans l’ensemble des départements pour le plus grand bien de la population prise en charge et la reconnaissance des compétences de chacun. A l’heure où un certain nombre de SSSM prennent le risque de protocoliser des gestes infirmiers qui ne font pas partie des actes listés dans le CSP, il serait parfaitement incohérent d’en interdire d’autres qui eux, sont parfaitement légaux. Tout soignant compétent se doit d’agir dans l’intérêt du patient. C’est ce que font et feront toujours les IADE.

Vincent ELMER-HAERRIG Infirmier anesthésiste DE

L’auteur tient à remercier vivement Yves Benisty (IADE), Pierre Lemaire (IADE infirmier chef SDIS 78, coordonnateur médico-juridique et consultant formateur en droit de la santé), Franck Pilorget (IADE, président de l’ANISP pour leurs relectures attentives et fructueuses de ce document.


Source : infirmiers.com