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Quand deux infirmiers mettent fin à leurs jours...

Publié le 01/07/2016

Deux suicides d'infirmiers en l'espace de quinze jours... Deux morts de professionnels de santé qui suscitent une très grosse émotion au sein de la communauté infirmière... Et toujours le silence assourdissant du côté du ministère de la Santé et de sa principale locataire Marisol Touraine... Une sale impression que la vie de ces infirmiers ne compte pas et que quelques lignes de  condoléances à leurs familles et à leurs proches, de soutien à leurs collègues de travail, en pure empathie, ne sont pas utiles. La communauté infirmière s'interroge et s'insurge : face à des conditions de travail de plus en plus dégradées, face aux cadences et organisations en rupture avec les valeurs soignantes, jusqu'où iront les sacrifices, combien de soignants devront encore se donner la mort pour que les tutelles réagissent enfin ?

La communauté infirmière attend aujourd’hui de la part de la Ministre chargée de la santé un témoignage d’humanité qui dans ces moments de profonde tristesse apporterait un juste réconfort.

Suite au premier suicide, sur son lieu de travail, d'un infirmier toulousain le 13 juin à l'hôpital de Rangueil , premier "coup de gueule" d'un infirmier, cadre de santé : j’ai eu beau chercher, je n’ai pas vu un billet de condoléances sur votre blog Madame la Ministre de la Santé, pas un communiqué de presse, pas même 140 caractères sur votre compte twitter pour qu’une enquête soit menée afin de faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé. Infirmiers que nous sommes, nous ne pouvons que regretter amèrement ce qui s’apparente à un manque de considération, s’exprimant par ce silence ministériel qui ne devrait pas exister dans de tels cas (...) Mais l’émotion suscitée par de tels événements au sein de notre profession ne doit pas être sous-estimée même si comme à leur habitude, les infirmiers resteront dignes et continueront d’exercer leur métier en y mettant toute leurs compétences pour soigner.

Reconnaissance en accident du travail et enquête interne au CHU de Toulouse

Près de deux semaines après le suicide de l’infirmier toulousain qui s’est donné la mort le 13 juin dernier dans son bureau sur le site de l’hôpital Rangueil (31), la direction du CHU de Toulouse vient de reconnaître ce décès en accident du travail comme l’avait demandé le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au lendemain du drame survenu. Le fait que le décès intervienne sur le lieu de travail de ce professionnel [l’]a conduit à appliquer la présomption d’imputabilité , précise la direction dans un communiqué du 28 juin. De plus, outre les enquêtes médico-judiciaire, de l’inspection du travail et du CHSCT déjà en cours, celle-ci a aussi initié une enquête interne visant à faire toute la transparence sur l’environnement de travail de ce professionnel. Conduite par deux médecins, un cadre de direction et un directeur des soins, ses conclusions sont attendues d’ici fin juillet et seront rendues publiques sous accord de la famille.

Les conditions de travail en toile de fond... Si le suicide est toujours un geste complexe, singulier, multifactoriel, les organisations syndicales du CHU toulousain estiment qu’il y a une forte présomption à lier ce drame aux conditions de travail : Cet infirmier était sur un poste aménagé. Depuis une restructuration professionnelle, il était "cantonné" à la pose de Holters [dans le service d’hypertension artérielle thérapeutique après avoir passé 26 ans en chirurgie cardiovasculaire, NDLR]. Il était en souffrance, en pleurs dans le service relate Julien Terrié, le secrétaire CGT du CHSCT central du CHU de Toulouse. Il n’y a pas eu d’évaluation des risques psychosociaux (RPS) sur ce poste » et cela est « une faute inexcusable pour la CGT, ce d’autant qu’il y a déjà eu une tentative similaire en mai 2012 au sein du CHU poursuit-il.

Un moratoire sur les restructurations comme principe de précaution... Très inquiètes, considérant que très certainement d’autres personnels sont en danger et que potentiellement tous les services et tous les agents sont concernés, les organisations syndicales du CHU (CGT, Sud) ont voté lors d’un CHSCT exceptionnel qui s’est déroulé le 27 juin la conduite d’une expertise pour risques graves sur le pôle de cardiologie où travaillait l’infirmier décédé. De même, elles ont appelé à un moratoire – comme principe de précaution – sur les restructurations en cours, notamment sur le plan Avenir et la mise en place du groupement hospitalier de territoire (GHT). Si la direction du CHU se dit prête à porter la plus grande attention aux recommandations formulées par la mission d’enquête sur la conduite des projets de modernisation au sein de l’institution et l’accompagnement personnalisé des professionnels concernés, elle leur a néanmoins signifié une fin de non recevoir sur cette dernière demande. Et deux jours plus tard le rassemblement "Hôpital debout" organisé par les syndicats devant l’Hôtel-Dieu, siège de la direction toulousaine où se déroulait le conseil de surveillance du CHU, a trouvé porte close.


Valérie HEDEF, journaliste pour Infirmiers.com

Comment voulez-vous faire de la "qualité du soin "quand on privilégie la quantité, dans des conditions de travail de pire en pire... où l'écoute et la reconnaissance des soignants est inexistante ?

Le 24 juin, c'est une infirmière de nuit du Groupe hospitalier du Havre qui met fin à ses jours. Son mari, lettre à l'appui, met en cause les conditions de travail de son épouse. Dans la lettre, son épouse âgée de 44 ans, mère de deux enfants, en poste depuis 20 ans dans l'établissement, infirmière de nuit à mi-temps en pédiatrie, met en lien son geste désespéré avec ses conditions de travail en dégradation constante. Les services de l’hôpital sont en effet en réorganisation depuis des mois. Il a été demandé aux agents plus de polyvalence. En clair, tous les salariés en poste en pédiatrie devaient se montrer aptes à agir dans les différents services de cette spécialité, notamment en réanimation pédiatrique. L’infirmière avait signalé qu’elle ne se sentait pas à la hauteur pour assumer autant de responsabilités. Elle n’a pas été entendue, dénonce Françoise Gosset, représentante du syndicat Sud au micro de nos confrères de France 3.

La Coordination nationale infirmière (CNI) publiait le 30 juin au matin sur son site un court billet pour adresser ses sincères condoléances aux familles et aux proches de ces deux soignants, rappelant également un contexte alarmant qui fait que le mal être des soignants s’amplifie : restrictions budgétaires, injonctions contradictoires, mobilité à outrance, polyvalence imposée et conditions de travail dégradées. La CNI appelant Marisol Touraine à sortir de son mutisme et à garantir toute la lumière sur les circonstances des décès de nos collègues. Ce matin, un nouveau communiqué intitulé "Lettre ouverte à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé" va plus loin, dénonçant que beaucoup d’hôpitaux, contraints par des Contrats de Retour à l’Equilibre Financier, par les baisses successives de l’ONDAM, par le plan d’économie triennal sont obligés de trouver des solutions d’économie. Cette gestion expose trop souvent les personnels à un exercice imposé en inadéquation avec leurs valeurs professionnelles. Nous en sommes donc là, trop de situations décrites et vécues par nos collègues relèvent de la maltraitance de soignants. Que dire de la qualité des soins et des prestations hôtelières apportées aux usagers ? La CNI rappelle également que depuis de longs mois, elle est dans l'attente de  mesures concrètes pour faire face à l’urgence et prendre en compte ces cris d’alarme. En retour, les seuls éléments de réponse évoquent un renforcement des mutualisations de moyens et, encore et toujours, des économies à réaliser. Le syndicat CNI dénonce cette non-assistance à personnels en danger ainsi que l’abandon dont fait preuve la tutelle.

A quand la prise en compte du malaise des soignants, ceux qui baissent les bras faute d'oreille attentive à leur détresse alors qu'ils sont attentifs à la détresse de leurs prochains ?

Sur les réseaux sociaux, les réactions de la communauté infirmière sont immédiates. Mercedes le rappelle : Solidaire, moi aussi, pour avoir bien connu le fonctionnement hospitalier il y a quelques années. Aujourd'hui, la situation est pour beaucoup bien plus difficile, les rythmes plus tendus, les exigences intenables. Il y a des limites quand il s'agit de prise en charge de personnes soignées pour l'institution de gestion de soignants intervenant première ligne. Un drame pour nous tous ! Kath s'exprime dans le même sens : Quel drame ! Quand on voit toutes ses professions qui fond des grèves et qui nous on subit sans se plaindre plus haut ... on aide beaucoup mais qui nous aide ? On se forme, on forme et on nous déforme .... voilà ce beau métier devient tellement difficile avec beaucoup de responsabilités et même pas de reconnaissance en salaire ... pourquoi les ide partent en libérale ? C'est dommage de devoir y donner sa vie alors qu'on essaie d'en sauver. Pour Sylvia, le silence des tutelles rajoute à la violence des faits : Ça s'appelle de la maltraitance institutionnelle... Combien de suicides encore avant que nos politiques, ARS, Directions des soins et RH en prennent conscience ? Quelle tristesse... Quant à Isabelle, elle souligne ceci : cette situation peut nous toucher de près malheureusement, nous aimons notre travail mais le gouvernement ne nous permet pas de prendre soin des personnes comme nous le souhaiterions, c'est navrant...  De son côté Steph le rappelle : Du chiffre, du chiffre.. Comment voulez-vous faire de la "qualité du soin "quand on privilégie la quantité, dans des conditions de travail de pire en pire.. où l'écoute et la reconnaissance des soignants est inexistante ?

Du côté de l'Ordre national des infirmiers, un communiqué publié le 30 juin soulignait que quand un soignant met fin à ses jours en lien avec son exercice professionnel, c’est un drame qui ne peut laisser personne indifférent.(...) De tels événements dramatiques amènent nécessairement à s’interroger sur les difficultés d’exercice d’un métier choisi pour être au service des patients et des usagers du système de santé en faisant souvent fi de ses difficultés personnelles. (...) La lutte contre les risques psychosociaux à l’hôpital doit constituer une priorité de la politique hospitalière. Elle nécessite une considération de ces risques très en amont. (...) La communauté infirmière attend vivement de la part des responsables hospitaliers une prise en compte urgente de ces risques, de la nécessité de les anticiper et de mettre en œuvre des mesures fortes de lutte.  Comme elle attend aussi aujourd’hui de la part de la Ministre chargée de la santé un témoignage d’humanité qui dans ces moments de profonde tristesse apporterait un juste réconfort. L'ONI a demandé à être reçu urgemment par Marisol Touraine. 

Comme à leur habitude, les infirmiers resteront dignes et continueront d’exercer leur métier en y mettant toute leurs compétences pour soigner...

On le comprend aisément, dans un climat social fort tendu, la profession infirmière se sent meurtrie en son sein mais surtout trahie par un gouvernement qui n'entend pas ses plaintes. Clem le dit haut et fort : à quand la prise en compte du malaise des soignants, ceux qui baissent les bras faute d'oreille attentive à leur détresse alors qu'ils sont attentifs à la détresse de leurs prochains ? A quand des chiffres pour souligner le nombre de ceux qui baissent les bras et sont abandonnés au désespoir et à la solitude ? A quand des actions et une prise de conscience que les soignants sont seuls et en souffrance ! C'est révoltant d'en être réduits à l'impuissance et à compter les morts dans l'indifférence la plus totale.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com
@FabregasBern




Source : infirmiers.com