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Professionnels de santé et instances de pilotage : la fracture

Publié le 25/03/2019

Plus d’argent pour la santé mais... moins de gaspillage. Une réforme santé en cours… mal connue des professionnels de santé mais critiquée quand même ! Des représentations et des instances professionnelles peu dignes de confiance. Une parole étouffée et un manque d’implication… Voilà en substance le ressenti des professionnels de santé interrogés sur ce qu’ils considèrent comme la grande absente du Grand Débat National : la santé. Pour en savoir plus encore, pleins feux sur des chiffres qui en disent long sur une fracture entre les soignants et leurs instances de pilotage ; une fracture qui demande une réduction en urgence !

Urgence, fracture… ce que nous livre cette enquête nous interroge : comment réformer et transformer notre système de santé si les acteurs de ce système avouent la méconnaissance des réformes en cours et de leur contenu et si, de plus, ils ne sont pas pleinement associés à ce qui se prépare ?

En février dernier, à l’occasion du Grand Débat National (GDN) , le Groupe Profession Santé  - et ses medias spécialisés1 dont infirmiers.com - épaulé par Odoxa, s’associaient pour lancer une grande enquête 2 sur les perceptions et les attentes des professionnels de santé. Quelques 3366 d'entre eux exerçant en ville comme à l‘hôpital - dont 495 infirmiers et 120 aides-soignants - ont répondu aux 20 questions proposées, livrant ainsi leurs impressions en matière d’organisation du système de santé et des réformes en cours et à venir.

Le Grand Débat National : quelle place pour la santé ?

Rappelons que le Grand Débat National (GDN), dont la phase de participation a été clôturée le 18 mars dernier, a recueilli 1 932 884 contributions, 16 000 cahiers citoyens, 10 000 courriers et courriels reçus et 10 452 réunions locales. La publication des synthèses, travail titanesque, est attendue courant avril.

Selon les résultats de notre enquête, 1 professionnel de santé (PS) sur deux comptait participer ou a participé au GDN avec d’ailleurs un a priori plutôt négatif : 69 % des PS pensaient qu’il ne serait pas mené de façon indépendante du pouvoir et, qu’en termes de résultats, il n’aboutirait pas à des mesures utiles pour le pays (55%). Ceci étant précisé, soulignons ce qui apparaît comme la première évidence partagée de tous : la santé semble avoir été largement absente du Grand Débat National puisqu’un Français sur deux et 8 professionnels de santé sur 10 le pensent. Plus encore chez les infirmiers et les aides-soignants qui considèrent que la place de la santé dans le GDN a été insuffisante à 96 % et 98 %.

49,7 % des infirmiers et 62,5 % des aides-soignants comptaient participer ou ont participé au Grand Débat National...

Plus d’argent pour la santé mais... moins de gaspillage !

Globalement, il semble que l’argent soit toujours perçu comme le nerf de la guerre. Les attentes des professionnels de santé mais aussi des Français sont identiques en la matière : 50% d'entre eux veulent à la fois plus d’argent pour la santé et en même temps que l’on fasse la chasse aux dépenses inutiles. Lutter contre la prescription d’actes médicaux injustifiés est une piste : 4 Français sur 10 (40%, dont 12% à qui cela est arrivé plusieurs fois) et les 2/3 des PS (66% dont 19% à qui cela arrive régulièrement) reconnaissent s’en être rendus coupables. Logiquement, le ressenti est particulièrement fort chez des médecins (70% l’ont déjà fait) et des pharmaciens (80%), principaux prescripteurs d’actes médicaux auprès des patients ; un ressenti partagé par plus d’un infirmier sur deux (55,2%). Dans le même esprit, 23 % des PS souhaitent également responsabiliser les acteurs et leur donner plus d’autonomie au niveau territorial.

Car oui, permanence des soins, équité, accès aux structures de soins locales, il est clair que le sujet fédère autant les Français que les professionnels de santé attachés à l’existant. Les uns (83% des Français) comme les autres (60% des PS) se refusent à la fermeture des structures de soins locales ayant une trop faible activité. Ouvrir, cependant, de nouvelles structures de proximité s’avère prioritaire pour 40% des infirmiers et aides-soignants.

Autre piste qui pourrait générer des économies avec une question à la clé : l’assurance maladie est-elle trop généreuse en termes de remboursement des soins ou, au contraire, trop restrictive ? Le groupe infirmiers/sages-femmes/aides-soignants se distingue des autres professionnels de santé - empathie oblige peut-être (!) -, se rapprochant de l’avis des Français (42 % vs 45%) sur l’idée que l’assurance maladie devrait rembourser davantage…  

La fameuse coopération entre professionnels aujourd’hui si souvent mise en avant, autant par les décideurs que les PS eux-mêmes, vise, en effet, un parcours patient plus fluide, plus cohérent et plus efficace. De fait, elle constituerait sans doute un enjeu clé, puisque bon nombre d’actes inutiles proviennent d’une mauvaise communication entre professionnels. Accentuer cette coopération ne semble pas ou plus poser de problèmes aux acteurs : sur le papier, les pharmaciens, médecins et infirmiers affichent tous (79% à 93%) leur grande capacité à travailler ensemble. Un petit effort de pédagogie peut toutefois être poursuivi, notamment auprès des médecins qui sont favorables à cette coopération mais s’y montrent un peu moins résolus que les autres : seuls 38% se disent certains d’être prêts à le faire… Quant au déploiement suggéré des CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé) , il n’est jugé favorable que par 36 % des infirmiers, 33 % pour ceux qui travaillent en secteur libéral… La méfiance semble encore de mise sur le sujet…
 

Coopérer entre professionnels de santé ? Les infirmiers disent massivement oui à plus de 91 % ! Ils montrent beaucoup moins d’engouement sur le déploiement des CPTS !

La réforme santé en cours… mal connue des PS mais critiquée quand même !

Elément d’importance et qui interpelle, il ressort de cette enquête que la réforme gouvernementale sur la santé portée par le Président Macron et la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, souffre d’une méconnaissance certaine de la part des professionnels de santé. En effet, 63% d’entre eux ne la connaisse pas ! (73 % chez les pharmaciens !) Les infirmiers se disent également insuffisamment informés (60% d'entre eux) pour pouvoir se prononcer sur l’idée d’y être favorables ou opposés et plus encore les aides-soignants (83,3%). De plus, de ceux qui la connaissent, 22% se montrent plus souvent critiques (38,6 % chez les infirmiers) que positifs (14% chez les PS, 6,5 % chez les infirmiers, 3,3 % chez les aides-soignants). Le fait que même les cadres de santé et personnels administratifs, censés porter la parole en interne dans leurs établissements, soient une majorité (53%) à se montrer perplexes est peut-être encore plus questionnant.

C’est d’autant plus dommage mais d’autant plus paradoxal que les principales réformes de l’organisation du système de santé présentées par Agnès Buzyn sont, elles, largement approuvées par les PS (67% sur le numerus clausus par exemple, 77,4 % chez les infirmiers et 65,8 % chez les aides-soignants). De la même façon, la nouvelle organisation des études de santé est plutôt bien accueillie chez les PS (56%) mais moins chez les aides-soignants (48%) et un peu moins encore chez les infirmiers (36,8%).

Cependant, un point de crispation perçu nettement du côté des PS : la création de 4000 assistants médicaux . On sait que le sujet, en pleine discussion à l’Assemblée nationale et dans les négociations conventionnelles menées par les médecins généralistes avec la CNAM , divise, voire fâche. Les chiffres en attestent : seuls 39 % des PS y sont favorables, 16 % chez les infirmiers mais 65,8 % chez les aides-soignants qui pourraient être le profil retenu pour investir ce nouveau métier…

Interrogés sur la régulation par les pouvoirs publics de la répartition des médecins libéraux sur l’ensemble du territoire… alors que les Français (82%) comme la plupart des PS (74% à 84%) y sont favorables (71 % chez les infirmiers et 85,8 % chez les aides-soignants) … les médecins, eux, y sont largement opposés (65%). Liberté chérie !

La stratégie nationale de santé qui sert de cadre à la politique de santé jusqu’en 2022 : 53,9 % des infirmiers et 83,3 % des aides-soignants sont "insuffisamment informés sur le sujet pour pouvoir se prononcer sur l’idée d’y être favorables ou opposés..."

Syndicats, ordre, agences de santé, tutelles… la crise de confiance

Les professionnels de santé sont investis dans la vie démocratique de la Cité. Médecins, pharmaciens, infirmiers, aides-soignants… ils sont citoyens, 7 sur 10 votent à toutes les élections. Impliqués, ils le sont donc. Mais pour eux, les différentes structures en charge de les représenter - et il y en a de très nombreuses, reste à savoir d’ailleurs s’ils connaissent dans le détail les missions de chacune - ne jouent pas bien leur rôle. Ni leurs syndicats professionnels, ni leur ordre ne trouvent grâce à leurs yeux.

Du côté infirmier, seuls 37 % pensent que les syndicats jouent un rôle favorable (34 % chez les aides-soignants), pire encore seuls 20,8 % font confiance à leur ordre (28 % chez les infirmiers libéraux). Les autres instances sont tout autant, voire plus encore, critiquées, avec des taux de confiance très, très faibles : le Conseil National Professionnel (9 % chez les IDE), la Conférence Nationale de la Santé (11 % chez les IDE et 9 % chez les AS), le Haut Comité des Professions Paramédicales (15 % chez les IDE et 18 % chez les AS) et le Haut Comité pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (7 % chez les IDE et AS). Seul l’Union Régionale des Professions de Santé trouve un regain d’intérêt chez les infirmiers libéraux (rôle positif pour 40 % d’entre eux) Ouf !

Le jugement des PS est encore plus sévère s’agissant des structures en charge du pilotage du système de santé : HAS, ANAP, Santé Publique France … 55% à 66% des PS (68 % chez les IDE et 63 % chez les AS) estiment que ces structures ne jouent pas bien leur rôle. Du côté de la CNAM, sans surprise ce sont les infirmiers libéraux qui s’expriment le plus négativement : seul 12 % de taux de confiance !  (31 % pour l’ensemble des PS).

Alors que 2 Français sur 3 jugent insuffisante la place accordée à la représentation des patients, les professionnels de santé n’en sont pas convaincus, sauf les infirmiers et plus encore les aides-soignants !

Parole, parole, parole… mais quid de celle des professionnels de santé

En tant que soignants, les PS pensent que leur parole n’est ni écoutée au niveau des établissements (80%), ni au niveau des territoires (81%), ni au niveau régional (89%) et encore mois au niveau national (5% des PS considèrent être écoutés et pire encore seul 4 % des infirmiers !). D’ailleurs, ils ont même un sentiment de régression puisque les trois-quarts (77%) des PS (78,2 % des infirmiers et 83% des médecins et des aides-soignants) estiment qu’ils ont aujourd’hui moins de place qu’auparavant dans le pilotage du système de soins.

Ce que nous livre cette enquête nous interroge : comment réformer et transformer notre système de santé si les acteurs de ce système avouent la méconnaissance des réformes en cours et de leur contenu et si, de plus, ils ne sont pas pleinement associés à ce qui se prépare ? Le Dr Philippe Denormandie, directeur des relations publiques et médicales chez nehs, souligne la première priorité qui est de renouer le fil distendu, sinon rompu, de cette confiance. Et de poursuivre qu’une autre nécessité va de pair : elle consiste à montrer aux professionnels de santé qu’ils sont écoutés et perçus comme des acteurs (et pas des suiveurs) des décisions à prendre pour l’avenir du système.

L'urgence de donner la parole aux professionnels de santé, mais également la nécessité pour eux, vitale, de la prendre lorsqu’elle est donnée afin qu’elle soit écoutée et prise en compte, est sans doute l’une des clés qui permettra de changer la donne, d’ouvrir des perspectives, de rétablir la confiance et le dialogue entre les acteurs de terrain, la base en quelque sorte, et tout l’écosystème santé. Philippe Denormandie l’affirme : combler ce qui sépare désormais les soignants des instances de pilotage de notre système de santé n’est plus un fossé mais un "rift". Le combler est une urgence.

"L’organisation et les conditions de travail" sont également citées spontanément comme élément péjoratif par 30% des professionnels de santé interrogés ainsi que l’amélioration de l’accès aux soins (21% des citations).

Notes

  1. infirmiers.com, cadredesante.com, aide-soignant.com, Le quotidien du médecin, Le quotidien du pharmacien, Le Généraliste
  2. Enquête réalisée par Odoxa, pour le Groupe Profession Santé  (GPS) auprès d’un échantillon de Français interrogés par Internet les 27 et 28 février 2019. Enquête réalisée auprès d’un échantillon de professionnels de santé interrogés par Internet du 21 février au 14 mars 2019 via les sites de GPS. Echantillon de 3 366 professionnels de santé, composé de : 929 médecins généralistes, 1 040 médecins spécialistes, 41 internes ; 495 infirmier(e)s ; 120 aides-soignants ; 16 sages-femmes ; 502 pharmaciens ; 130 autres professionnels en santé ; 93 cadres de santé / personnels administratifs.

*Lire aussi les résultats de cette enquête sur cadredesante.com, aide-soignant.com, Le Quotidien du Médecin, Le Quotidien du Pharmacien, Le Généraliste

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com