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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

"Pourquoi nous le faisons : Le témoignage d'un infirmier "

Publié le 10/04/2009
infirmier interrogation

infirmier interrogation

Je suis infirmier en service de réanimation polyvalente d'un hôpital parisien. Les récentes erreurs médicales et paramédicales et la médiatisation outrancière dont elles ont fait l'objet m'ont choqué, principalement parce que nous faisons un métier difficile et méconnu de la population, où nos compétences ne sont pas reconnues à leur juste valeur, où nos responsabilités sont grandes. Le fait est qu'on ne nous entend pas, les rares fois où nous manifestons se passent dans l'indifférence générale.

Avec les aides-soignants, les agents des services hospitaliers, les brancardiers, les kinés, et les médecins, nous infirmiers aidons vos proches à aller mieux, quel que soit leur caractère, leur âge, leur religion, leur couleur de peau...

Un soir de ras-le-bol, j'ai donc décidé d'écrire le texte suivant et de le diffuser le plus largement possible afin de rappeler aux journalistes, aux politiques et au grand public à quoi servent les infirmier(e)s et pourquoi nous faisons ce métier. "Pourquoi choisit-on de se tourner vers un métier où l'on se place quotidiennement face à la douleur, la peur, la mort ? Devenir les témoins de la maladie, de l'amputation, de l'infection, de l'hémorragie ? Tant passent dans nos lits, si peu en sortent, encore moins pleinement vivants, dotés d'un avenir et pas uniquement des vestiges d'une vie déjà résolue. Pourquoi décide-t-on que l'on va participer, chacun à son niveau, à la bataille opposant la vie à la mort, la maladie à la guérison, la souffrance à l'espoir ?

Parfois un homme, une femme passe telle une étoile filante, reliée encore à la terre par quelques fils dérisoires, ventilation mécanique, seringues électriques, une vie entière ne tenant qu'à quelques piles. Quelques heures de lutte acharnée, où l'on fait un massage cardiaque, où l'on assiste le médecin qui intube, pose un cathéter veineux central, un cathéter artériel, un cathéter de dialyse, et puis, la nature reprend ses droits; rappelle à tous que nous ne maîtrisons que si peu. Et que parfois, ce peu ne suffit pas. Alors on meurt. Il faut alors annoncer aux vivants, à ceux qui restent, qu'ils ont perdu une mère, une tante, un frère; on les rassure comme on peut et c'est dérisoire : « Oh non ils n'ont pas souffert. »

Mais l'on sait que la souffrance de la mort, elle est pour ceux qui vivent, pour ceux qui sont encore là, sans l'autre désormais, et à jamais. La douleur du cœur déchire l'âme bien plus que celle du corps. Un homme s'écroule, à genoux, tremblant, si faible, si petit, si dérisoire face à l'inéluctable, vous prend dans ses bras, pleure, crie, et même hurle parfois. Il aurait envie de vous frapper peut-être, de se faire du mal, de dispenser sa colère et sa peine sur quelqu'un, un responsable. Mais il n'y en a aucun. Non, il n'y avait plus rien à faire. Oui, nous avons tout tenté; mais parfois, rien ne marche; parfois, tout n'est pas assez. Et comment l'expliquer ? Comment l'accepter ?

A l'hôpital, le long de ces couloirs où rôde, presque palpable, la présence de la mort, tout est mis à nu; chaque faiblesse, chaque erreur est grossie, devient visible. On ne trompe pas la mort, ni la souffrance, encore moins la maladie. Quand on travaille en un tel lieu, on fait parfois des rêves étranges; des cauchemars terrifiants. On voit ceux que l'on aime, nos proches, un tuyau dans la gorge, sur ce lit; on n'est plus un soignant mais un visiteur. Et l'on se réveille en panique, les larmes aux yeux. Oui, nous comprenons ce que c'est. Nous aimons, sinon nous ne ferions pas ce métier, alors nous pouvons comprendre ce que c'est de perdre l'amour. Nous l'avons sans doute tous vécu, où alors nous le vivrons.

On découvre que l'on ne fait pas ce que l'on veut. On ne fait que ce que la nature nous autorise à faire. On ne vainc pas la mort, on essaye de rendre la vie, et c'est là toute la différence. Parfois la vie n'est déjà plus la, tout échoue. C'est ainsi. Alors cette jeune fille touche la main de sa mère, déjà froide. Elle ne peut pas supporter, cette image, ce tableau, ces fils, ces câbles, ces machines tellement dérisoires. Elle sort en pleurant. Qu'est-ce qu'on n'y peut ? Rien, absolument rien.

Certains sont très lucides, plein de bon sens. « Il a bu, mangé et fumé toute sa vie, voilà ce qui arrive. Il était malade depuis longtemps, mais il refusait d'aller voir le docteur; voilà ce qui arrive. On ne peut rien contre la nature; vous faites ce que vous pouvez, pas l'impossible. » Ceux-là souvent, nous remercient pour ce que l'on fait, parce qu'ils comprennent le sens de tout cela; mieux que nous sans doute, ils comprennent pourquoi nous le faisons, ce métier. Et bien qu'on leur réponde que c'est justement notre métier et qu'ils n'ont pas à nous remercier, hé bien ça nous touche, ça nous redonne espoir, courage, et ça nous aide à nous rappeler, précisément, pourquoi nous le faisons. Car il arrive qu'on ne sache plus trop. Quand il y a trop d'échecs, trop de morts, trop de souffrance, et qu'on en prend le souffle en pleine face. Quand on a l'impression de se battre contre des moulins à vent, de lutter contre l'inertie, la bureaucratie et la paperasserie, parce que pour une obscure raison politique, matérielle, budgétaire, le patient ne peut pas avoir son scanner, sa radio, son bloc opératoire, et que nous faisons face à toutes les plaintes; l'IDE est le fantassin en première ligne, qui prend tous les coups, venant de devant mais aussi de derrière. Quand certains jours, on en peut plus de brasser du sang, de la merde, de la pisse. Parce qu'à l'hôpital, quand il s'agit de vie ou de mort, tombent les masques; on en revient au basique, aux substances premières. Il faut bien que quelqu'un y mette les mains. Hé bien c'est nous.

Alors oui, ça nous fait du bien quand on nous dit que nous faisons du bon boulot. Nous ne sommes pas infaillibles, nous commettons parfois des erreurs, et elles sont souvent tragiques, fatales. Nous ne pouvons pas effacer une erreur, comme un journaliste qui rédige un article et fait une faute de frappe. Mais nous avons tous une conscience professionnelle exigeante, parce que nous sommes conscients de nos responsabilités. Elles sont parfois écrasantes. Quand nous avons des nouvelles d'un homme ou d'une femme, qui allait mourir trop tôt et que nous avons aidé à vivre, et qui nous passe le bonjour, ou qui nous dit qu'aujourd'hui il où elle vit encore, alors que son SAPSII (score de gravité en fonction des pathologies, de l'âge, des antécédents) lui donnait 72,8% de chances de mourir, et qu'elle sait, qu'elle n'oubliera jamais, à qui elle le doit, alors oui, ça nous rappelle pourquoi nous le faisons. Nous le faisons parce que, ça doit être fait. Hé bien c'est nous qui nous en chargeons.

Nous sommes plus de 400 000 en France. Nous faisons trois ans et demi d'études, bientôt quatre. Nous sommes payés bac +2. Nous ne faisons jamais grève, nous ne manifestons que trop rarement pour l'amélioration de nos salaires, de nos conditions de travail, de nos horaires, et quand ça arrive, c'est dans l'indifférence générale. Nous donnons beaucoup et réclamons peu. Avec les aides-soignants, les agents des services hospitaliers, les brancardiers, les kinés, et les médecins, nous aidons vos proches à aller mieux, quel que soit leur caractère, leur âge, leur religion, leur couleur de peau, leur mutuelle, qu'ils nous insultent ou bien qu'ils nous remercient chaleureusement, et ça n'a rien de simple, parfois tout se passe bien, parfois tout va de travers. Parfois l'un d'entre nous se trompe.

Nous ne sommes ni des jésuites, des bonnes sœurs, des martyrs ou des couillons. Nous sommes, avant tout et comme vous, humains. Et nous faisons ce qui doit être fait, voilà tout."

Emmanuel DELPORTE, IDE


Source : infirmiers.com