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Pourquoi les soignants ne déclarent pas un AES ? Une étude chinoise tente de répondre…

Publié le 29/05/2019
Pourquoi les soignants ne déclarent pas un AES ? Une étude chinoise tente de répondre…

Pourquoi les soignants ne déclarent pas un AES ? Une étude chinoise tente de répondre…

De fil en aiguille, la seringue n’est pas toujours la meilleure amie du professionnel de santé. Une équipe chinoise s’est penchée sur un problème persistant pour l’ensemble de la communauté infirmière à travers le monde : les accidents d’exposition au sang et les raisons pour lesquelles ils ne sont pas systématiquement déclarés et comment agir pour qu’ils le soient davantage.

Les infirmiers sont parmi les plus à risque d’AES, or ils ne les déclarent pas toujours, prenant le risque de contracter diverses infections.

Etrange paradoxe : alors que la prévalence d’accidents d’exposition au sang (AES) chez les infirmiers est relativement haute, les taux d’AES déclarés sont bas. C’est ce que révèle une étude chinoise récente effectuée sur près de 550 infirmiers hospitaliers. Ces chiffres sont d’autant plus problématiques que les hépatites B et C sont considérées comme épidémiques en Chine. Plus précisément, la dernière étude nationale réalisée sur la population chinoise a estimé à 100 millions le nombre de citoyens porteurs du virus HBV et à 30 millions ceux infectés par le HCV. D’où l’importance pour les professionnels de santé de déclarer les AES le plus rapidement possible afin de bénéficier des traitements prophylactiques. En effet, une exposition à une hépatite ne génère pas forcément une infection. On peut prévenir une potentielle séroconversion via des médicaments appropriés mais ceux-ci sont efficaces pendant une courte période suivant l’exposition : c’est la fenêtre d’opportunité. Par exemple, des travaux ont démontré que l’administration à temps d’anticorps anti-hépatite B suivie du vaccin, chez les personnes non ou mal vaccinées exposées au virus, réduit de 90% le risque de contracter la pathologie par la suite.

AES : tous concernés !

Cependant, certains professionnels de santé peuvent rater le coche. Les spécialistes ont donc questionné plus de 500 infirmiers pris au hasard et exerçant dans six hôpitaux différents. Tous les répondants ont déclaré avoir au moins une fois été blessés par un objet contendant comme une aiguille ou un scalpel au cours de leur carrière et environ deux tiers ont été exposés à un liquide organique (sang ou autres). Or, si une proportion non négligeable de soignants (83,2%) était parfaitement consciente de la nécessité de faire une déclaration, seul 14,6% d’entre eux suivaient la procédure à chaque accident. Ainsi, plus d’un tiers des infirmiers n’ont jamais rédigé de rapport d’AES, et ce, malgré les risques associés.

Pire encore, malgré la prévalence de l’hépatite B en Chine, plus de la moitié des professionnels interrogés minimisaient l’importance de la vaccination. L’équipe précise même avoir été surprise d’apprendre que les établissements de santé n’avaient pas de politique obligatoire imposant aux personnels de santé de se faire vacciner gratuitement.

Comment se produisent les AES et pourquoi ne sont-ils pas déclarés ?

L'utilisation de dispositifs peu sûrs reste la première cause d’incidents par piqûre d'aiguille. Des résultats peu surprenants étant donné que les données du système national de surveillance des professionnels de santé aux États-Unis ont montré que les aiguilles creuses et les objets tranchants solides sont responsables de 94% des blessures par usage d’objets contendants. De même, en Chine, des preuves récentes ont montré que les deux tiers des accidents dus à une piqûre de seringue sont causés par des aiguilles creuses. Ainsi, si l’utilisation de dispositifs de sécurité a été légalement adoptée en Europe et aux États-Unis pour réduire au maximum ces accidents, en Chine, cette politique n’est incluse que dans un fichier recommandé intitulé Normes de pratique infirmière en thérapie intraveineuse. Un retard qu’il serait bon de rattraper selon les auteurs de l’étude, qui soulignent l’intérêt de restreindre le recours de dispositifs d'ingénierie non sécuritaires, tels que les aiguilles en acier à ailettes.

Autre point mis en avant : les sous-déclarations. Pourtant, la plupart des soignants participants connaissent la procédure et sont informés de l’importance d’une prophylaxie post-exposition. Par ailleurs, les hôpitaux ont également dispensé des formations pour les personnels. Malgré cela, les infirmiers restent peu enclins à signaler les AES. Questionnés sur le sujet, les soignants ont répondu que ce n’est pas la complexité de la procédure qui les démotive. En revanche, ils jugent que leur employeur ne prête pas suffisamment attention à ces déclarations. Plus précisément, ils estiment qu’aucun responsable n’effectue un suivi méticuleux de la personne exposée. Ils se plaignent également de l’absence d’un superviseur pour s’assurer que les professionnels fassent bien leur déclaration dans les temps ou d’un manque de soutien psychologique lorsqu’ils sont victimes d’AES.

Comment pousser les infirmiers à rapporter les accidents

Ces éléments s’avèrent être des pistes intéressantes pour tenter de parer les réticences des personnels de santé à ne pas signaler les accidents d’exposition au sang. Il est capital d’améliorer les taux de signalements car le fait qu’ils demeurent bas laisse présager un recours faible aux schémas thérapeutique de prophylaxie.

Suite aux réponses apportées par les soignants, les chercheurs évoquent deux pistes d’améliorations potentielles. La première est liée au manque d’investissements de la direction de l’hôpital. En effet, celle-ci pourrait concevoir un programme de prévention des blessures qui devrait comporter un ensemble de mesures à l’échelle de l’établissement et être adapter au lieu de travail. Selon les spécialistes, mettre en place une équipe dédiée à cette tâche est prioritaire. Cette équipe serait en partie formée d’experts en matière de sécurité et de santé au travail. Elle assurerait le suivi des professionnels de santé victimes d’AES ainsi que la mise en œuvre des traitements prophylactiques post-exposition.  De même, elle serait également composée de psychologues chargés de fournir un soutien effectif auprès des soignants concernés. Pour que tous les employés aient facilement accès à ce service, un numéro ouvert 24h/24 devrait être affiché sur le lieu de travail, voire sur les réseaux sociaux.

En parallèle, il serait intéressant d’évaluer l’efficacité des formations données aux personnels de santé et de diversifier leur contenu. Par exemple, les scientifiques proposent d’inclure des études de cas sur les expositions ou des conférences données par des experts en maladies infectieuses.

Si certaines données ne sont pas transposables à l’Europe, il faut reconnaitre que selon la dernière enquête de l’Ordre infirmier , beaucoup trop d’AES restent non déclarés dans l’Hexagone. Est-ce que les infirmiers jugent également que leur hiérarchie ne s’implique pas assez face à cette problématique ? Désirent-ils eux aussi un soutien psychologique ? Peut-être que des travaux du même ordre mériterait d’être réalisés en France.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com