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Patients psychiatriques en soins palliatifs : une prise en charge complexe

Publié le 10/01/2018
Homme malade allité

Homme malade allité

Les soins palliatifs sont par nature complexes. Ils le sont d'autant plus lorsqu'ils concernent des patients présentant des troubles psychiatriques ou psychiques. Comment faire pour prendre en charge ces patients "atypiques" selon qu'ils sont suivis en unités de soins palliatifs, en services de psychiatrie ou bien en centres médico-psychologiques ? Comment améliorer les pratiques soignantes en ce domaine ? En évitant quels écueils ? Éléments de réponse à l'occasion de la 16e journée régionale de la Sfap qui s'est déroulée le 13 octobre 2017 à Toulouse sur le thème "Soins palliatifs et santé mentale : approches complexes".

Déceler un trouble somatique et/ou identifier la maladie chez un patient souffrant de pathologie psychiatrique est complexe car les patients ont parfois une relation au corps particulière.

Les données épidémiologiques parlent d’elles-mêmes : L’espérance de vie des patients psychiatriques est amputée de 15 à 20 ans par rapport à la population générale, leurs principales causes de morbi-mortalité étant le cancer (2e cause après le suicide/cancer du poumon chez les hommes et cancer du sein chez les femmes), les pathologies cardiovasculaires, la BPCO, les infections (hépatites, VIH…) et le diabète a ainsi rappelé le Dr Radoine Haoui, psychiatre au CH Gérard Marchant (CHGM) de Toulouse (31) en préambule de son intervention. À cela plusieurs explications multifactorielles : Les patients psy cumulent de nombreux facteurs de risque (iatrogène, sédentarité, tabagisme, addictions…). Ils expriment également peu de demandes (déni aussi souvent de la maladie somatique) et font face à des difficultés d'accès aux soins (peu de médecins traitants désignés et peu de suivi sur le plan médical), a-t-il ajouté. Et Carine Rey, infirmière au centre médico-psychologique (CMP) Sainte-Marie de Decazeville (12), de renchérir : En psychiatrie, les missions premières sont de prendre en charge une souffrance psychique, un trouble de la personnalité, du comportement, ce qui occasionne un retard de diagnostic. De plus, déceler un trouble somatique et/ou identifier la maladie est également complexe car les patients ont parfois une relation au corps particulière. On est aussi moins sensibilisé au dépistage. L’observance du traitement s’avère également difficile du fait du défaut d’assiduité aux soins des patients.

Des problématiques de prise en charge en USP comme en services de psychiatrie ou CMP

Si le psychiatre a souligné l’importance d’une prise en charge somatique précoce car elle influence le pronostic, il a néanmoins déploré la dichotomie qui existe encore entre le corps et l’esprit pour les professionnels de santé du fait d'une méconnaissance réciproque des compétences du somatique et du psychiatrique dans ce domaine, et d'un cloisonnement des spécialités (médecine très spécialisée, très technique). Et cela n’est pas sans répercussions, loin s’en faut, dans la prise en charge des patients psychiatriques en fin de vie aussi bien dans les unités de soins palliatifs (USP) que dans les services de psychiatrie ou en CMP. Ainsi, dans les USP, les soignants peuvent se sentir en difficulté sinon démunis face à ces patients dyscommunicants, déroutants (imprévisibles), instables sur le plan psychomoteur, manquant de compliance et présentant des troubles du comportement (refus, agressivité, confusion, délire, déambulation…). Comment faire pour aborder la mort et recueillir leurs directives anticipées, les rassurer, évaluer l'effet d'un traitement antalgique et les soins de confort, leur faire passer des examens, leur administrer un traitement, trouver un équilibre entre les traitements psychiatrique et somatique ? Autant de problématiques auxquelles ils sont confrontés dans le cadre de ces prises en charge.

Côté services de psychiatrie, les difficultés tiennent principalement à la cohabitation avec des patients ayant des pathologies aiguës ou potentiellement dangereux en raison d'un état psychopathologique instable et de leur imprévisibilité, à un personnel soignant peu à l'aise sur les soins techniques somatiques, à des chambres non adaptées (absence de prise d'oxygène murale dans les chambres), à une absence de plateau technique… même s’il y a la présence de temps de médecins généralistes au CHGM (2 ETP de généralistes pour 350 patients), a détaillé le Dr Haoui. En unités autres que les soins palliatifs, les expertises sont bien sûr différentes. Les moyens humains et matériels ne sont également pas les mêmes… Pourtant les soignants de ces structures vont être de plus en plus confrontés à ce type de prises en charge car les lits d’accueil en soins palliatifs sont saturés, a relevé de son côté Carine Rey.

Écueils et recommandations

Dès lors, quels écueils éviter ? Le psychiatre toulousain en a mentionné quelques-uns parmi lesquels « se focaliser sur les seuls antécédents psy ou sur la pathologie psy moins prégnante à ce moment-là, avoir peur de la maladie psy en soin somatique et de la maladie somatique en psychiatrie (chacun avec ses représentations !!!), dissocier le soma (techniciens) du psyché (spécialistes de l'écoute) et ne pas se concentrer sur la fin de vie, ne pas s'articuler entre les services soma et psy pour partager les compétences et ne pas échanger sur les difficultés rencontrées, ou encore transférer le patient en soins sans consentement pour des motifs somatiques en lien avec les troubles du comportement ». Pour esquiver ces obstacles, ce dernier a préconisé de considérer la prise en charge psychiatrique comme « un complément à la prise en charge en soins palliatifs » et d’envisager « les troubles dans leur globalité ». Autres suggestions : « mettre en commun les savoir-faire de chacun (somatique/psychiatrique), réguler les tensions de l'équipe soignante (clivage de l'équipe soignante) du fait d'une clinique complexe, aider au "décodage" comportemental et donner des outils de prise en charge (patient "demandeur" ou "adhésif") ».

Enfin le Dr Haoui a délivré quelques recommandations simples aux soignants participants de cette 16e journée régionale de la Sfap, comme « avoir une attitude bienveillante, rassurante et sécurisante ; être attentif à tout changement de comportement du patient ; prendre en considération la plainte du patient même si elle semble inadaptée au premier abord ; installer un climat de confiance ; soulager rapidement la douleur ; demander un avis spécialisé si nécessaire (par exemple en réunion clinique pluridisciplinaire ou supervision d'équipe) ». Enfin, « s'il y a décision d'un transfert en psychiatrie », le psychiatre a rappelé qu’elle devait « être concertée afin de préparer l'admission dans de bonnes conditions avec un matériel adapté (matelas anti escarres, lève-malade, fauteuil roulant et/ou fauteuil coque…), un renfort de personnel, une sensibilisation du personnel et un soutien de l'équipe par le cadre, le médecin, des liens avec la famille et/ou la personne de confiance, ainsi qu’un debriefing lors du décès car il s'agit toujours d'un deuil ». Quant à l’infirmière du CMP decazevillois, elle a souligné l’importance de dépister et d’évaluer une douleur potentielle en observant le comportement car « si les patients la ressentent ils ne l'expriment pas de la même manière » (citant en exemple cette phrase d’un patient – "J'ai avalé un cintre" – pour signifier en fait une douleur thoracique), et de « s'intéresser à l'individu dans toutes ses dimensions, d’être attentif à des signes inhabituels ». Et celle-ci de mentionner également « la musicothérapie, la psychothérapie, la communication orale, les transmissions ciblées (aussi pour palier aux astreintes médicales, jour/nuit), le rôle de l'institution (prendre soin des équipes), des familles mais aussi du patient qui a son mot à dire ».

Au final, on retiendra dans ces prises en charge complexes la nécessité pour les soignants, quels que soient leurs lieux d’exercice, de communiquer, dire leurs craintes, prendre conseil, travailler en équipe, en réseau, en inter et pluridisciplinarité, partager leurs expériences et expertises tout en veillant à préserver les principes de dignité, de bienveillance et d'éthique.

Valérie HEDEF valerie.hedef@orange.fr

À noter

  • 24e congrès de la Sfap à Marseille (Parc Chanot) du 19 au 21 juin 2018 (nouvelle date) - http://www.sfap.org

Source : infirmiers.com