J'ai déjà écrit un article sur les Ehpad il y a quelques années qui m'avait valu pas mal de commentaires. Aujourd’hui, au vu de l'actualité , je récidive et je remonte dans le temps. Un temps que les moins de 20 ans n'ont pas connu : les années disco, les années 80 et mes débuts dans la profession infirmière… en Ehpad ! La misère n'a pas changé de bord.
Il y a fort longtemps, quand j'étais toute jeune infirmière, j'ai démarré en libéral après deux mois de salariat. J'avais vite compris que le salariat et moi nous ne serions pas copains. Dans les années 80 nous avions encore la possibilité de nous installer en libéral directement après le diplôme d'Etat, opportunité dont je me saisis rapidement. Devant la difficulté de se constituer une patientèle permettant d'en vivre, j'ai rapidement accepté une offre d'intervention dans une maison de retraite à une vingtaine de kilomètres de Marseille. J'y allais donc, matin et soir, et nous étions quelques IDEL à y intervenir, puisque à l'époque c'était encore la norme. Il y avait une infirmière salariée de la structure (ou libérale au final je ne sais plus ? ) qui se chargeait de faire les soins techniques
, les petites mains libérales effectuant les toilettes... Et là je vois déjà des sourires sur vos visages.
Petite précision contextuelle c'était il y a très longtemps et j'avais 22 ans. J'étais jeune et naïve et déjà très encline à défendre mon prochain, une Don-Quichotte en herbe.
Alors comment dire ? Dans cette maison de retraite (je l'appellerai MDR, non pas pour mort de rire
mais par des soucis d'économie de texte), il y avait un directeur et sa femme. Elle, c'était le genre de pimbêche, la bonne trentaine (peut-être plus), très très nouveau riche
, clinquante comme un sapin de Noël, hautaine et désagréable comme un instructeur de l'armée, et surtout que l'on sentait extrêmement soucieuse de la réussite professionnelle de son époux... Vu leur villa dans le parc de la résidence retraite, on comprenait son appétence pour l'argent ! Les conditions de vie des pensionnaires de cette MDR n'avaient rien à envier à tous les reportages que l'on voit sur les médias aujourd'hui
! Je dirais même que c'était pire ! Mais à l'époque il n'y avait pas d'internet.
Nous avions des résidents valides (peu), d'autres qui nécessitaient des soins réguliers et passaient leur journée assis sur un vague fauteuil dans la salle commune (après l'intervention des Idel), un peu a la façon vol au dessus d'un nid de coucous
. Et puis nous avions le quartier des grabataires
, la cour des miracles... Je me souviendrai toute ma vie de cette odeur très particulière dès que l'on entrait le matin. A mi-chemin entre la ménagerie d'un cirque et le parking de la gare Saint-Charles. Je pense qu'il est inutile de vous faire un dessin ! Quand à la vue... C'était juste l'horreur !!!
La gardienne de nuit (ni infirmière, ni aide-soignante, ni assistante médicale, non non....) était une petite bonne femme de maximum 1,55m, avec une forte cyphose dorsale, édentée, qui visiblement avait peu fréquenté les bancs d'école. Elle était vraiment adorable et faisait ce qu'elle pouvait. Mais hélas elle pouvait peu, vu qu'elle était seule dans une MDR comprenant une soixantaine de résidents, avec des escaliers, pas de moyens matériels et aucune bienveillance managériale... Je n'ose imaginer s'il y avait eu un incendie ou une urgence vitale. Comment aurait-elle pu gérer ?
Je me souviendrai toute ma vie de cette odeur très particulière dès que l'on entrait le matin. A mi-chemin entre la ménagerie d'un cirque et le parking de la gare Saint-Charles.
Il y avait aussi des employés, dont une, je l'appellerai E, qui s'était attachée aux IDEL, car nous la considérions comme une personne et non pas comme une chose attachée à un balai.
Car voilà, dans le parc des grabataires
, nous arrivions le matin en trouvant les pensionnaires à même le matelas en mousse (matériaux à haute absorption), évidemment pas de lit médicalisé, juste des barrières ! Pas de draps, pas de couches (car il n'y en avait plus pour le service de nuit ou la veilleuse n'arrivait pas à les changer - trop petite !), rien… souvent nus comme des vers ! Il est inutile de donner des détails sur les excréta de la nuit qui leur recouvraient le corps jusque dans les cheveux et les dents. Bien entendu, seuls deux gants et deux serviettes étaient disponibles par Idel pour une dizaine de pensionnaires ! E. nous aidait comme elle pouvait, en récupérant dès son arrivée à 6h quelques gants et serviettes qu'elle cachait dans son placard et qui nous serviraient à faire les toilettes. Elle nous prêtait aussi main forte, en douce, pour manutentionner les personnes, atteintes d'Alzheimer pour la plupart.
Durant mon court séjour dans cette MDR (je suis resté de mi-septembre à début décembre) j'ai pu constater également le manège de l'infirmière en chef, une dame assez proche de la retraite que l'on aurait volontiers retrouvée dans un club de bridge ou à une réunion des pièces jaunes avec Bernadette Chirac, tellement elle était apprêtée et bijoutée
comme un rappeur américain ! Cette dame piquait les pensionnaires en plein milieu de la salle commune. Elle arrivait, perchée sur ses talons (aiguille !) avec une seringue montée et décapuchonnée en criant le nom du pensionnaire allez Mamie Suze, c'est l'heure de la piqûuuuure !!!
. Mamie se levait, était déculottée en public pour se faire piquer, sous l'œil torve et blasé de ses codétenus... Pardon des autres pensionnaires. (Oui je suis en ce moment sur la saison 6 de "Orange is the new black" et du coup mon imagination déborde...)
Autre anecdote dont je me souviens, il y avait eu une épidémie de conjonctivite dans la MDR. Bien entendu chaque IDEL prenait soin que ses pensionnaires soient épargnés. Et un jour, un de mes chouchous, Michel, un brave gars un peu simplet, se retrouve avec des yeux tout rouges et collés. Il me dit en rigolant c'est la méchante infirmière qui m'a mis les gouttes
. En creusant un peu l'affaire (à défaut de la dette !), il s’avéra que notre cher Miss Bling Bing utilisait un flacon de collyre unique et qu'elle avait abondamment arrosé tous les yeux des pensionnaires en prévention !
. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait la conjonctivite ! Remarquez cela faisait faire des économies, un seul flacon de collyre pour une résidence !
Faut-il préciser conjointement à ces quelques exemples que le directeur nous prenait 20 % de rétrocession sur nos honoraires, ce qui est totalement illégal je le sais, mais à l'époque évidemment c'était la norme.
Nous étions dans un cas de maltraitance institutionnelle avérée, avec des employés complètement terrorisés par une directrice (enfin femme du directeur) qui les insultait copieusement comme une charretière, menaçait de les virer, se faisait apporter ses repas chez elle, bref du petit personnel à disposition pour pas cher ! Une vraie cagole sous des allures de princesse... Un peu comme dans les Marseillais
. vous voyez ? Bien évidemment que j'ai tout fait pour en partir, et au bout de trois mois j'ai pu trouver un remplacement sur Marseille. J’avais 22 ans seulement et c'était ma première expérience réelle de travail... Drôle de dépucelage !
Après mon départ, j'ai gardé contact avec certains employés dont la fameuse E. Son amitié pour les Idel lui a coûté son emploi quelques semaines après, car il était interdit aux employés de parler aux infirmières !
» Elle ne savait pas bien lire ni écrire, et était désespérée de ce licenciement pour faute grave
qui n'avait ni queue ni tête. Je lui ai rédigé une lettre pour les Prud'hommes et l'ai accompagnée à sa convocation à Marseille. Elle a gagné et obtenu des indemnités, car bien sûr son licenciement n'était pas conforme. C'est une des grandes fiertés de ma vie, quand je repense à ce moment où elle m'a remerciée, les yeux pleins de larmes... Rien que de l'écrire j'ai la souris qui tremble.
J'ai appris également que l'homme à tout faire
(et ce terme prenait ici tout son sens !), fut hospitalisé suite à un infarctus consécutif à une violente altercation avec la direction de ce Mouroir. Lui rendant visite à la Timone, il me confiait avoir tenu depuis de nombreuses années un journal retraçant des faits assez compromettants pour la direction : abus de biens sociaux, détournements de fond, construction de sa villa et de sa piscine sur les budgets de la maison de retraite avec utilisation de son personnel... Lui, la petite chose insignifiante dont personne ne se souciait, l'homme de l'ombre, le travailleur invisible, avait soigneusement consigné des choses...
Ce brave homme aux portes de la mort souhaitait me donner ce cahier pour en faire quelque chose
. À l'époque j'avais un ami qui travaillait à la police judiciaire et qui connaissait bien un commissaire de la Financière. Vous imaginez la suite... J'ai donc procédé sur deux fronts :
- je suis allée voir le commissaire en lui donnant le cahier posthume (le pauvre homme n'a pas survécu à son infarctus ) ;
- j'ai écrit un courrier au directeur de la DDASS (à l'époque) pour expliquer la situation de tous les pensionnaires. Je regrette de ne pas en avoir gardé copie, car pas d'ordinateur à cette époque. Je me souviens de cette phrase :
imaginez-vous Monsieur le Directeur, votre mère piquée en place publique au détriment de sa pudeur ?
. Son service m'avait répondu rapidement comme quoi, effectivement, ils effectueraient des contrôles.
J'ai su quelques mois plus tard que la maison avait été fermée pour manquement grave à la sécurité et à l'hygiène de ses pensionnaires et que le directeur avait été inculpé de détournement de fonds et avait rejoint les Baumettes (prison marseillaise pour les non-initiés)... A-t-il eu droit à une belle combinaison orange en remplacement de ses costumes coûteux ? Quelques autre EHPAD dans lesquelles j'ai officié brièvement par la suite n'étaient pas plus glorieuses. Je n'ai jamais oublié cette histoire et pourtant ça fait plus de 30 ans ! Je n'ai même pas pu visionner ce reportage d'Envoyé Spécial du 20 septembre dernier intitulé Maisons de retraite : derrière la façade
.
Si les conditions ont évolué , ce n'est pas encore de partout hélas, la mane financière prenant le pas sur l'humain! Misère de misère...
J'ai su quelques mois plus tard que la maison avait été fermée pour manquement grave à la sécurité et à l'hygiène de ses pensionnaires et que le directeur avait été inculpé de détournement de fonds...
DonQuichottement vôtre
Clématite
Ce billet a été publié le 22 septembre 2018 sur le blog de L'infirmière Libre Râle. Merci pour ce partage.
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