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AU COEUR DU METIER

Parce que le suicide est évitable...

Publié le 05/02/2020
Parce que le suicide est évitable...

Parce que le suicide est évitable...

Au cours de ma vie professionnelle en tant qu’infirmière, mais aussi de ma vie personnelle, j’ai rencontré des situations de violences et de suicides. Celles-ci ont imprégné mon parcours et me conduisent à être encore plus sensible aux éventuelles indications de tentatives de suicide, voire aux suicides aboutis. Ce texte publié ce 4 février, Journée Nationale de Prévention du Suicide, tente de l’expliciter et de rappeler combien les soignants doivent être attentifs à cette problématique, vigies de première ligne pour percevoir les prémisses des conduites suicidaires et ainsi mieux les prévenir.

Les proches, les acteurs associatifs, les instances décisionnaires et les soignants ont tous un rôle à jouer pour repérer et prévenir les conduites suicidaires, et donc les réduire.

Un jour, j’ai croisé une de mes patientes dans une banque. Elle m’a reconnue et m’a parlé spontanément de son fils de 17 ans qui la battait depuis le décès de son mari. Cette confidence plutôt lourde m’a bouleversée. J’avais le choix de la croire ou de remettre en question ce qu’elle me disait. Je l’ai réconfortée, comme je pouvais, il n’est pas facile de faire selon notre première émotion ou avec ce que l’autre peut attendre… Je lui ai ensuite proposé de venir me voir au Centre de santé où je travaille. A l’époque j’étais infirmière dans un Centre de Planification et d’éducation familiale (CPEF). Je ne la revis jamais… Cependant je n’ai pu m’empêcher de me demander comment un enfant (même devenu adulte) peut arriver à mettre la main sur sa mère ? Quels dysfonctionnements des liens aboutissent à cette violence ? Puis une nuit, ma voisine est venue frapper à ma porte me racontant une situation de violence avec son fils. Celui-ci était parfois violent envers sa mère dans le plus grand secret. Je le connaissais pourtant comme un garçon calme et respectueux. Je l’ai accompagnée au commissariat pour porter plainte à sa demande. Peu après, son fils a déménagé. Ma voisine suivait une thérapie, elle semblait vraiment apaisée par son départ. Ma fille me raconta plus tard sa tristesse face à la mort, presque en direct d’une adolescente sur internet. Cette trop jeune internaute a été conduite au suicide par les autres internautes, me racontait ma fille, bouleversée. Et en juin 2016, le mari de ma meilleure amie m’a appelée pour m’informer qu’elle était décédée. Son mari me précisa dans la conversation qu’il s’agissait d’un suicide... Ceci était inconcevable pour moi. Ma meilleure amie décédée, alors que je lui avait rendu visite et qu’elle semblait bien aller ?

Notre entourage, nos proches, nos collègues sont touchés par le suicide qui semble être devenu une nouvelle maladie de civilisation. C’est un phénomène qui mobilise chercheurs, acteurs sociaux,  médecins, soignants, au niveau national, tout comme au niveau international, qui se concertent pour trouver les meilleures solutions de prévention.

7,2% des Français auraient fait une tentative de suicide au cours de leur vie

En France l'Observatoire National du Suicide permet de rendre compte du phénomène suicidaire et de proposer des schémas de prévention et de prise en charge au niveau national, local et associatif. Il existe un taux élevé de suicides chez les jeunes ce qui révèle la difficulté de l’achèvement du processus d’individualisation et de subjectivation chez les adolescents dans un contexte migratoire, propice à la souffrance psychique et à l’idéation suicidaire, Le suicide est la deuxième cause de décès dans le monde chez les 15-29 ans et demeure un problème majeur de santé publique (1). Nous pouvons donc avancer que le suicide est une préoccupation nationale majeure qui touche les familles et les soignants. Au regard de mon expérience, j’ai réalisé que les signes ne sont pas forcément visibles. La souffrance est cachée, intériorisée. Une personne n'exprime pas ouvertement sa souffrance… le modèle individualiste où nous apprenons très tôt à être autonome, capable de tracer chacun sa voie tout seul sans déranger l’autre est remis en question devant le suicide dévastateur de l’autre qui ne laisse pas indifférent.

Le suicide sous toutes ses formes

Etymologiquement, le radical -sui est d’origine latine et signifie soi-même et -caeder tuer de homicide. Le suicide est l’action de se donner volontairement la mort selon le dictionnaire Larousse. Selon Freud (2) le retournement contre soi d’une impulsion meurtrière contre autrui, le suicide semble constituer un échec sociétal, individuel. C’est le résultat d’un conflit intérieur qui semble sans issue, pouvant toutefois en trouver une grâce à une ou plusieurs rencontre(s) professionnelle(s) avisée(s) et bienfaisante(s), une oreille attentive... Le suicide est l’échec de la vigilance collective que chacun doit à l’autre. En ce sens, le suicide n’est pas un acte de la vie privée que l’on se doit de respecter au contraire, c’est un acte de désespoir, de détresse extrême de la personne. Face à cette détresse, il y a sûrement un regard à porter, une main à tendre, une parole à entendre; c’est peut-être même cela qu’attendent de nous ceux qui semblent n’attendre plus rien, c’est parce qu’il y a trop de rendez-vous manqués entre les vivants que certains n’envisagent plus que le rendez-vous avec la mort.

Le suicide revêt plusieurs aspects exprimant une profonde souffrance, parfois récurrente :

  • la tentative de suicide c’est le suicide perpétré qui n’a pas abouti mais qui conduit à une consultation médicale voire une hospitalisation ;
  • la crise suicidaire c’est la période pendant laquelle une personne est en proie à une intense souffrance psychique et les difficultés à surmonter semblent impossibles sans l’aide bienveillante extérieure ;
  • les comportements suicidaires sont une succession de comportements à risque mettant en danger la vie d’un individu, du moins sa santé. Les sports extrêmes ; les conduites addictives… ;
  • le passage à l’acte c’est lorsqu’il y a accord entre le désir de mort et la possibilité pratique d’agir à la suite d’un événement extérieur déclenchant, parfois considéré comme anodins (un échec sentimental ; un échec scolaire chez un adolescent déjà désespéré.... 

Les chercheurs s’accordent à dire que les personnes qui se suicident donnent des signes précurseurs avant le passage à l’acte. La formation des professionnels et des proches permet de repérer les personnes à risque de suicide ou de passage à l’acte.

Plus meurtrier que la guerre à l’échelle mondiale, le suicide reste une sidération et un geste de désespoir extrême de la personne face à un vécu difficile.

Quels sont les signes précurseurs permettant de lutter contre les suicides ?

La prévention est l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps. L’OMS distingue trois niveaux de prévention :

  • la prévention primaire qui vise à réduire l’incidence (nombre de cas par an) d’une maladie ou problème de santé dans une population ;
  • la prévention secondaire consiste à réduire la prévalence (nombre de nouveaux cas par an) en agissant au stade précoce de la maladie ou de l’accident ou du problème de la santé pour en freiner l’évolution ;
  • la prévention tertiaire consiste à réduire les récidives, l’effet de propagation et les complications de la maladie, de l’accident ou du problème de la santé.

Source OMS

Le rôle infirmier dans la prévention

Des nombreuses pistes sont explorées en France pour lutter contre le suicide. Les proches, les acteurs associatifs, les instances décisionnaires et les soignants ont tous un rôle à jouer pour repérer et prévenir les conduites suicidaires, et donc les réduire. La formation permet de déceler au stade précoce la souffrance psychique qui nécessite une prise en charge psychologique et un accompagnement bienveillant. Il convient de connaître les facteurs de risque que l’on peut classer en trois groupes : les facteurs personnels, les facteurs professionnels et les facteurs environnementaux.

  • Les facteurs personnels exposant au risque de suicide : un antécédent de suicide parmi les proches ; une rupture sentimentale ; le contexte migratoire au trajectoire complexe sans soutien familial et rupture avec la culture d’origine ; les conflits intergénérationnels lorsque les écarts entre les modèles d’identification groupale de la culture d’origine aux modèles d’identification groupale de la culture du pays d’accueil. Un risque de passage à l’acte majoré lorsqu'il y a impossibilité de dialoguer avec les parents ou ceux qui font office des parents. Un risque important chez les jeunes…
  • Les facteurs professionnels : dépister les situations de harcèlement professionnel ; dépister le burn out; améliorer les conditions de travail tant que possible ; la formation professionnelle tout au long de l’année est un droit permettant au salarié de maintenir ou d’améliorer le plaisir de ce qu’il fait et d’être plus productif….; proposer des voies de reconversions aux agriculteurs…
  • Les facteurs environnementaux : le cadre de vie ; la situation sociale et administrative ; chez les adolescents, il est important de dépister le harcèlement scolaire….

Ce documentaire proposé par l’OMS traite de la prévention du suicide auprès des adolescents. Chaque année, près de 800 000 personnes meurent par suicide. C'est la deuxième cause de mortalité chez les 15 à 29 ans.

Plus meurtrier que la guerre à l’échelle mondiale, le suicide reste une sidération et un geste de désespoir extrême de la personne face à un vécu difficile. Les signes précurseurs nécessitent d’être traités et pris au sérieux par les proches et les acteurs à des niveaux individuels, collectifs, national et international. L’OMS a ratifié la convention cadre de lutte anti-tabac visant à réduire les effets de morbidité et de mortalité liés au tabagisme, à quand une convention cadre de lutte anti-suicide réunira-t-elle les différents pays du monde ?

Les déserts médicaux en France, la surcharge des unités de soins sont des facteurs potentiels de manque de décryptage des signaux avant-coureurs du suicide par les soignants. Une formation efficace des acteurs et la formation valorisant le travail des infirmiers pour la recherche (IPA) sont une volonté et une reconnaissance de la détresse engendrée par le suicide dont la lutte se doit à la fois :

  • d’être individuelle par ses facteurs personnels et familiaux protecteurs ou de risque ;
  • professionnelle ;
  • nationale et internationale favorisant l’accès à la santé pour tous.

Comme l’a défini l’OMS, La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

Notes

1- Deriu, Valentina et Benoit,  Laelia et Moro, Marie Rose. Idées suicidaires et tentatives de suicide à l’adolescence en contexte migratoire. Soins Psychiatrie. 10/05/2018. Doi : 10.1016

2- Sigmund FREUD, extrait de Métapsychologie, traduction revue et corrigée par Jean Laplanche et J.B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1986 (1re publication 1915), p. 145-171.

Pour aller plus loin

Marie Pemba Pala Infirmière diplômée d’Etat, en formation 1ere année IPA


Source : infirmiers.com