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AU COEUR DU METIER

« Nous devrions associer l’observance à des émotions positives »

Publié le 16/03/2015
Gérard Reach

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semainier

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L’observance, c’est-à-dire le bon respect des prescriptions médicales par le patient, est primordiale dans la prise en charge du diabète. Chef du service d’endocrinologie à l’hôpital Avicenne de Bobigny (93) et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet (1), le Pr Gérard Reach y voit un enjeu éthique. Il estime que les Idel, via l’éducation thérapeutique du patient (ETP), sont en première ligne pour y répondre et qu’il faut donc réfléchir aux moyens de les rémunérer pour cela. Merci à la Fédération nationale des infirmiers (FNI) de partager avec Infirmiers.com cet article.

Avenir & Santé : Vous dites que la problématique de l’observance pose une question éthique : pourquoi ?

Les soignants devraient plus souvent féliciter leurs patients quand ils se soignent, quand ils sont "observants".

Pr Gérard Reach : Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), améliorer l’observance serait plus bénéfique que n’importe quel progrès médical. Il faut donc le faire et cela passe d’abord par le désir de bienveillance des professionnels de santé, lequel constitue un principe éthique. Mais si les patients ne respectent pas toujours leur traitement, c’est qu’ils ont leurs raisons. Certains ne veulent pas prendre les médicaments, d’autres rencontrent des obstacles psychologiques ou économiques. Or, la loi Kouchner sur les droits des malades, parue en mars 2002, indique qu’aucun traitement ne peut être entrepris sans l’accord du patient et qu’il peut y renoncer quand il le désire. C’est le principe éthique d’autonomie qui entre en conflit avec l’objectif de bienveillance poursuivi par les professionnels de santé. Face à cette contradiction, deux attitudes sont possibles : le déni ou la réflexion, celle qui vise à résoudre ce que l’on peut appeler le paradoxe de l’autonomie. Selon moi, l’éducation thérapeutique est la réponse à cette contradiction car on donne aux patients les moyens de l’exercer en leur expliquant le sens de leur traitement.

A&S : Quelles sont les raisons profondes de la non-observance ?

Pr Gérard Reach : Cela peut être une croyance, un désir, une émotion, une douleur, une peur des effets secondaires. Quand on a une maladie comme le diabète, pathologie silencieuse où l’on n’a pas mal, la non-observance peut même être naturelle ! Il peut y avoir des complications à long terme, c’est vrai, mais on ne les voit pas. C’est abstrait. La récompense de la mauvaise observance est immédiate tandis que celle de la bonne observance est lointaine. C’est pourquoi le professionnel de santé doit dire à son patient : « Si vous me disiez que vous ne suivez pas mon traitement, non seulement je ne vous blâmerais pas, mais je vous comprendrais. Cependant, je vous expliquerais pourquoi je pense que l’observance est importante ». La relation thérapeutique, c’est une conversation et cela prend du temps.

La non-observance en chiffres

  • 80 % des patients diabétiques de type 2 ne suivent pas de régime équilibré.
  • 50 % oublient de prendre leurs comprimés au moins deux fois par semaine.
  • 20 % continuent de fumer.

Les répercussions de la non-observance en matière de diabète

  • Plus d’1 million de journées d’hospitalisation
  • 8 000 décès par an.
  • 2 milliards d’euros de surcoût pour l’Assurance maladie.

A&S : Quel rôle doivent jouer les infirmiers libéraux ?

Pr Gérard Reach : Ils ont un rôle primordial car toute la médecine des maladies chroniques se passe en ville autour d’un "trio de choc", celui du médecin généraliste, de l’infirmier libéral et du pharmacien, qui réalisent le soin, et en particulier l’éducation thérapeutique, laquelle, selon l'OMS, fait partie intégrante du soin. Les patients parlent souvent davantage à leur infirmier qu’à leur médecin. Il faut donc réfléchir aux moyens de rémunérer l’éducation thérapeutique des Idels afin que cela se développe. L’Assurance maladie a mis en place le service Sophia, envoi gratuit d’information et accompagnement téléphonique par des professionnels de santé formés. C’est intéressant mais je pense que cela ne remplace pas la présence active d’un Idel auprès du patient.

A&S : L’observance est souvent vécue comme un fardeau. Comment faire pour changer cette image négative ?

Pr Gérard Reach : Lorsque vous apprenez que vous avez une maladie chronique, vous éprouvez parfois une honte, due à l’impression de perte de la beauté de la santé, mais aussi une grande tristesse. Le philosophe Spinoza disait qu’ « un désir qui naît de la joie est plus efficace qu’un désir qui naît de la tristesse » mais aussi que « tout ce qui est beau est difficile autant que rare ». Nous devrions associer l’observance à des émotions positives. Nous, soignants, nous devrions plus souvent féliciter nos patients quand ils se soignent, quand ils sont "observants". Car ceci est difficile… et en fait plutôt rare !

« Il ne faut pas culpabiliser les patients »

Pour Nadine Hesnart, secrétaire générale de la FNI, si les Idels doivent passer du temps avec les patients pour leur expliquer leur traitement et les recommandations en termes d’hygiène de vie (alimentation, pratique sportive), il ne faut pas jouer les pères Fouettard. Le recadrage doit se faire sans culpabilisation, d’autant que les privations, pour ce qui est du régime alimentaire, sont souvent vécues comme une grande frustration. Nadine Hesnart recommande de demander aux patients de noter tout ce qu’ils mangent, en leur proposant, une fois par semaine, de consommer ce qui leur fait plaisir. La surveillance hebdomadaire est cruciale : les patients diabétiques sont pesés, leur tension évaluée, leurs pieds observés avec soin comme l’état de leur peau… Néanmoins, si les Idels, confrontés tous les jours à une patientèle diabétique […] font de l’éducation thérapeutique depuis quarante ans sans le savoir, celle-ci est toujours réalisée sur le temps de soin des professionnels. Une véritable rémunération de cette activité qui, rappelons-le, nécessite une formation minimale de 40 heures, permettrait, selon Nadine Hesnart, d’améliorer in fine l’observance des patients diabétiques.

Note

  1. Lire notamment Pourquoi se soigne-t-on ? - Enquête sur la rationalité morale de l'observance, 2e édition revue et augmentée, Gérard Reach, Editions Le Bord de l'eau, 2007.

Propos recueillis par Julie MARTINETTI  Journaliste

Cet article est paru dans le journal de la Fédération nationale des infirmiers (FNI)  « Avenir et Santé » n°431, Février 2015, pp. 26/27.


Source : infirmiers.com