La Guyane est tout particulièrement concernée par le diabète (le taux de prévalence y est 1,5 fois plus élevé que la moyenne française). Pour la première fois, l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Guyane a approuvé, le 11 avril dernier, un protocole de coopération entre professionnels de santé pour ce territoire. On fait le point avec Clara de Bort, sa directrice générale, qui a validé cette expérimentation.
C’est une première en Guyane : les infirmiers du CH Andrée-Rosemon, à Cayenne, formés à la diabétologie et à l'éducation thérapeutique, peuvent à présent interpréter, en relais du médecin, les résultats de la glycémie capillaire et adapter les doses d'insuline de patients atteints de diabète de type 1 (à l’exception des découvertes), de type 2 ou encore gestationnel. L’objectif de cette mesure ? Libérer du temps médical grâce aux consultations d'infirmiers afin de se concentrer sur les cas les plus complexes, permettre un suivi au plus près du patient et une reconnaissance des compétences infirmières. (Les infirmiers d’éducation thérapeutique faisaient déjà ce travail sans reconnaissance spécifique). La mesure est donc positive pour tout le monde : pour les patients, les médecins et les infirmiers.
Concrètement, la mise en place de cette expérimentation doit se faire de manière progressive, comme l’explique, dans une émission de radio, le docteur Nadia Sabbah, cheffe du service diabétologie endocrinologie au Centre hospitalier de Cayenne. Lors de la première consultation, il faut que j'informe le patient que lors des suivantes, ce sont les infirmières qui vont le suivre et que moi, je le reverrai dans un temps donné. (…) Le patient, une fois qu'il aura donné son accord, va voir un certain nombre de fois les infirmières qui vont à la fois prescrire s'il en a besoin, une insulinothérapie, mais surtout, faire l'adaptation des doses (ce qui, moi, me prenait un temps important). Les infirmières vont le faire de manière légale et moi, quelques semaines après, j'évaluerai ce qu'elles ont fait (avec elles évidemment), pour voir si tout s'est bien passé
.
Le protocole qu'on a utilisé est un protocole déjà utilisé à l'Ap-hp, donc à Paris
, témoigne le docteur Nadia Sabbah. Les infirmières qui vont le pratiquer ici ont le même niveau de formation que les infirmières de Paris, qui sont dans le cadre de ce protocole. Elles ont un diplôme universitaire de diabétologie, elles ont une expérience très importante en diabétologie ainsi que des diplôme d'éducation thérapeutique en diabétologie.
C'est très très valorisant
, confie à la télévision locale Elise Cornouaille, Infirmière spécialisée en éducation thérapeutique des patients dans le service de jour de diabétologie du CH Andrée-Rosemon à Cayenne. C'est quelque chose qu'on fait déjà au quotidien en prenant en charge nos patients de façon quasiment autonome.
Notre but, nous, c'est de soigner, d'aider le patient et c'est vrai que [cette mesure] va dans ce sens donc pour nous, c'est une bonne chose - Aude, infirmière.
La Guyane, territoire idéal pour une telle expérimentation
Lorsque je suis arrivée en Guyane, j’ai entendu parler de ce projet de protocole de coopération
, explique Clara de Bort, directrice générale de l'ARS de Guyane. J’ai encouragé l’équipe à me présenter sans tarder une demande. Ils avaient peur que ça prenne des mois, j’ai promis que l’ARS étudierait le dossier en quelques jours et c’est ce que nous avons fait
, précise-t-elle, ajoutant que la Guyane n’avait toujours pas de protocole de coopération alors qu’il s’agit d’une grande région avec une prévalence importante des maladies chroniques et une population qui augmente fortement
.
Nous avons aussi, il ne faut pas le nier, une densité médicale bien inférieure à la métropole : centrer les médecins sur les activités les plus complexes (y compris celle de former et soutenir l’équipe) est une nécessité absolue
, souligne Clara de Bort. Je sais aussi que dans notre territoire les professionnels de santé gagnent vite en compétence : ils rencontrent des patients très variés, tant sur leur plan de leur état de santé, leur culture, leur langue, leur milieu de vie. Les jeunes professionnels disent qu’en Guyane ‘on apprend vraiment son métier’. Je veux mieux reconnaître les compétences de ces professionnels et valoriser leur capacité à travailler en autonomie, car c’est ça l’effet Guyane ! Depuis mon arrivée j’ai rencontré des équipes très motivées, des gens qui ‘y croient’ ça fait vraiment plaisir et je veux les accompagner. Quant aux hôpitaux, ils sont encore de taille modeste, c’est finalement assez facile de monter des projets
.
Sur le terrain, ces nouvelles tâches vont de pair avec de nouvelles responsabilités, mais cela n’effraie pas les infirmières. C'est vrai qu'au quotidien, on fait des choses qu'on sera amenées à faire à présent de manière plus légitime
, explique Aude Privat, infirmière spécialisée en éducation thérapeutique des patients dans le service de jour de diabétologie du CH Andrée-Rosemon à Cayenne, mais on ne se met pas la pression par rapport à ça. Notre but, nous, c'est de soigner, d'aider le patient et c'est vrai que [cette mesure] va dans ce sens donc pour nous, c'est une bonne chose
.
Protocole de coopération entre professionnels de santé : comment ça marche ?
L’article 51 de la loi HPST du 21 juillet 2009 permet la mise en place, à titre dérogatoire et à l’initiative des professionnels sur le terrain, de transferts d’actes ou d’activités de soins et de réorganisations des modes d’intervention auprès des patients. Ces initiatives locales prennent la forme d’un protocole de coopération qui est transmis à l’ARS. Celle-ci vérifie la cohérence du projet avec le besoin de santé régional, avant de le soumettre à la validation de la HAS.
La mission de la HAS consiste à vérifier que ces protocoles apportent une garantie de qualité et sécurité des soins aux patients. Sur la base de cette avis, l’ARS autorise ou non, par arrêté, la mise en œuvre de ces protocoles.
Les infirmiers formés, à qui l’on fait confiance, peuvent apporter un vrai plus à la prise en charge, en termes de regard global
"Nous devons accepter d’évoluer"
Clara de Bort rappelle son engagement
de toujours pour la promotion des professionnels paramédicaux. Ma conviction c’est que nous devons accepter d’évoluer et de prendre en compte le fait que la formation progresse et que la médecine progresse aussi : nous savons bien mieux aujourd’hui repérer les situations à faible risque par exemple. Certaines pathologies sont si bien connues en termes d’évolution et de bonnes pratiques qu’il n’est pas logique d’en maintenir l’exclusivité à des médecins de haut vol. Les infirmiers formés, à qui l’on fait confiance, peuvent apporter un vrai plus à la prise en charge, en termes de regard global
. A l’avenir, Clara de Bort dit souhaiter que d’autres protocoles de coopération soient portés par d’autres équipes
, et s’engage à ce que l’ARS les aide à avancer dans ce sens. Je voudrais aussi que les infirmiers aient accès à davantage de formations à l’université de Guyane, des DU mais aussi, demain, je le souhaite, des masters. Et comme l’a annoncé la ministre de la santé lors de sa visite en Guyane, la place de l’IFSI c’est sur le campus universitaire. Nous travaillons sans relâche pour que les étudiants infirmiers intègrent des nouveaux locaux, tout neufs, sur le campus universitaire dans les prochains mois
, conclut-elle.
Pour les infirmières du CH Andrée-Rosemon, la mesure est très positive. Elles espèrent d’ailleurs que d’autres pourront bientôt en bénéficier. Si ça peut ouvrir la porte à d'autres infirmières, tant mieux
.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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