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AU COEUR DU METIER

L’ordre infirmier : les nouvelles du front

Publié le 07/10/2009

Une bataille décisive est en train de se jouer entre le tout nouvel Ordre des infirmiers et ses opposants à l’occasion de l’appel à inscription et cotisation lancé pour la première fois par le premier et le refus des seconds d’y répondre. L’enjeu est double.

Il est d’abord de légitimité : qui est fondé à représenter les infirmières ? L’Ordre se veut l’instrument de « la promotion et de l’indépendance de la profession dans son ensemble. » Mais pour ses opposants, cette ambition ne vaut que si cet ensemble y adhère. Il est aussi de viabilité financière des projets de l’Ordre. Celui-ci assure en effet que le montant de la cotisation a été calculé pour répondre précisément au cahier des charges de sa mission. Que se passera-t-il si les cotisations ne rentrent pas en nombre suffisant ?

Le déclencheur du conflit : l’appel à cotisation

Au cœur de la bataille : le montant de la cotisation demandée, 75 euros par an. Pour le Conseil national, il s’agit d’une somme calculée au plus juste pour couvrir les différentes dépenses de fonctionnement et de développement de l’institution. Votée par les conseillers nationaux ordinaux « après une journée d’échange avec les 100 présidents de départements et les 23 présidents de régions, » elle est la cible de deux principales objections.

Un : ce montant est bien plus élevé que les 30 euros annoncés avant la création de l’Ordre. Cet argument a été avancé dès que le montant de la cotisation a été connu, en avril 2009, en particulier par de nombreux syndicats, mais aussi par Annie Podeur, directrice de la DHOS (Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins). Dominique Le Bœuf, la présidente de l’Ordre, l’avait rapidement éjectée du ring, en alléguant que la DHOS n’avait pas à se mêler du fonctionnement d’une organisation indépendante et en s’étonnant que l’institution infirmière fût la seule visée. Quant aux 30 euros, il s’agissait selon elle d’une estimation basée sur ce que certains pensaient possible de réclamer à la profession, et non sur une étude sérieuse des besoins réels de l’Ordre.

Deux : justement, quels sont ces besoins réels ? Pour beaucoup, y compris des partisans de longue date de l’Ordre, comme la Coordination nationale infirmière, ils sont surestimés. La collecte de la totalité des cotisations des 500 000 (environ) infirmières de France rapportera un somme voisine de 38 millions d’euros. Les contestataires estiment qu’il serait possible de démarrer plus modestement, notamment en faisant appel à toutes les bonnes volontés qui se sont manifestées pendant la bataille pour la création de l’Ordre et qui seraient prêtes à le refaire. Pour certains élus, il est franchement maladroit d’avoir choisi le moment de la rentrée scolaire, avec tous les frais qu’elle occasionne, pour lancer l’appel à cotisations. Ils enverront leur bulletin d’inscription, mais pas leur cotisation. C’est ce que préconise la Coordination, qui propose une lettre-type à adresser à la présidente pour que le Conseil national revoie « à la baisse » le montant.

Des inquiétudes sur les visées de l’Ordre

Bien que centré sur le montant de la cotisation, le combat actuel n’empêche pas les escarmouches. Ainsi, il s’écrit que le montant de la cotisation sera porté à 125 euros dès l’année prochaine, sans que l’origine de cette information soit précisée (décidé chaque année par les conseillers nationaux, le futur montant sera donc décidé en milieu d’année prochaine). Pour d’autres, les renseignements demandés dans le dossier d’inscription constituent une intrusion inacceptable dans la vie privée des infirmières. D’autres dénoncent le fait de devoir fournir un extrait de casier judiciaire.

Ce à quoi l’Ordre réplique qu’il ne s’agit là que de demandes tout-à-fait habituelles pour une institution chargée de vérifier la moralité des professionnels concernés. D’autres mettent en doute la légalité de la demande de cotisation, en l’absence de décret d’application de la loi HPST, confondant sans doute avec l’inscription automatique à l’Ordre prévu par cette loi. Enfin certains s’inquiètent du fait que la collecte des bulletins d’inscription et des cotisations soit confiée à une société privée, ce qui comporterait un risque d’atteinte à la confidentialité des données. Ce à quoi l’Ordre réplique que la masse des bulletins à traiter impose un savoir-faire particulier que seules possèdent des entreprises spécialisées, dont l’Ordre n’est que l’un des nombreux clients. Ne serait-ce que parce que c¹est une condition de leur survie commerciale, ces entreprises n'ont quasiment jamais de problème de ce type avec leurs clients.

Les forces en présence

Quelles sont les forces en présence ? Le Conseil national compte peu de soutiens syndicaux ou associatifs, à l’exception notable du SNPI (Syndicat national des professionnels infirmiers). En revanche, il a l’appui de conseils départementaux et régionaux, mais dans une proportion impossible à donner actuellement.
En effet, comme on l’a vu, certains des partisans d’un Ordre infirmier contestent le montant de la cotisation. Quelques uns vont jusqu’à dénoncer un fonctionnement démocratique de façade, dans lequel les opinions contraires à celles de la présidente seraient systématiquement écartées. Des élus ont même démissionné de leur mandat départemental, convaincus que l’Ordre s’est fourvoyé et a un fonctionnement opposé à son ambition originelle de faire entendre la voix des infirmières. C’est notamment le cas de certains conseils de départements ruraux où le nombre d’infirmiers est minime. Ainsi de celui de Corrèze, où une bonne partie des élus a démissionné après s’être entendus dire qu’ils ne comptaient pour rien sur le plan national et n’avait toujours pas obtenu fin juin un budget prévisionnel détaillé, soit après que le montant de la cotisation ait été fixé, rapporte Emmanuel Calmon, son ancien président.

Quelle que soit la somme demandée, elle est de toute façon trop élevée pour ceux qui ne voient pas l’utilité de l’Ordre ou, pis ! qui pensent qu’il « n’est qu’un outil politique pour faire passer les réformes » (Dolorès Canezin, de la CGT Santé, citée par 20 minutes.fr le 1er octobre 2009). Il s’agit de la plupart des syndicats de salariés, rassemblés dans une intersyndicale appelant au boycott de la cotisation et de l’inscription (CFTC, CFDT, FO, Snics-FSU, Sud Santé, Unsa et CGT). Un site internet a été créé, indépendant de l’intersyndicale, mais à l’intitulé dénué de toute ambiguïté : Contre-Ordre infirmier.  
Car c’est bien de cela dont il s’agit. D’un côté, ceux qui pensent que l’Ordre n’est qu’une institution corporatiste, reflet d’une minorité agissante, gendarme éclipsant la légimité du Haut conseil des professions paramédicales, et sont confortés par le faible taux de participation aux élections ordinales (13 %). De l’autre, ceux qui leur rétorquent que le taux de syndicalisation n’est guère brillant non plus, que l’Ordre est un moyen de rassembler une profession éclatée en quelques 300 associations ou organisations et qu’il faut avoir les moyens de ses ambitions si l’on veut que la profession infirmière soit pleinement reconnue.

Qui gagne ? Trop tôt pour le dire …

Il est peu probable que la mobilisation actuelle suffise à remettre en question l’existence de l’Ordre : il faudrait un absentéisme massif de la profession pour qu’il perde une légitimité qui lui est reconnue par la loi. En revanche, sa crédibilité peut être sérieusement ébranlée si une grande partie des infirmières n’envoie pas sa cotisation. Avec le report à la fin octobre de la date limite d’envoi, il est impossible actuellement de faire un état des lieux.
Pour l’instant, les manifestations anti-Ordre n’ont rassemblé que quelques centaines de personnes, mais elles ont eu lieu dans de nombreuses villes et il faut pondérer le nombre de manifestants avec celui du total des infirmières à l’endroit considéré. A la date du 3 octobre 2009, le site Contre-Ordre avait 277 inscrits qui avaient posté 5052 messages de forum, mais ne donnait aucune statistique de fréquentation, sinon que le 30 septembre, 46 personnes avaient été en ligne simultanément.

La direction de la communication de l’Ordre national affirme avoir déjà reçu de nombreux dossiers, mais n’est pas en mesure de les chiffrer.
Plusieurs conseillers départementaux interrogés par téléphone déclarent recevoir très fréquemment des demandes de renseignements, mais quasiment aucune manifestation d’opposition. La plupart déplorent que le fichier ADELI qui sert de base de données pour les envois ne soit pas à jour et source d’erreurs (par exemple, dans certains centres hospitaliers de Seine Maritime, comptant plusieurs centaines d'infirmières, un tiers des dossiers ne serait pas parvenu à leurs destinataires !).
Ils rappellent la très mauvaise organisation des élections par les DDASS. Enfin, pour eux, la presse ne fait pas toujours son travail : par exemple, en titrant « Les infirmières contre l’Ordre », ce qui selon eux reste à prouver, ou en ne donnant que le point de vue de l’intersyndicale. Ils soutiennent que dans les établissements hospitaliers, les moyens de communication sont aux mains de celle-ci : l’Ordre n’aurait guère l’occasion de se faire entendre. Interrogée par téléphone, la directrice de la communication de l’Ordre national affirme que plusieurs hôpitaux ont retourné les sacs postaux contenant les dossiers d’inscription, ne laissant aucun choix à leurs salariés, d’où la mise au point énergique du communiqué de presse du 30 septembre, rappelant les sanctions encourues pour détournement de courrier.

Il faudra donc attendre encore pour savoir si tout cela n’est que tempête dans un verre d’eau ou défiance avérée d’un nombre important d’infirmières pour une institution qui entend les représenter toutes. Il est probable que la plupart se situe dans une majorité silencieuse qui attend de voir pour croire, ce qui implique un effort pédagogique conséquent de l’Ordre pour les convaincre du  bien fondé de ses ambitions. Une chose est certaine : quelle que soit l’issue de cette bataille, la guerre des « pour » et des « contre » sera loin d’être close.

Mes remerciements à Emmanuel Calmon (ancien président du conseil départemental de Corrèze), Martine Grainger (conseil départemental de l’Eure et Loir), Emmanuelle Lefebvre Mayer (conseil départemental de Seine Maritime), Pierre Lemaire (conseil départemental des Yvelines), Karim Mameri (conseil départemental de Seine Maritime) et Virginie Lanlo (directrice de la communication du Conseil national de l’Ordre infirmier).
L’ensemble de la presse nationale du 29 septembre au 2 octobre 2009 a été consulté d’après une recherche Google Actualités.

 

Serge CANNASSE
Rédacteur Infirmiers.com
serge.cannasse@izeos.com
http://www.carnetsdesante.fr


Source : infirmiers.com