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PUERICULTRICE

Loi Leonetti et néonatologie : des questions éthiques particulières

Publié le 04/03/2014
bébé néonatologie

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Une étude du Centre d'éthique clinique (CEC) de l'hôpital Cochin (AP-HP, Paris) se demande si le recours à l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles (AHA) en néonatologie ne serait pas "le talon d'Achille" de la loi Leonetti d'avril 2005 sur la fin de vie.

La délicate question des soins palliatifs en néonatologie

L'étude du Centre d'éthique clinique (CEC) datant de décembre 2013, dont l'APM a eu copie et dont les conclusions ont été dévoilées par le quotidien Libération le 28 février 2014, est en cours de publication a indiqué à l'APM l'un de ses auteurs, le Dr Véronique Fournier, directrice du Centre d'éthique clinique. L'objectif de l'étude, intitulée L'arrêt d'alimentation et d'hydratation artificielles en néonatalogie: l'épreuve du réel, était d'analyser a posteriori le recours à l'arrêt de l'AHA vu par les équipes soignantes et par les parents des nourrissons l'ayant subi. Notre hypothèse de travail était que les difficultés des uns et des autres à vivre la mise en oeuvre de l'arrêt de l'AHA sur le terrain étaient peut-être révélatrices du fait que cette pratique pose des questions éthiques particulières, que nous souhaitions approfondir, expliquent les auteurs, Véronique Fournier, Elisabeth Belghiti, Laurence Brunet et Marta Spranzi.

L'étude a inclus 25 enfants, nés en moyenne à un âge gestationnel de 36 semaines. Pour deux d'entre eux, l'arrêt de l'AHA avait été décidé en anténatal. Dans six cas, il avait été décidé dès les premiers jours après la naissance, et dans 16 cas, l'arrêt de l'AHA a été décidé dans un délai de une à six semaines après la naissance, le plus souvent du fait d'une forte incertitude diagnostique et/ou pronostique initial et de la nécessité pour l'équipe d'y voir clair avant de prendre une décision définitive. Les chercheurs ont notamment mené 55 entretiens concernant ces 25 enfants, dont 14 avec des parents. Selon l'étude, à chaque fois, on arrête l'alimentation et l'hydratation artificielles que l'on considère, depuis la loi Leonetti, comme des traitements actifs [...] lorsque l'état de l'enfant est jugé très préoccupant et que l'on décide qu'il est temps de ne pas poursuivre des soins déraisonnables.

Trois modèles

Pour autant, les chercheurs relèvent trois modèles d'arrêt de l'AHA.

Dans le premier, si l'arrêt de l'AHA fait partie d'un projet dit palliatif compris comme un projet de 'soins proportionnés', les équipes se défendent de toute intention de mort : l'enfant survit ou ne survit pas à l'arrêt de l'AHA, en fonction de ses propres capacités. [...] Lorsque l'alimentation et l'hydratation artificielles sont arrêtées, un biberon lui est régulièrement proposé [...] Il est aussi régulièrement vérifié qu'il est confortable et qu'il ne souffre pas.

Le second modèle est assez radicalement inverse du précédent. Les médecins ne proposent l'arrêt de l'AHA que dans des situations où ils considèrent, après en avoir longuement et mûrement discuté en équipe, qu'il vaudrait mieux pour cet enfant-là qu'il ne survive pas. Cette information est alors partagée comme telle avec les parents. Les auteurs ajoutent que l'enfant meurt en quelques jours, trois-quatre maximum, à la fois de sédation et d'AHA. Les médecins sont conscients d'être dans un processus moins strictement palliatif que le précédent et moins strictement respectueux de la loi.

Le troisième modèle est intermédiaireSi les équipes assument que leur intention est bien que l'enfant ne vive pas, lorsqu'elles ont acquis la conviction que ce serait la moins pire des solutions pour lui, il leur est en même temps important de respecter l'esprit de la loi, c'est-à-dire ne rien faire qui puisse être considéré comme du 'faire mourir'.

Les auteurs s'attachent également à décrire le ressenti des équipes et des parents. Pour les 14 enfants dont ils ont pu rencontrer les parents,le ressenti de ces derniers a été classé plutôt bon ou très bon dans 40% des cas, et plutôt mauvais ou très mauvais dans 60% des cas. Pour ces mêmes 14 enfants, le ressenti des soignants (médecins et non médecins) a été estimé bon ou très bon dans 60% des cas, et plutôt mauvais ou très mauvais dans 40% des cas. Ils remarquent que le modèle d'arrêt de l'AHA ne semble pas avoir été un facteur influençant le ressenti. En revanche, le sont les convictions sur la fin de vie, la conception de son rôle en contexte de fin de vie (pour les professionnels) et, pour les parents comme pour les soignants, l'attitude vis-à-vis du handicap. Deux autres éléments entrent en jeu : la durée de l'arrêt de l'AHA et le temps mis par l'enfant pour mourir (ou ne pas mourir) et la qualité de la relation/communication avec l'équipe tout au long de ce temps.

Sur le premier volet, parents et soignants s'accordent sur le fait que plus le temps se prolonge, plus il devient angoissant, insupportable au-delà de trois-quatre jours, et intolérable au-delà d'une semaine.

Sur le deuxième volet, la communication/relation initiale est d'autant plus satisfaisante que l'équipe est claire et cohérente avec ses choix, qu'elle les exprime et les explique plusieurs fois, que les parents y souscrivent, que les médecins [...] ne fuient pas la chambre une fois les prescriptions faites et le processus entamé, assurent les auteurs, ajoutant pour autant que si le temps du mourir vient à se prolonger, la relation se délite vite.

Les chercheurs expliquent aussi que l'arrêt de l'alimentation est très symbolique pour des parents : C'est [...] la fonction nourricière, noyau dur de la parentalité, qui se trouve convoquée par l'arrêt de l'AHA, résument-ils.

Par ailleurs, il nous semble que l'étude met bien en lumière combien en matière d'accompagnement vers la mort, l'intention de laisser faire la nature peut facilement apparaître illusoire, assurent les auteurs. Autrement dit, même si l'arrêt de l'AHA, ne provoque pas la mort intentionnellement, on fait intentionnellement courir à l'enfant un risque important.  C'est en ce sens que si l'arrêt d'alimentation et d'hydratation artificielles entre incontestablement dans le champ de la loi Leonetti, sa mise en oeuvre en néonatologie peut aboutir à une impasse éthique. Les chercheurs estiment que dès lors que la vie du patient est entièrement dépendante de l'artifice technique et des soins médicaux, il est difficile de soutenir qu'il puisse y avoir décision d'arrêt d'AHA sans aucune intention de faire mourir. Ensuite, la répugnance face à toute intention assumée de mort a souvent pour corollaire une dilatation du temps de celle-ci, vécue comme délétère autant par les parents que par les soignants. Les auteurs poursuivent : C'est ainsi que l'on en vient à se demander si l'AHA en néonatalogie ne serait pas le talon d'Achille d'un dispositif légal qui a tenté de dégager un équilibre délicat entre le refus de l'obstination déraisonnable et la condamnation de l'aide active à mourir.

Deux points de vigilance

Pour autant, dans leur conclusion, les auteurs estiment le recours à l'arrêt de l'AHA en néonatalogie, en application de la loi Leonetti, a manifestement permis d'engager les équipes soignantes à changer résolument leur mode de fonctionnement de manière positive. Mais ils interpellent sur deux aspects. Il serait probablement hautement dangereux de méconnaître le danger psychique pour les parents qu'ils puissent jamais imaginer que leur enfant est mort d'un arrêt d'AHA, surtout dans le contexte de dialogue dont on se réjouit qu'il existe maintenant et qui fait qu'ils ne peuvent que se sentir coresponsables de cette décision. En outre, c'est un leurre de penser qu'une mort par arrêt d'AHA en néonatalogie soit une mort plus naturelle et moins intentionnelle qu'une autre mort, à partir du moment où celle-ci survient après une décision de limitation des traitements actifs.


Source : infirmiers.com