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A lire - Le moindre mal

Publié le 18/05/2015
Le moindre mal

Le moindre mal

soignante infirmière fatigue

soignante infirmière fatigue

De ce métier d'infirmière qu'il ne connaissait que très peu, François Bégaudeau lui rend un hommage vibrant de réalisme et touchant au travers du portrait d'une femme, Isabelle, constamment animée par la passion du soin. Bien des soignants s'y reconnaîtront et trouveront là matière à reconnaissance de l'usure qui est souvent la leur. Le 12 mai dernier, à l'occasion de la Journée internationale de l'infirmière, François Bégaudeau était invité à débattre autour de son livre via une web-TV organisée par infirmiers.com...

Au plus près de la pratique, François Bégaudeau fait le portrait d'une femme animée par la passion du soin

Au-delà du simple portrait d'Isabelle, infirmière en chirurgie au centre hospitalier de Figeac, l'écrivain François Bégaudeau, avec ce nouvel opus "Le moindre mal", paru au Seuil dans la collection Raconter la vie, produit une véritable "chronique sociale" d'un "personnel soignant" parmi tant d'autres. Isabelle avec ses spécificités personnelles, ses envies et ses déceptions professionnelles n'en est pas moins une travailleuse de la santé dans son environnement et qui évolue au sein d'une institution elle-même soumise aux mutations du système de santé.

En ce sens, les seules 74 pages de cet ouvrage font office de documentaire tant elles sont documentées, enrichies de détails très professionnels : les postes contractuels, la continuité du service, l'hôpital-entreprise et la T2A, la rentabilité, les suppressions de postes, les paradoxes de l'offre de soins et sa déliquescence, les conflits d'équipe, les diagnostics infirmiers, la fin de vie, les pratiques médicales, les grèves, les visiteurs médicaux..., mais aussi une certaine routine à "faire" qui use les organismes, bride les esprits, affaiblit les motivations à perdurer dans les métiers du soin sans réussir à casser définitivement le désir de soigner, bien que l'ébranlant beaucoup.

Plus c'est technique, plus elle s'épanouit. quelqu'un lui soufflerait qu'elle fait un boulot de technicienne, elle sourirait, flattée.

Isabelle a la foi en son métier, une foi inébranlable justifiée ainsi : Avec la cruauté réglementaire  de l'existence, il n'y a pas de position médiane, il faut la fuir ou la prendre en main. Elle la prendra en main. C'est ça qu'elle fera. A travers chaque patient, c'est son père un peu qu'elle soulagera.

Trentenaire sans enfant, Isabelle aime le challenge et ce, dès sa formation en Ifsi : Dans le domaine, tout l'intéresse. faire une toilette, prendre une tension, bouger un hémiplégique, changer un pansement, poser une sonde naso-gastrique. des gestes pour soigner et parfois guérir. Tout lui va, rien ne la rebute. La sensation inédite d'être à sa place lui fait tout drôle. Une fois diplômée, la jeune infirmière travaille dans un EHPAD, puis en chirurgie : un service ouvert à toutes les techniques, où la polyvalence des soignants est une compétence forte, où la pratique soignante d'Isabelle trouve matière à s'exprimer, parfois sans la moindre reconnaissance. Reste que la plupart des actes infirmiers ne sont pas actés. c'est-à-dire quantifiés. C'est-à-dire pris en compte dans la rémunération. Ils relèvent du zèle désintéressé et admirable. De l'immémorial esprit de sacrifice des femmes. (...) jusqu'à récemment, le personnel soignant était essentiellement composé de bonnes soeurs. c'est resté dans la tête des gens. L'épicier a un crayon sur l'oreille et l'infirmière des cornettes

Rétribuées en bonté divine, les bonnes soeurs ne comptent pas leurs efforts. Prosaïquement payée en euros, Isabelle les compte...

François Bégaudeau a une jolie expression pour dépeindre la prise de conscience naissante d'Isabelle à mettre un peu de distance dans son investissement à soigner l'autre. Il écrit ceci : comme elle débute dans le sport de prendre soin de soi, elle va y aller doucement. elle va choisir Figeac.  De son passage à l'EHPAD, on retiendra cette phrase, lapidaire : en quatre ans, j'ai pris dix ans, mais aussi deux arrêts de travail pour lumbago. Ses collègues et elle ont mal aux pieds...

Même lors d'un mouvement de grève suite à des suppression de postes, détaillé comme un reportage par l'auteur, Isabelle assure la continuité des soins avec "infirmière gréviste" inscrit sur sa blouse. Sur les 28 jours du mouvement, elle s'exprimera peu. Parler c'est pas trop son truc. Et parler d'elle, n'en parlons pas.

Restant au plus près de la pratique soignante, l'auteur nous met pour finir dans les pas d'Isabelle lors d'une journée, parmi tant d'autres, celle du 11 juin 2013 où dès 7 heures du matin, Isabelle prend son poste. Son écriture est hachée, quasi chirurgicale. Isabelle fait çi, puis ça, puis reçi, et reça. Elle va, d'un patient à l'autre, d'une tâche à l'autre, d'un acte à l'autre. Elle soigne, parle, communique, rassure, informe, écoute, plaisante, marche, court, répond aux appels, soulage, transmet... bref, elle travaille dans sa routine qui n'en est pourtant pas une et ce, jusqu'à 20 heures. Cette tension, le lecteur l'éprouve, la vit et la fatigue d'Isabelle, devient la sienne. Ce dernier chapitre est particulièrement bien vu de ce fait. François Bégaudeau le dit lui-même : même au rase motte de la vie, on peut produire du romanesque (...) Le métier d'infirmière est en effet assez romanesque car on a à voir avec des choses qui sont extra-sociales : la mort, la vieillesse, l'accompagnement, le soin qui est une valeur presque métaphysique. Qu'est-ce que ça veut dire prendre soin de l'autre ? De ce métier d'infirmière qu'il ne connaissait que très peu, François Bégaudeau lui rend ainsi un hommage vibrant de réalisme et touchant. Le portrait d'une femme constamment animée par la passion du soin. En effet, si sa solitude face aux malades s'accroît, son besoin de les soulager reste inébranlable. Bien des soignants s'y reconnaîtront et trouveront là matière à reconnaissance de l'usure qui est souvent la leur. Si régulièrement le mal est fait avec l'épuisement professionnel en ligne de mire, ce bel ouvrage, sorte de docu-fiction - la vie n'est certes pas un roman, mais un roman peut réellement servir la vie - rend justice avec finesse, précision, réalisme, empathie - et ironie parfois - à une de ces héroïnes du quotidien que l'on ne croise pas souvent dans la littérature. "Le moindre mal" leur fera donc le plus grand bien.

Il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, sinon, où irait le monde ? Isabelle comprend vite qu'une discussion médicale d'égal à égal n'est pas envisageable.

• Begaudeau F., Le moindre mal, Editions du Seuil, collection raconter la vie ; version papier : 5,90 €/e-book : 2,99 € ; raconterlavie.fr

A écouter pour en savoir plus

Ecouter en podcast sur France Culture dans l'émission La grande Table François Bégaudeau auteur du "Moindre mal" face à Thomas Lilti, cinéaste et médecin, du film Hippocrate ; un entretien croisé passionnant sur le monde soignant et ses acteurs.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com


Source : infirmiers.com