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LIVRE

A lire - Innommable et innombrable

Publié le 06/10/2014
Innomable Inombrables

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Innomable innombrable couverture livre

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Le psychosociologue Jean-Jacques Amyot nous propose un focus sur la représentation de la vieillesse et de sa difficulté à prendre une place honorable dans notre société. Au fil du temps, l'admiration et le respect pour le grand âge ont laissé place à un regard suspect, un sujet d'étude, une forme d'embarras. L'auteur vient questionner le lecteur sur ses propres représentations et les bouscule avec talent.

À peine avons-nous eu le temps de nous en apercevoir, que cet incroyable étirement de la durée de vie ne sonne déjà plus comme une clameur, mais comme un glas. J.-J. Amyot

La vieillesse souffrirait d'une forme de délitement conceptuel de telle sorte que nous aurions de plus en plus de mal à la nommer, à lui donner du sens. Elle fait partie de notre monde, infiltre notre social sans pour autant que nous puissions la cadrer  la saisir. Tel Ulysse après avoir crevé l'œil du cyclope, la vieillesse revêt aujourd'hui cette ambiguïté sans figure, celui qui n'a pas de visage ni de nom et ne peut être reconnu car son étrangeté est suivie d'un cortège d'incompréhension et d'angoisse. La vieillesse s'analyse alors comme une épidémie.  Un état qui se propage, avec des populations de plus en plus touchées par un mal qui ne dit pas son nom.

Cet ouvrage invite à une forme de résistance morale, il nous rend meilleur. Plus qu'un ouvrage de référence, un outil éthique.

La vieillesse ne nous promet plus d'être vénérable et sage mais plutôt de devenir dément et grabataire...

Cette première partie de l'ouvrage de Jean-Jacques Amyot, Directeur de l'office aquitain de recherches, d'études, d'information et de liaison sur les problèmes des personnes âgées (OAREIL) à Bordeaux, véhicule une forme de malaise pour le lecteur qui sent arriver tous les arguments d'un risque socio-économiques à l'instar de celui qui a donné lieu au scénario de politique-fiction de Victor Fleicher "Soleil Vert"... Mais Jean-Jacques Amyot décrypte et dénonce tous les outils de déshumanisation qui peuvent servir un tel scénario : les chiffres, qui finissent par avouer tout ce que l'on veut leur faire dire ; l'élaboration de nouvelles normes, de nouvelles vérités pour construire une nouvelle réalité, celle du risque sociétal.

L'idée de contagion augmente les peurs et les mesures de protections. La vieillesse ne nous promet plus d'être vénérable et sage mais plutôt de devenir dément et grabataire... On imagine bien que la représentation de la vieillesse puisse muter en termes de risques et le recours aux subterfuges devient un créneau lucratif. Les espaces de relégation de la vieillesse sont ainsi interrogés, sanctuaires ou prisons ? La faute qui contient la punition est finement énoncée par l'auteur et fait écho au mythe d'Eos et de Titon, celui de Faust : vivre, mais à quel prix. Le vieux d'aujourd'hui, en termes de nouvelles représentations, réunit tous les symptômes d'un bouc émissaire.

Le lecteur s'enfonce alors bien confortablement dans son fauteuil et profite des formules jubilatoires et des idées qui forcent l'attention et l'interrogation.

Les recettes du bien vieillir nous apparaissent à l'aune du regard singulier d'un échantillon interrogé et qui révèle des recettes quelquefois subversives mais pleines de réalité. La créativité et l'audace de l'auteur permettent d'énoncer des pistes de réflexion sans tabou comme les robots, les bénévoles, les animaux, autant d'idées qui méritent d'être débattues afin d'accéder à une meilleure prise en charge possible. Les conditions de travail des soignants ne sont pas éludées et sont considérées comme un préalable incontournable.

L'analyse de l'auteur amène une écriture sincère et une philosophie sceptique de bon aloi. Le ton universitaire laisse rapidement la place au plaisir de lecture et dépasse l'intérêt de recherche qui reste néanmoins bien constant. Le lecteur s'enfonce alors bien confortablement dans son fauteuil et profite des formules jubilatoires et des idées qui forcent l'attention et l'interrogation. Le lecteur devient altérité, il est interpellé et happé par le cheminement de l'auteur. Cette recherche permet un décalage du regard social orienté bien-pensant. Elle invite le lecteur à bousculer les idées reçues ou à recevoir trop simplement. L'auteur nous rend responsable du regard que nous portons sur nos aînés. Cet ouvrage invite à une forme de résistance morale, il nous rend meilleur. Plus qu'un ouvrage de référence, un outil éthique.

• Amyot J.-J, Innommable et innombrable. De la vieillesse considérée comme une épidémie, Editions Dunod, Collection Santé/Social, 2014.

Christophe PACIFIC  Cadre de santé supérieurDocteur en philosophie christophe.pacific@orange.fr    


Source : infirmiers.com