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A lire - "Elle court, elle court l'infirmière"

Publié le 19/12/2019
livre elle court, elle court l

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Éva Silvio (un pseudonyme) nous raconte, sur un ton très personnel, tantôt réaliste, humoristique, voire surréaliste, son quotidien d’infirmière en EHPAD et ailleurs. Coincée entre son amour du métier et une réalité de plus en plus difficile à vivre, elle dresse des portraits attachants de ses patients, de ses impatients (!) aussi et les remercient pour tout ce qu'ils lui ont apporté. Ses collègues ne sont pas oubliés pour autant au travers de tous les moments forts de son parcours professionnel. Extraits choisis de son ouvrage "Elle court, elle court, l'infirmière".

Usée par les conditions de travail qu’implique sa fonction, malgré une motivation sans cesse renouvelée, elle a récemment troqué ses seringues pour des stylos, et s’est reconvertie, toujours dans un but d’entraide, en écrivain public. 

Éva Silvio, infirmière ayant exercé dans divers secteurs, nous immerge d'abord dans le monde des EHPAD et nous invite à réfléchir sur la considération des seniors, sur les valeurs de respect et d’humanitude, et sur les réelles possibilités de les appliquer. Horaires aberrants, manque flagrant de personnel, difficultés de communication, matériel peu pratique ou inexistant... la liste est longue mais aussi moments de grâce suspendus, relations soignant/soigné si précieuses, solidarité des équipes soignantes... c'est un peu l'ascenseur émotionnel permanent pour cette infirmière qui tient plus que tout à ses valeurs de professionnelle de santé. 

Il vaudrait mieux être à deux, mais c'est impossible...

Ce matin, je sais que j'ai trois toilettes à faire (on le dit ainsi), toute seule, en plus des autres soins, et que je vais encore me bousiller le dos. Le directeur a mis en place un système que je troiuve pour le moins aberrant : c'est l'infirmière qui assume seules trois toilettes par matinée, mais uniquement celles des personnes en fin de vie, ou difficiles. Oui, les personnes en phase terminale, celles que l'on se doit de manipuler avec le plus de délicatesse et de douceur, celles qui gémissent parfois dès qu'on les mobilise, ou qui font des pauses respiratoires lorsque nous les mettons sur le côté à cause de la morphine ou autre... Il vaudrait mieux être à deux, mais c'est impossible, faute de personnel suffisant. L'aide ne peut être que très ponctuelle.

Un moment de vie professionnelle décrit par Eva Silvio parmi tant d'autres, difficile à accepter lorsque l'on est soignant(e) et qui parlera sans nul doute à bien d'entre vous.

Mais comment font mes collègues depuis tant d'hivers ? Je les admire. Elles ont toutes du mérite, car sur certaines épaules pèsent aussi le nombre des années, et des problèmes personnels à résoudre. Chapeau, les filles !

"N'empêche que ça commence à bien se voir, car je soupire toute la journée..."

Les spécialistes nous font l'éloge de la lenteur, inévitable à un âge avancé, et nous expliquent tout en détail, mais quand nous sommes lâchés sur le terrain, la réalité est tout autre et à part galoper pour y arriver, je ne vosi pas comment procéder. Alors je suis comme dissociée, entre le désir d'appliquer tout ce que j'ai retenu des beaux discours remplis "d'humanitude", et puis la nécessité d'accomplir tout ce qui npèse sur moi et relève de mes compétences sur le temps imparti.

Je râle. J'évite quand même de râler devant les résidents. Pour eux, j'ai toujours des réserves de sourires et de mots réconfortants. Dans les couloirs, je fais aussi attention : là, je me contente de souffler. Eva, qu'est-ce que tu as encore à soupirer ? Rien, rien, Sylvie. C'est ma façon de me défouler tu sais, ne fais pas attention ! N'empêche que ça commence à bien se voir, car je soupire toute la journée, et même le directeur dévie son regard dans les couloirs. Il évite maintenant de me demander comment je vais, en arrivant. Parce que je pourrais lui dire ma façon de penser, et de bon matin, alors qu'il revient de trois jours d'absence, cela le fait hésiter. Où sont mes belles paroles du début, mes objectifs d'infirmière très concernée par les personnes âgées ?

On va me retirer mon permis ! Mon permis d'exercer, mon précieux diplôme d'Etat infirmier, celui que je n'ai toujours pas encadré depuis 1988 ; j'ai l'impression que je le mets en danger.

"Moi je joue à l'équilibriste, sur le fil de la vie..."

Après un break, changement d'environnement pour Eva. Elle choisit la cancérologie. Mais là aussi, il n'est pas toujours facile d'exercer... Les collègues voient bien que j'ai diu mal à mettrere à distznce ce concert de tumeurs aussi variées que déplaisantes. Le service accueille tout le panel de ce qui se fait en la matière, ou presque. J'embarsse chaque cas avec trop d'empathie et je n'arrive pas à prendre le recul nécessaire. Je ne parviens pas à m'intéresser aux recettes de cuisine que s'échangent mes collègues entre deux soins, ni à écouter leurs récits de week-end en vadrouille, ni à regarder les jolis colliers qu'elles fabriquent pour se détendre. Elles semblent toutes très équilibrées. Moi je joue à l'équilibriste, sur le fil de la vie. Je ne suis connectée qu'à la réalité, tellement cruelle quand elle me renvoie que la mort peut frapper si jeune. En EHPAD, c'était plutôt dans l'ordre des choses. Ici tout est dans le désordre.

Toute ma vie j'ai exercé le même métier, métier à tisser le fil de mon histoire, et à recoudre ce qui était déchiré. J'avais d'abord utilisé du fil à bâtir, et des patrons, pour des modèles déjà éprouvés : hôpitaux publics, cliniques privées, services de santé à domicile, et enfin consultations...

"Une tranche de ma vie d'infirmière, que j'ai voulue vivante parce que j'en suis morte..."

Point de croix, chemin de croix, c'est terminé, je crois. Je m'en tiens à la broderie maintenant, j'ai envie d'enjoliver les pièces de fleurs et de dentelles. De tracer des mots dorés, ou bien en couleur. Je vais broder sur le papier, c'est décidé. Je troque mes seringues pour des stylos à plume, et m'en vais écrire sur des parchemins. (...) Ecrire pour tous ceux qui ont envie de laisser une tracen, pour leur famille, leurs enfants, ou leurs amis. Consigner leur histoire extraordinaire ou simple. Transcrire un fragment de leur vie, avant l'oubli... Enfin, j'ai pris conscience de la nécessité de commencer à rédiger ma propre biographie, du moins essayer, avant de proposer ma plume aux autres. Une tranche de ma vie d'infirmière, que j'ai voulue vivante parce que j'en suis morte. J'ai mis du temps, à faire mon deuil de ce métier tellement enrichissant. Merci à tious les patients qui m'ont tant apporté.

Usée par les conditions de travail qu’implique sa fonction, malgré une motivation sans cesse renouvelée, elle a récemment troqué ses seringues pour des stylos, et s’est reconvertie, toujours dans un but d’entraide, en écrivain public.

Elle court, elle court l'infirmière, Editions La boîte à Pandore, octobre 2019, 16,90 €.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com