Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

EMPLOI

L'intérim infirmier en question

Publié le 14/05/2013

Qui sont ces professionnels infirmiers qui s'engagent en intérim, quels sont leurs parcours, leurs motivations et leurs problématiques. Retour d’expérience.

Le nombre d’infirmiers travaillant en intérim reste faible lorsque l’on considère la totalité des infirmiers diplômés d’Etat (Barlet & Cavillon, 2010). Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ces infirmiers intérimaires ont une importance majeure dans le fonctionnement de certains services (Arborio, 2005).

Les agences d’intérim ont un rôle important à jouer dans l’amélioration des conditions de travail des professionnels infirmiers qui exercent dans ce cadre. Mais quel rôle doivent véritablement jouer ces agences ? Et en particulier quels liens doivent être noués entre l’intérim et l’infirmier afin que soit maintenue une cohérence dans le travail de ce dernier ?

Les demandes d’intérim infirmier

Les agences d’intérim ont d’abord un rôle d’intermédiaire entre ce qu’on appelle une « entreprise utilisatrice » (E.U.) (dans notre cas : les établissements médicaux, les hôpitaux, les cliniques, les SSIAD, les FAM ou MAS …) et des infirmiers D.E. Il s’agit donc d’une relation tripartite : EU, agence d’intérim et infirmier, ce qui complexifie le positionnement de l’infirmier intérimaire par rapport à son travail de soignant.

Les établissements font appel à une agence d’intérim pour qu’un infirmier de cette agence vienne temporairement participer au travail du service. Cette demande de « main d’oeuvre» existe car une continuité des soins techniques et/ou relationnels est nécessaire dans le secteur médical, ne permettant pas l’absence de professionnels infirmiers (Arborio, 2005). C’est donc dans ce contexte particulier que l’intérim infirmier est sollicité.

Dans le meilleur des cas, la demande intérimaire intervient longtemps à l’avance, ce qui permet à chacun des intervenants de l’intérim de s’organiser au mieux. Mais le recours à l’intérim peut aussi se justifier pour les établissements par un besoin imprévu (arrêt maladie, enfant malade…). La demande se fait alors dans l’urgence, le plus souvent pour le jour même, rendant difficile le travail de l’intérimaire. L’agence a donc encore plus dans ce cas-là un rôle à jouer pour préparer au mieux l’infirmier intérimaire à prendre une mission « en cours de route » : précision des informations, qualité d’écoute et de demande des intérimaires et des établissements, fidélisation… .

Complexité de l’intérim infirmier

Le travail intérimaire demande aux infirmiers beaucoup de capacités d’intégration (au sein d’équipes soignantes chaque jour différentes), d’adaptation (à des fonctionnements d’équipe, de service, d’établissement variés, à des pathologies multiples – un jour une mission en maison de retraite, le lendemain en pédiatrie…), d’écoute, de flexibilité… .

L’intérim infirmier présente ainsi une contradiction majeure, intéressante à souligner :

  • d’un côté il existe, nous le voyons, une exigence très importante du service qui demande un intérimaire : demande d’intégration, d’adaptation… mais aussi et surtout une demande de responsabilités élevées dans les soins apportés aux patients ;
  • de l’autre côté, il faut reconnaître des conditions de travail intérimaire difficiles du fait de l’irrégularité des missions…

Comment trouver ses marques rapidement et surtout assurer la continuité des soins (demandée par l’établissement qui fait appel à l’intérim) lorsque l’on arrive pour la première fois dans un service dont on ne connaît pas le fonctionnement ? Comment le travail infirmier - qui demande beaucoup d’investissement de la part du professionnel - peut-il s’envisager en intérim ?

Cet investissement existe au niveau affectif, relationnel, du fait de la complexité des liens qui sont créés entre patients et soignants, avec plus ou moins d’amplitude parfois selon les services (courts séjours ou longs séjours) ou les pathologies abordées. Cet investissement existe car nous sommes dans des relations de soins ou de confort, qui font dans tous les cas appel à l’intime. La gestion de ces relations est permise par la mobilisation du fonctionnement psychique de chacun et est facilitée par l’existence de routines, et d’une maîtrise de son travail. Et cela prend du temps … et s’acquiert avec l’expérience dans un même service.

L’infirmier intérimaire, lui, arrive dans un service inconnu et doit être opérationnel tout de suite. Créer des liens dans ce contexte, avec les patients ou avec les équipes, devient difficile. Sous cet angle, le travail infirmier semble effectivement mal s’accorder avec l’intérim (Arborio, 2005).

L’intérim pour se « protéger » : une force de l’infirmier intérimaire

Pourquoi alors s’inscrire en intérim ? Bien qu’il y ait plusieurs modes d’entrée en intérim et que les parcours de vie sont à chaque fois différents (Faure-Guichard, 2000 ; Jourdain, 2002), nous envisageons l’intérim comme un moyen pour l’infirmier de se « protéger » par rapport à des conditions de travail difficiles. Le travail infirmier est rendu alors plus tolérable parce qu’il est intérimaire, parce qu’il est ponctuel.

Même si nous pouvons penser que l’intérimaire infirmier est du fait de sa situation moins investi dans l’histoire d’une maladie, la distance qui lui est donné avec les patients lui permet une plus grande disponibilité – disponibilité qui apparaît moins chargée affectivement, d’autant plus que les soins s’inscrivent dans la durée. La prise en charge par un soignant intérimaire s’avère souvent très pointue justement parce qu’il ne connaît pas le patient et qu’il est très attentif à l’ensemble des informations qui lui sont apportées.

Nous pouvons alors supposer ici que c’est surtout l’investissement institutionnel qui est fui. L’intérim permet à l’infirmier d’échapper alors à une lourdeur institutionnelle.

L’infirmier s’assure aussi en intérim une maîtrise du temps (Fréchou, 2004) : de son temps, de son organisation des temps de travail et de non travail, d’autant plus que le rythme de travail infirmier est vu comme décalé socialement, accordant difficilement du temps disponible pour soi (Bouffartigue & Bouteiller, 2006).

Quels sont les risques associés ?

Cette demande d’adaptation est exigeante, chronophage et mobilise également beaucoup d’énergie psychique pour l’infirmier, d’autant plus que sa charge de travail est déjà élevée. A ceci s’ajoute le fait que le travail intérimaire peut apparaître comme une source d’angoisse causée par l’incertitude des lendemains et les contrats de missions qui sont des contrats courts, le plus souvent d’une journée.

De plus, le manque de repère, la méconnaissance des locaux et parfois du matériel utilisé, entraîne une augmentation des risques pour les services (Afgris, 2004). Preuve en est, en règle générale, les « nouvelles recrues » sont souvent doublées pendant un temps afin de se familiariser avec le service (Arborio, 2005). Cela n’est pas toujours envisageable pour un intérimaire qui se retrouve parfois même seul dans un service qu’il découvre. Les intérimaires ne bénéficient pas d’une période d’encadrement ou de formation au sein même de l’établissement où ils réalisent leur mission. Ces infirmiers intérimaires doivent donc composer, seuls, avec des équipes, des services, des organisations, des procédures qui ne lui ont pas été présentés. Ceci ne permet pas de bonnes conditions de travail et la qualité des soins peut être touchée (Afgris, 2004).

Comment limiter ces risques ?

Une première approche, soulevée par Arborio (2005), vise à diminuer la distinction entre infirmier intérimaire et non intérimaire. Ceci est rendu possible par la fidélisation de certains intérimaires au sein de services en particulier. Souvent, les établissements demandent explicitement les mêmes intérimaires. Nous retrouvons en agence d’intérim des plannings pour un intérimaire au sein d’un même établissement. Cette pratique permet de trouver une certaine cohérence et une continuité dans le travail intérimaire.

Autre perspective : celle de l’intégration. Aider les intérimaires à mieux s’intégrer permettrait de réduire les risques (Afgris, 2004). L’agence d’intérim joue ici un rôle crucial d’intermédiaire. Il s’agit de pouvoir obtenir un maximum d’informations sur la vie des services et leurs spécificités et de le restituer le plus fidèlement et le plus clairement possible aux infirmiers intérimaires qui acceptent une mission. Il est également important de pouvoir expliquer au mieux les particularités de l’intérim aux établissements demandeurs et d’échanger avec eux sur certaines bonnes pratiques : utilité de l’existence d’un livret d’accueil et de présentation du service et des procédures à destination des intérimaires, listing des soins et des actes à réaliser, organisation formalisée… .

Enfin, il faut pouvoir rester disponible auprès des établissements ou des infirmiers intérimaires (d’où l’existence dans les agences le plus souvent d’une permanence téléphonique). L’infirmier intérimaire peut être perçu comme celui qui vient soulager une équipe. Mais parfois, l’intérimaire a une mauvaise image dans les services. Cependant, il faut savoir mettre en avant ses compétences, sa grande flexibilité dans le travail, sa multidisciplinarité (du fait de la diversité des missions). Cette diversité des pratiques rend compte d’une curiosité professionnelle et d’une expérience riche. Cette mauvaise image ne peut-elle pas ainsi s’expliquer par une appréhension de la part des équipes d’un service à faire face à un inconnu, ou encore par des attentes créées par le service qui apparaissent inappropriées (d’autant plus que l’intérim à un coût) ?

La notion de liens

Le rôle de l’agence d’intérim est alors encore plus évident lorsque nous abordons la question de l’appartenance à un groupe et la notion de liens. L’infirmier intérimaire est salarié d’une agence d’intérim. Il ne compte donc pas à proprement parler parmi les effectifs de l’établissement dans lequel il se rend en mission. Il ne participe pas non plus, du fait de ses missions très ponctuelles, à la vie des services dans lesquels il est amené à travailler, ni à la vie de l’établissement de façon plus globale : il ne participe pas aux staffs…

Ainsi, le sentiment d’appartenance à un groupe est mis à mal et nous pouvons penser que la notion d’identité au travail de l’infirmier a du mal à se développer. C’est alors à l’agence d’intérim de favoriser l’existence de liens par des échanges constants en dehors de toute demande de mission, d’appliquer une gestion des ressources humaines cohérente avec le travail intérimaire infirmier (Abraham, 1998 ; Jourdain, 2002) : proposer des lieux d’échanges, des groupes de parole, créer des espaces de rencontres, valoriser le travail en intérim et renforcer cette image ou ce vécu, ou faire participer encore davantage les intérimaires aux évènements de la vie d’une agence.

Eve RIGOULOT Chargée de recrutement Santé au sein d'une agence d'intérim eve.rigoulot@gmail.com


Source : infirmiers.com