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L'infirmière Virginie court pour oublier... la Mort

Publié le 18/12/2017
pierre tombale RIP

pierre tombale RIP

Virginie, l'infirmière "insoumise" nous raconte comment le soignant, confronté chaque jour à la Mort, tente de l’apprivoiser. Ayons en tête cette citation de Montaigne : N’ayons rien si souvent en la tête que la mort. A tous instants, représentons-la à notre imagination, et en tous visages (...) Il est incertain où la mort nous attende : attendons-la partout2...mais en luttant pour ne pas nous y habituer...

Virginie a-t-elle décidé d'être infirmière pour tenter d'apprivoiser la mort ?

Je m’appelle Virginie, j’ai 35 ans et je suis infirmière. Je m’appelle Virginie, je suis infirmière, et je cours. Je cours pour oublier. Pour oublier toutes ces images qui me trottent dans la tête. Pour oublier la solitude. Pour oublier la souffrance. Pour oublier la Mort. La Mort et la lutte, le combat incessant que l’on tente de mener chaque fois contre Elle. Aujourd’hui, je peux dire que je sais ce que c’est que de voir la Mort en face. Car hier, elle s’est immiscée lentement dans le corps de de deux personnes à la fois.

C’était un couple. Un couple de motards. Qui roulaient tranquillement sur une route de campagne, pour un week-end en amoureux alors qu’ils se sont fait faucher par une voiture. Ils avaient laissé leur enfant aux bons soins de sa grand-mère. Eux voulaient se battre. Mais Elle ne leur en n’a pas laissé l’occasion. Hier, je L’ai vu. Et le jour d’avant. Elle prend sans arrêt une forme différente. Mais Elle est toujours présente et cette fois ci, elle m’a troublé. Elle m’a touché de plein fouet, car cette fois ci, dans les yeux de cet homme, et ceux de cette femme, j’ai vu un enfant. Un enfant désormais orphelin, et alors, j’ai pensé aux miens. Elle est toujours présente lorsque j’arrive. Lorsqu’on arrive tous les deux avec le médecin. A domicile. En SMUR. Dans la vie des gens.

Parfois, Elle perd. Mais je n’arrive pas à savoir si c’est parce que c’est Elle qui décide d’abandonner ou si c’est parce qu’Elle nous nargue avec ironie, pour mieux gagner la partie la prochaine fois. Nous sommes là pour la voir, la frôler, la cotôyer, jouer avec elle, jouer à celui qui sera le plus fort.

La nuit passée, dans mon rêve, ou plutôt mon cauchemar, j’ai vu le médecin comme un apprenti sorcier.  Avec ses potions, qui tente en vain de faire dissiper l’épais nuage au-dessus de la tête du patient, de rattraper l’âme qui s’échappe de son corps…. Mais ce n’est pas lui qui le fait revenir à la vie ce patient, et ce n’est pas moi, la petite main préparatrice de potions non plus…. Ce n’est pas lui qui insuffle de nouveau la vie par la sonde…. Ce n’est pas lui non plus qui décide de ce qui va suivre…. Ni moi d’ailleurs. Nous ne sommes que les spectateurs impuissants de la pièce qui se joue devant nous…. Avec nos gestes systématiques, réglés, précis et rapides… Nous engageons la course contre la montre…  Je cours, plus vite, mais jusqu’où ?

Cela fait dix ans que je cours et sur la ligne d’arrivée, c’est toujours la même chose, je repars, avec en guise de médaille, un cauchemar supplémentaire, le visage d’un patient qu’Elle a défiguré, l’image d’une famille qu’Elle vient d’anéantir. Ai-je décidé de faire ce métier pour mieux L’apprivoiser à l’image de Montaigne1 ou Desproges2 ? Je ne saurai vous dire… Mais ce que je sais, c’est qu’à force de jouer les apprentis-sorciers, l’image des ténèbres vous colle à la peau.

Je cours et dans mes écouteurs, Alanis Morissette hurle : And isn’t it Ironic, don’t you think ?

Notes

  1. Vivons heureux en attendant la mort- Pierre Desproges- 1983
  2. Editions du Seuil : "Que philosopher c’est apprendre à mourir" – Essais-Livre I-Chapitre XX-Montaigne-1595 - Lien en rapport avec cet article

Cet article a été publié sur le blog de l'infirmière insoumise le 5 décembre 2017. Nous la remercions de ce partage.


Source : infirmiers.com