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SANTE AU TRAVAIL

L'infirmier en santé au travail face à la mondialisation

Publié le 13/11/2017
voyageurs aéroport

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Infirmier de santé au travail dans un grande entreprise de télécommunication, Nicolas Haukenghan partage avec nous son travail de recherche présenté lors de la validation de son DIU en la matière. La thématique « L'infirmier de santé au travail et la prévention des risques professionnels liés aux déplacements à l'international ». Un travail qui souligne combien certaines initiatives lorsqu'elles sont soutenues par une équipe pluriprofessionnelle soudée et aux actions cohérentes portent leurs fruits.

Une expérience décrite par un infirmier de santé au travail qui montre que faire connaître et reconnaitre la qualité des services rendus permet d'être identifié comme un professionnel de santé compétent, ressource pour tous.

Lorsque j’ai commencé à exercer dans ce domaine, je n’imaginais pas toute la complexité de cette discipline. Avec du recul, je me rends compte que le passage d’une approche curative et individuelle à une autre plutôt préventive et collective n’a pas été aisée. Cela a nécessité un temps d’adaptation. Heureusement pour moi, l’entreprise où j’exerce, accepte qu’on participe à des formations. A défaut de ne pas avoir pu faire une licence (en médecine du travail) pour des raisons personnelles et géographiques, le diplôme inter-universitaire de santé au travail (DIUST) m’a permis de m’enrichir sur le plan théorique mais aussi de percevoir et intégrer une partie des enjeux auxquels la santé au travail devait faire face aujourd'hui. L’un d’eux est l’évolution du contexte économique dans laquelle nous baignons. En effet, l'accessibilité aux transports aériens, l’augmentation de la fréquence des vols, l’émergence de nouvelles technologies, ont modifié certaines organisations et conditions de travail permettant ainsi d’établir plus rapidement et plus facilement des liens entre les pays. L’entreprise de télécommunication pour laquelle j’exerce s’inscrit dans le même cadre. Ainsi, les services de santé au travail qui lui sont rattachés ont initié différentes procédures de prévention pour les salariés se déplaçant à l’international. Mon rôle d’infirmier du service de santé au travail m'a permis d'y contribuer de différentes façons : analyse, évaluation de ces nouveaux risques professionnels, mise en place d’une procédure santé national, instauration d’une politique vaccinale locale et création d’un protocole médecin-infirmier appelé « Entretien infirmier avant une mission à l’étranger ».

Participation de l’infirmier dans l’évaluation des risques professionnels

Ces différentes étapes ne se sont pas faites du jour au lendemain. Lorsque vous voulez modifier les processus et les habitudes d’un grand « Groupe », il faut savoir faire preuve de patience et surtout trouver les bons dominos pour provoquer une réaction en chaîne efficace, conduisant à une prise de conscience collective de ces nouveaux risques professionnels du XXème et XXIème siècle. Dans mon cas l’analyse et l’évaluation de ces nouveaux risques professionnels a été possible grâce à l'appui d’une équipe pluridisciplinaire (médecins, préventeurs, infirmiers, psychologues…) mais avec l'aide du Comité Hygiène Santé et condition de travail (CHSCT). Ce collectif de travail réglementé a porté en partie le sujet dans l’entreprise. Il faut reconnaitre que, sans cette instance, notre travail de prévention en médecine du travail aurait moins d’impact dans l’entreprise et sur les salariés. Lors de nos échanges, j’ai pu apporter mon point de vue et mon expérience dans la mise à jour du « Document Unique »1, notamment en ce qui concerne les risques liés aux déplacements à l’international. Certains d'entre eux ont été mis en évidence grâce aux entretiens infirmiers mis sous protocole, aux visites médicales, aux passages à l’infirmerie (vaccination…) ou à la prise en charge d’urgence (ex : douleurs thoracique après un long trajet aérien…).

L'accessibilité aux transports aériens, l’augmentation de la fréquence des vols, l’émergence de nouvelles technologies, ont modifié certaines organisations et conditions de travail.

Collaboration à la mise en place d’une politique vaccinale en milieu professionnel

La mise en œuvre d’une politique vaccinale en milieu professionnel entre pleinement dans les compétences du médecin du travail : article L. 3111-1 CSP, et de l’infirmier : article R4311-1 CSP, article R4311-5-1 CSP, article R4311-7 CSP2 L’entreprise ne peut pas imposer la vaccination à un salarié hormis situation exceptionnelle3. Rappelons que dans le cadre du travail, l’infirmier exerçant dans un service de santé au travail est sous l’autorité4 du médecin du travail responsable du service. On en déduit donc que si l’infirmier souhaite participer à la politique vaccinale d’une entreprise, il faut que la prescription ou le protocole réalisé pour la vaccination du ou des salariés soit établi en collaboration avec le médecin du travail de l’entreprise et qu’il y est un lien avec l’activité professionnelle et le risque d’exposition de la personne à vacciner5.

En tant qu’infirmier, j’ai donc participé à la mise en place du protocole de vaccination et des fiches de renseignements permettant au salarié d’avoir les données essentielles. Lorsqu'il est reçu, nous prenons un temps d’information et d’échange qui aboutit à la signature d’un consentement éclairé6. Cette réglementation nous montre à quel point il n’est pas si simple de mettre en place une politique vaccinale en entreprise et que cela intervient après l’analyse des risques professionnels. Cette solution ne peut pas être choisie comme l’unique mesure de protection appliquée aux salariés. Bien que son rôle dans la prévention primaire ne soit plus à prouver, elle ne permet pas de baisser la garde vis-à-vis de tous les risques biologiques. Pourtant, malgré ces limites,  au sein de mon lieu d’exercice, certains salariés continuent régulièrement à prendre contact avec le service de santé au travail avant leur déplacement à l’international. On s’est donc demandé si on devait uniquement procéder aux vaccinations ou si on pouvait profiter de cette opportunité pour aborder d’autres aspects de prévention7. Ce fut le début de la mise en place d’un nouveau protocole médecin-infirmier.

Si l’infirmier souhaite participer à la politique vaccinale d’une entreprise, il faut que la prescription ou le protocole réalisé pour la vaccination du ou des salariés soit établi en collaboration avec le médecin du travail de l’entreprise et qu’il y est un lien avec l’activité professionnelle et le risque d’exposition de la personne à vacciner.

Elaboration et utilisation du protocole « entretien avant une mission à l’étranger »

Ce protocole, présenté lors des CHSCT par différents médecins et infirmiers du travail, a pour objectif de pouvoir accueillir rapidement et efficacement les salariés se déplaçant lors de mission à l’étranger. Les expatriés restant un cas particulier, ils n’étaient pas concernés par ce protocole. Ces entretiens infirmiers requièrent une vigilance importante et une actualisation permanente des connaissances et actualité sanitaires. Pour cela, nous nous aidons de plusieurs sources qu’il nous faut « croiser ». S’ajoute à cette particularité, celle de rencontrer les salariés en dehors des visites réglementaires afin d’avoir un aperçu de leur état de santé.

Depuis mon arrivée, j’ai donc pu participer à la création et à la mise en place du protocole entretien avant une missions à l’étranger mais aussi à son évolution. En effet, l’arrivée de nouveaux professionnels au sein de mon service a permis une approche différente. Dans un contexte d’évolution de la législation en santé au travail, l’adaptation de nos pratiques étaient une nécessité pour répondre aux demandes de l’employeur et des salariés. Actuellement, l’entretien s’appuie sur différents supports et apporte plusieurs informations et documents aux salariés. Cet échange permet d’établir un lien de confiance entre salarié, professionnels de santé et employeur, de mettre à jour la visite médicale périodique, d’évaluer régulièrement les risques professionnels et de maintenir des axes de prévention. Il a pour but de soulager l’activité médicale et de faciliter la prise en charge des salariés. Pour ce faire, la réalisation de ces entretiens est guidée par plusieurs typologies de documents transmis systématiquement et dont les objectifs sont différents en fonction de la personne qui les utilise (recueil de données du salarié, fiches sanitaires Pays, livret du voyageur…). Toutefois, à travers la mise en place de ces entretiens, dans certaines situations, l’utilisation de ce protocole a montré certaines limites empêchant d’exercer correctement nos missions professionnelles. Parmi elles, j'ai noté : l’entretien fait dans l’urgence (-48h), l’absence de confirmation de l’employeur avant un départ, le décalage entre la théorie et la pratique, le choix des recommandations, la qualité de l’information par rapport à la demande du salarié, l’impossibilité d’observer l’activité à l'international… Alors comment faire ?

Toutefois, à travers la mise en place de ces entretiens, dans certaines situations, l’utilisation de ce protocole a montré certaines limites empêchant d’exercer correctement nos missions professionnelles.

Face à ces nombreuses contraintes, je me suis interrogé sur la pertinence et l’utilité de ces entretiens infirmiers. J’ai donc décidé de soumettre aux salariés ayant eu « l’entretien infirmier avant une mission à l’étranger » un questionnaire rétrospectif comportant une dizaine de questions. Le but : analyser l’efficacité de ce dispositif et éventuellement améliorer nos pratiques. J’ai choisi d’utiliser un logiciel interne à l’entreprise s’adaptant à la culture du groupe. Le questionnaire a été communiqué par courriel aux salariés concerné et il était accessible directement sur smartphone par un lien internet ou un Code QR8. Les réponses, anonymes, montrent que les salariés apprécient ce dispositif grâce à la méthodologie employée et à notre accessibilité malgré certains points comme la durée de l’échange ou les supports utilisés pour transmettre les informations.

En conclusion, intégrer une grande entreprise c’est comme aborder un iceberg. Lorsque vous débutez, les informations que vous avez sont, la plupart du temps, celles qui sont visibles et connues de l’extérieur. Plus vous établissez de liens avec des salariés et les collectifs de travail, plus vous vous enrichissez sur le fonctionnement de l’entreprise. Par conséquent, il est donc plus facile de mener à bien les missions de la médecine du travail. Faire connaître et reconnaitre la qualité des services rendus permet d'être identifié comme un professionnel de santé compétent, ressource pour tous. A travers cet article, en partageant mon expérience, j’ai voulu montrer la mise en pratique de certaines missions décrites dans le code de santé publique telles que les protocoles infirmiers, tout en respectant le code de déontologie et le code du travail (eh oui ! En médecine du travail, il faut apprendre à jongler sur plusieurs tableaux...).

Notes

  1. En France, le document unique, ou document unique d'évaluation des risques professionnels (DU ou DUERP), a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001, en application des articles L4121-2 et L4121-3 du Code du travail. Le décret a également transposé la directive-cadre européenne du 12 juin 1989 sur la prévention des risques professionnels. Cet outil permet de transcrire les résultats de la démarche de prévention des risques professionnels pour les travailleurs de la structure et de la pérenniser.
  2. Article R4311-7 : L'infirmier ou l'infirmière est habilité à pratiquer les actes suivants [soit… 2° Scarifications et injections destinées aux vaccinations ou aux tests tuberculiniques…].
  3. Le code du travail n’impose pas de vaccination. Le code de la santé publique rend obligatoire certaines vaccinations pour les personnes exerçant certaines activités professionnelles.
  4. Décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail
  5. Circulaire TE/25/74 du ministère du travail relative à la pratique de vaccination en milieu de travail par les médecins du travail, apparaissant sur le site www.circulaires.gouv.fr et donc selon le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, cette circulaire est considéré comme applicable aux yeux de la loi.
  6. Aucune vaccination ne peut être pratiquée sans l’accord explicite du travailleur.
  7. Selon l’INRS : La vaccination ne peut en aucun cas se substituer à la mise en place des mesures de prévention des risques biologiques : elle vient seulement les compléter.
  8. QR (abréviation de l'anglais Quick Response) signifie que le contenu du code peut être décodé rapidement après avoir été lu par un lecteur de code-barres, un smartphone… Les informations du code-barres contiennent des données qui peuvent être reconnues par des applications, permettant ainsi de déclencher facilement des actions.

L'auteur, Nicolas Haukenghan

Infirmier depuis 7 ans, cela fait maintenant 2 ans qu'il exerce la spécialité d’infirmier en santé au travail. Comme la plupart de ses confrères, il a commencé sa carrière à l’hôpital où il a pu améliorer ses pratiques et affiner certaines connaissances théoriques. En revanche, par manque de temps ou de moyens, les domaines de la prévention et de la formation, autant pour les patients que pour les soignants, étaient difficilement abordés. C’est pourquoi, il a choisi de quitter ce milieu et de s’orienter dans un autre champ d’exercice du métier d’infirmier. Grace à sa motivation et à ses recherches, il a pu intégrer un service de santé au travail d’une grande entreprise de télécommunication.

Nicolas HAUKENGHANInfirmier de santé au travail

Article de synthèse suite à la soutenance de son travail : « L'infirmier en santé au travail et la prévention des risques professionnels liés aux déplacements à l'international », DIU infirmier en santé au travail en Ile-de-France - Université Paris Est Créteil - Val de Marne (UPEC). Année universitaire 2016-2017. Direction d'enseignement : Pr Jean-Claude Pairon, Mde Nadine Rauch. Référent de stage : Docteur Antonio Lecis.


Source : infirmiers.com