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PSYCHIATRIE

L'importance de l'informel en psychiatrie

Publié le 04/04/2014
pièces de puzzle assemblage

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Le travail infirmier en psychiatrie est souvent défini comme un métier où le déploiement de la relation aux patients va s’affirmer par les conditions, la temporalité et l’engagement mis en œuvre. Ainsi, les attendus d’une contribution infirmière sont souvent de l’ordre de l’implicite et de l’informel.

En psychiatrie, le sable de la relation et le ciment de l’intention de soin

Tisser du lien, affirmer le primat d’une parole qui nous oblige à la création d’une qualité d’ambiance relationnelle propice à une quiétude collective, favoriser les expériences et les accès à un climat de confiance, autant d’actes fondamentaux de la relation de soin qui posent notre problématique.

Par ailleurs, ces attendus de la contribution infirmière s’exercent en tenant compte de deux particularités du soin infirmier en psychiatrie. D’une part, nous retiendrons que du côté du professionnel, le principal outil du soin tient en la personne du soignant lui-même (entendu ici avant l’étayage sur des supports techniques). D’autre part, pour certains patients, l’expression de la psychopathologie s’exprime justement par des perturbations de nos modalités relationnelles habituelles. Or, cette approche du cœur de métier de l’infirmier en psychiatrie a été soumise à des évolutions qui ont fragilisé le statut de ces savoirs infirmiers. Notre travail de recherche se situe dans cette ambition, aller à la rencontre de ces savoirs essentiellement relationnels avec un cadre rigoureux d’investigation et contribuer à leurs connaissances. La démarche scientifique que requiert une recherche qualitative descriptive permet alors de donner une assise de données valides à nos résultats. Notre porte d’entrée sera l’informel dans les soins.

Tisser du lien, affirmer le primat d’une parole qui nous oblige à la création d’une qualité d’ambiance relationnelle...

Parmi ces évolutions, deux constats

Ces constats sont à la base de cette pression croisée quant à la faiblesse et la fugacité du statut des savoirs infirmiers en psychiatrie. 

Le premier constat tient à l’absence ou l’insuffisance de recensement de ce réel de l’activité, entendu ici dans l’écart entre ce qui est demandé à l’infirmier, le registre est ici du côté du prescriptif et ce que cela lui demande. Ce dernier registre convoquant alors la question du « comment ? ». L’informel se manifeste de manière privilégiée, particulièrement dans le cadre de l’hospitalisation temps plein, dans l’écart conséquent entre activité réelle et activité prescrite, puis entre activité réelle et ses modes de saisie et enfin entre soins programmés et actions non programmées. Ces dernières zones discrètes d’activité informelle, ces « dessous du soin » peuvent représenter jusqu’à 50 % du temps « non identifié », particulièrement en unité d’hospitalisation temps plein. Certaines études, qui évaluent la répartition des soins, entre soins directs et activités d’autre nature, donnent des chiffres supérieurs ; 72% du temps pour Michel Nadot (2002)1, 66,5% pour M. Estryn-Behar (2007)2 et 60,8% pour l’IGAS (2007)3. Cette place est donc quantitativement importante. Elle est le plus souvent liée à la permanence des soins dans les aspects du partage de la vie quotidienne, c’est-à-dire du « vivre avec », de « l’être avec » et de sa gestion. Ces aspects inhérents au rôle propre de l’infirmier mobilisent et questionnent puissamment l’utilisation de cette dimension institutionnelle du soin.

Le deuxième élément concerne la logique soustractive à l’œuvre quant à l’enseignement de la psychiatrie et des processus psychopathologiques lors des refontes successives de la formation initiale des infirmiers. L’arrêté de 1979 portait à 33 mois et 1376 heures l’enseignement de la psychiatrie4 ; il était de 440 heures lors de la réforme en 19925, il est de 80 heures depuis 2009.6 Soit un rapport en pourcentage de moins 94 % en vingt ans confinant à l’évanescence les contenus d’enseignement propre à cette discipline.

L’informel, un concept nomade

Nous sommes partis de l’idée que toute forme prend naissance dans l’informe pour aborder ce concept nomade d’informel. Ainsi, le dessin peut partir de la feuille blanche, la sculpture d’un bloc de terre, des mises en forme à partir d’un informe. Ce constat peut s’appliquer à la permanence des soins en unité d’hospitalisation temps plein, au quotidien et à l’ordinaire. Il peut s’appliquer particulièrement à la construction et à la mise en forme de la relation avec nos patients. L’informel peut devenir alors l’élément support sur lequel va se tisser et s’exercer, touche après touche, « petits riens » après « petits riens » une mise en forme de la relation. Cette approche est constituée d’un maillage de microactes et de miniactes7 (Guy Le Bortef-1995) pour ces niveaux d’actions souvent très investis en psychiatrie.

Toute forme prend naissance dans l’informe

Ainsi, aller discrètement au devant, se rendre disponible, soutenir et offrir sa présence sans l’imposer. C’est aussi s’arrêter sur une détresse ou une inquiétude, porter un geste qui entoure, saisir une main qui se tend, alimenter un narcissisme défaillant. Ou encore porter une attention liée à un élément de confort, mobiliser son sens de l’occasion sur l’ouverture d’une fenêtre « relationnel » renouvelant le mode d’accès à l’autre. Tout ceci constitue des actions qui ont une profonde signification sociale et humaine.

De même, ce qui nous pousse à nous immerger, acter notre parole, aller à la rencontre des zones de moindres résistances dans les plis du quotidien contribue à cette construction. S’en servir comme un support au soin, comme d’un facilitateur pour pénétrer l’univers mental de l’autre, que ce soit dans le sens d’un désamorçage, d’un apaisement ou d’une ouverture, ces actions là aussi participent à la construction d’un climat relationnel favorable et elles dessinent alors le lieu de soin.  

Ramener de l’inconnu à du connu, à fiabiliser la relation de soins en éprouvant une relation de confiance...

Des savoir-faire discrets et du travail invisible 

Ces soins au quotidien contribuent à créer du quotidien8, entendu ici dans le sens de connu et de rassurant. La constance de leurs déploiements dessine un environnement soignant et une toile de fond sur laquelle vont se tramer les autres facettes de soins plus construits. Dans le cadre de notre approche, les espaces temps informels sont adossés de manière élective sur ce temps du quotidien et de la permanence.

Ces savoirs faire discrets et ce travail invisible que suppose toute relation de soin nous permettent d’effectuer un saut logique. Celui de dépasser la démarche de qualité des soins pour aborder celui de la qualité du soin. Les résultats9 de notre recherche multicentrique sont riches d’enseignements. Nous avons ainsi pu aboutir en particulier à la caractérisation de 139 fonctions en lien avec ces activités informelles. Un nombre important de repérages d’actions dont aucune ne donne lieu à saisie d’activité. Ce réel de l’activité avance donc comme une variable masquée dans l’appréciation et l’évaluation du travail infirmier.

Les résultats de notre recherche 

Ils mettent en évidence des pans entiers du travail infirmier en psychiatrie. Celui-ci concourt à ramener de l’inconnu à du connu, à fiabiliser la relation de soins en éprouvant une relation de confiance, dont on sait qu’elle constitue un facteur favorable dans la prédictivité et l’évolution du patient. Le mécanisme tient au renfort du sentiment de sécurité interne que cette relation est susceptible de générer et à son impact favorable sur le recours aux soins. Son absence constitue inversement une perte de chance dans le parcours de soins du patient. L’ensemble de ces savoirs d’actions repose sur une attention et une intention, qui ont pour objectif de forger un ciment, lequel contribue à donner une tenue à la relation soignant/soigné. Le sable de la relation et le ciment de l’intention.

Notes

  1. Nadot, Michel. La fin d’une mythologie et le modèle d’intermédiaire culturel. In Dallaire C (dir.) Le savoir infirmier. Paris : éditions Gaëtan Morin; 2008: 359-373.
  2. Estryn-Behar M, Fouillot, J-P. Analyse du travail des infirmières et aides-soignantes dans dix services de soins. Document pour le médecin du travail 1990 : p. 131-144. Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
  3. Strohl H, Bastinelli JP, Laurand G, Planes-Raisenauer C. Inspection générale des Affaires Sociales. Gestion et utilisation des ressources humaines dans six établissements de santé spécialisés en psychiatrie. Rapport définitif, Tome I/IV-Rapport nº 2007, annexe Réponse de la DHOS -033P, juillet 2007
  4. Arrêté du 12 avril 1979 programme d’enseignement et organisation des stages en vue de la préparation du diplôme d’État infirmier.
  5. Décret n°92-264 du 23 mars1992 modifiant le décret n°81-306 du 2 avril 1981 modifié relatif aux études conduisant au diplôme d’État infirmier et d’infirmière.
  6. Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier. Par ailleurs, cette dernière formation renouvelle le paradigme de la formation initiale et le déterminisme socioconstructiviste remplace la pédagogie par objectifs dans une maquette compatible au niveau européen avec le système licence, master, doctorat (LMD).
  7. Le Boterf, Guy, De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Les éditions d’organisation, 1995.
  8. Le quotidien se soutient d’une valence en forme de paradoxe, d’une part il s’agit d’entretenir une forme de stabilité et d’autre part il faut se défendre d’une forme de routine et laisser ouvert la place de l’imprévu et de la surprise.
  9. Rapport de recherche effectué dans le cadre du Conseil scientifique de la Recherche du Centre hospitalier du Vinatier, « L’impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie », rapport non publié, 430 pages, disponible auprès des auteurs.

Jean-Paul LANQUETIN  Infirmier de Secteur Psychiatrique Praticien Chercheur en Soins Infirmiers


Source : infirmiers.com