Une étude américaine de 1997 avait déjà dénoncé le fait que la profession infirmière était invisible dans les médias. En effet, les chercheurs avaient alors observé que l’opinion des soignants figurait rarement dans les articles et reportages sur la santé. Cette étude a été répliquée une seconde fois récemment (sur des données de 2017) et il se trouve que 20 ans plus tard, rien n’a changé ! L’avis des soignants est toujours aussi peu relayé dans la presse alors que leur expertise pourrait offrir un nouveau point de vue sur certaines problématiques.
La profession infirmière continue d’être sous-représentée dans les médias. En effet, une vaste étude réalisée en 1997 avait déjà mis cela en lumière : alors que leurs témoignages et leur expertise auraient pu étayer bien des sujets de santé, ils n’étaient que rarement cités comme sources dans les articles, magazines ou reportages. Or, 20 ans plus tard, la profession jouit-elle d’une meilleure visibilité dans la presse ? Des chercheurs ont décidé de répliquer ces travaux afin de le savoir. Le diagnostic est formel : aucune évolution ! Les soignants sont toujours aussi absents de la sphère médiatique même lorsqu’il est question de santé. Même si en ce moment, avec le mouvement inter-urgences, ils parviennent davantage à se faire entendre.
L’expertise des infirmiers, pas assez valorisée ?
Le manque de progrès dans la représentation du personnel infirmier dans les reportages sur la santé au cours de ces 20 dernières années est stupéfiant, en particulier depuis que le rapport de 2010 de l'Institute of Medicine sur "L'avenir des soins infirmiers" a souligné que nous ne pouvons pas transformer les soins de santé et promouvoir la santé auprès du public sans reconnaître et exploiter l’expertise spécifique des infirmiers
, s’exclame Diana J. Mason, chercheuse principale de l’étude en question, également infirmière diplômée et professeure principale des questions politiques au Centre pour la politique de la santé et l’engagement des médias.
L'étude originale de 1997 avait révélé que les soignants étaient cités comme sources dans moins de 4% des articles sur la santé, que ce soit dans les principaux journaux imprimés, les hebdomadaires d'information ou les revues spécialisées. Récemment, une nouvelle équipe de scientifiques en s’appuyant sur les mêmes publications que les travaux originaux, a examiné un échantillon choisi au hasard de 365 articles sur la santé publiés en 2017. Leur but était de déterminer la profession des interlocuteurs et le nombre de fois où les infirmiers ont été cités ou uniquement référencés. Ils ont ainsi pu constater que les IDE étaient identifiés comme sources dans seulement 2% des publications sur la santé et mentionnés dans 13% d’entre elles.
Oublier les infirmiers n’est nullement pertinent
Plus précisément, d’après les observations des chercheurs, les soignants ne commentaient, la plupart du temps, que sur leur profession elle-même, on recourait rarement à eux pour leur demander leur avis ou leurs connaissances sur des sujets plus vastes en lien avec la santé. En outre, aucune publication ne relève l’expertise des soignants sur la politique en matière de santé publique, ou sur la gestion des soins en santé ou la recherche dans le domaine sanitaire. Nous avons remarqué que dans de nombreux cas, les voix et les opinions des infirmiers étaient absentes, alors que leurs points de vue auraient été très pertinents pour les sujets de discussion
, explique les auteurs de l’étude. Une analyse supplémentaire d'un échantillon aléatoire de 60 publications a, par ailleurs, démontré que l’opinion d’un soignant aurait été intéressante par rapport à au sujet dans au moins 33 d’entre elles, soit plus de la moitié. Par exemple, un de ces articles portait sur de potentielles réductions du financement des centres de santé communautaires : un infirmier aurait très bien pu donner son avis sur les conséquences de ces restrictions budgétaires pour le personnel comme pour les patients.
Au niveau des politiques de santé publique aussi les paramédicaux demeurent rarement mentionnés. Pourtant pour évoquer, par exemple, une volonté de réduire la couverture de certains traitements par l’assurances maladie, les infirmiers auraient pu apporter un nouvel éclairage en expliquant quand et pourquoi les patients y ont recours ou en témoignant sur ce qu’il advient des personnes qui ne bénéficient pas de ces remboursements. De même, un reportage mettait en avant un centre médical suédois réhabilité après des manquements importants quant à la sécurité des patients. Or, si les soignants ont joué un rôle dans la dénonciation des disfonctionnements, aucun n’a, par la suite, été sollicité
, se questionnent les chercheurs.
Un biais chez les journalistes
En plus de ces analyses, les spécialistes ont pris l’initiative de mener des interviews auprès de journalistes santé pour comprendre pourquoi les infirmiers étaient si peu présents dans la presse. Ce n’était pas suffisant de juste remarquer que la situation n’avait pas évolué en 20 ans. On devait comprendre pourquoi ce sont toujours les mêmes qui sont considérés comme experts
, affirme Barbara Glickstein, co-auteure de l’étude. Il s’est avéré que les journalistes, comme les éditeurs, les relations publiques, les organisations de santé… ont tous une image biaisée de ce qu’est un expert.
Plus précisément, les personnes interrogées lors des travaux ont expliqué qu’il existait une idée préconçue dans la presse sur les personnes faisant figure d’autorité. Celle-ci installe certains médecins un peu comme des rock-stars
en tête de liste comme source fiable ou personne à contacter. Les journalistes ont également souligné que la culture même de leur rédaction influençait grandement leur choix de sources et qu’ils devaient défendre leur point de vue quand ils voulaient interroger un infirmier.
Les journalistes, et les media en général, jouent un rôle prépondérant en informant le public sur les problématiques de santé mais ce biais à propos de qui est crédible comme expert limite la richesse des articles et reportages. S’ils omettent d’interroger les infirmiers, ils peuvent manquer la meilleure partie de l’histoire
, conclut Jean Johnson, directeur du Centre pour la politique de la santé et l’engagement des médias. En outre, si des sources peuvent donner de la crédibilité a un article, lorsque les rédacteurs ont recours aux mêmes personnes à plusieurs reprises, celles-ci auront davantage de poids. Elles pourront facilement faire entendre leur voix et donc avoir un pouvoir considérable sur comment les problématiques sont traitées dans les journaux.
Dommage donc, dommage pour les journalistes, dommage pour le grand public et dommage surtout pour les infirmiers dont le travail est, encore une fois, peu connu et peu valorisé…
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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