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Les urgences ruent dans les brancards !

Publié le 11/04/2018
Bouée de sauvetage

Bouée de sauvetage

L'éternel refrain de la même chanson : les hôpitaux manquent de tout, que ce soit de moyens humains ou matériels. Cette fois, ce sont les services d'urgences qui allument le gyrophare pour exprimer leur ras-le-bol. Afin de démontrer à quel point la situation est catastrophique, ils ont décidé de lancer le « no bed challenge », un classement indiquant le nombre de patients qui a passé la nuit sur un brancard faute de lits d'hospitalisation. Véritable indicateur des dysfonctionnements hospitaliers, le constat est édifiant…

Le personnel hospitalier veut alerter l'opinion publique sur la crise actuelle à travers un classement baptisé le "No Bed Challenge". En effet, les services d'urgence sont bondés au point que près de 200 patients par nuit dorment sur des brancards

Les urgences ruent dans les brancards suite aux manque de lits disponibles ! Voilà plus d'un mois que le gouvernement a lancé son fameux plan très attendu sur la refonte du système de santé . Le 22 mars dernier, une journée de mobilisation du secteur public était organisée pour contester contre les conditions de travail actuelles. Se jugeant peu écouté, le syndicat Samu-Urgence France a pris les choses en main. Depuis début janvier, les chefs de service d'urgences peuvent comptabiliser le nombre de patients qui a dû passer la nuit sur un brancard faute de lits d'hospitalisation. En tout, une centaine d'établissements s'est prêté au jeu sur les 650 recensés en France. Rendu publique sur le site du Parisien, ce classement baptisé le « no bed challenge » révèle une bien triste vérité : on y découvre que 200 patients par nuit dorment sur un brancard !

Depuis la mise en place de notre classement, 19 000 personnes ont passé la nuit sur un brancard

Un manque de données chiffrées à combler…

Si cela fait des années que l'hôpital est en crise , des indicateurs pour chiffrer l'ampleur du naufrage manquaient cruellement. Si le dispositif hôpital sous tension a été déclenché dans 97 établissements sur 639 assurant les urgences donnait un aperçu, la déliquescence des services demeurait largement sous-estimée. C'est d'ailleurs ce que souligne Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) à Marianne : le gouvernement montre ce chiffre de 97 hôpitaux "en tension" sur 650 mais cela ne représente pas totalement la réalité. Pour activer ce dispositif, il faut entrer dans certains critères comme le fait d'avoir plus de 10% du nombre de malades quotidiens sans solution d'hospitalisation pendant plus de 8 heures. Je considère personnellement que la situation peut être considérée comme alarmante avant ce seuil

Les hôpitaux ayant activé le plan blanc n'ont également pas été pris en compte, alors qu'ils l'ont fait  pour "urgence sanitaire" comme cela a été le cas à Troyes par exemple où l'on n'a pas d'autre choix que de demander à certaines personnes de reporter leur opération chirurgicale pour libérer de la place et du temps aux soignants.

Wanted : lits disponibles !

L'idée d'effectuer un classement pour pallier cette situation a germé dans l'esprit des professionnels grâce à… Agnès Buzyn ! L'année dernière, le ministère de la Santé nous a demandé si nous avions beaucoup de cas d’Ice and Salt challenge, ce défi stupide d’ados qui consiste à se mettre sur sel et des glaçons sur les plaies. Les équipes d’urgentistes nous ont répondu qu’ils n’en avaient presque pas… mais qu’en revanche, ils avaient un vrai problème, le « no bed challenge ». Car ils ne trouvaient pas de lits d’hospitalisation pour leurs malades qui arrivaient aux urgences, raconte le Dr François Braun, Président de samu urgence France au Parisien.

L'idée a suivi son chemin jusqu'à mettre en place le classement. Si on remarque que certains établissements sont plus en difficultés que d'autres, le débordement est général. Les instigateurs de cette initiative s'attendaient bien sûr à des données alarmantes mais  peut-être pas à ce point. Quand Christophe Prudhomme décrit la situation sur le terrain, il est très clair sur le papier, elle est déplorable. Dans la réalité, elle est gravissime. Les chiffres sont assez incroyables, depuis la mise en place du classement près de 19 000 patients ont passé la nuit sur un brancard dans les hôpitaux qui ont fourni les informations. Ainsi, si on extrapole à l'ensemble des établissement sur le territoire, on arrive à 120 000 personnes !

Arriver dans un service d’urgence surchargé induit un risque supplémentaire de décès de 9 % au cours des trois premiers jours d’hospitalisation

Des hôpitaux particulièrement touchés

Certains hôpitaux sont plus ou moins impactés par le phénomène. Ces derniers temps les hôpitaux de Nîmes (Gard), de Limoges (Haute-Vienne) ou de Rennes (Ille-et-Vilaine) ont été souvent en haut du tableau. Nîmes, par exemple, s’est retrouvé une nuit de cette semaine avec 42 patients sur les brancards. Le CHU de Rennes a aussi connu de grosses tensions, de même qu’à Lille (Nord), explique François Braun alors que l'AP-HP ayant plus de moyens semble moins exposé.

Manque de temps

Le but de la manœuvre n'est certainement pas de stigmatiser certains établissements mais d'avoir une idée précise de l'engorgement afin d'alerter sur ces conséquences. Quand vous démarrez la journée avec 10 ou 12 patients qui attendent sur un brancard parce qu’il n’y a pas de lit, c’est un retard qui ne se rattrape jamais. C’est une spirale infernale déplore François Braun. A Rennes, une femme est morte alors qu'elle attendait sur un brancard, événement indésirable dû à une situation exceptionnelle ? Non, pas vraiment, selon les intéressés. Arriver dans un service d’urgences surchargés induit un risque supplémentaire de décès de 9 % au cours des trois premiers jours d’hospitalisation précise le médecin urgentiste.

En effet, tout a du retard, que ce soit la mise en route des traitements, la prise en charge de la douleur, sans oublier le temps nécessaire pour faire la toilette et donner à manger à l'ensemble des patients. Les services d’urgence sont conçus pour accueillir les patients 5 à 6 heures au plus, le temps de réaliser les examens médicaux nécessaires. Nous ne sommes pas organisés pour les garder plusieurs jours, indique le professionnel.

De son côté le Dr Agnès Ricard-Hibon, Présidente de la Société Française de médecine d’urgence, également interrogée par le Parisien, évoque une mortalité retardée, donc invisible. Le risque de décès augmente de 5 % pour les patients admis les jours de grande surcharge, toutes pathologies confondues. Et si on s’intéresse aux patients les plus graves, l’impact est plus important avec un risque relatif d’augmentation de la mortalité de 30 %, explique-t-elle.

Une affluence en partie liée à une population vieillissante

Pour les soignants, l'épidémie de grippe, particulièrement longue cette année, n'a fait qu'amplifier un phénomène déjà bien installé. En effet, l'affluence ne décroît pas alors que le pic est passé depuis plusieurs semaines ! Pour le Dr Braun, cette surcharge est avant tout la conséquence du vieillissement de la population : les gens vivent plus vieux avec des maladies chroniques et ils font régulièrement des complications qui nécessitent une hospitalisation.

Un point de vue en partie partagé par Christophe Prudhomme : si dans les Ehpad, il y avait davantage de médecins généralistes, les personnes âgées viendraient en moins grand nombre toquer à notre porte. Et si ces mêmes médecins généralistes n'étaient pas si mal répartis sur le territoire, nous n'aurions pas non plus tant de personnes qui viennent encombrer nos services pour des symptômes mineurs….

Des dirigeants peu pris aux sérieux

A travers le No Bed Challenge, les professionnels des urgences espèrent enfin faire réagir les pouvoirs publics. Jusqu’à maintenant, il n’y avait pas d’indicateur chiffré qui permettait de connaître précisément le niveau de saturation des urgences, insiste François Braun. L’institution hospitalière n’était pas prête à mettre en place un outil comme celui-ci, c’est la raison pour laquelle nous avons pris les choses en main. Une certaine frilosité de la part des directions vis-à-vis de l'initiative a d'ailleurs été évoquée.

Si les réactions du ministère des Solidarités et de la Santé se font attendre, les professionnels hospitaliers ont peu d'espoir quand à la mission de soins non programmés lancés par Agnès Buzyn. Christophe Prudhomme paraît même parfaitement désillusionné. Ce n'est qu'un semblant de réponse au problème. Ce n'est pas sérieux, nous attendons des actes clairs. Mais je n'ai pas beaucoup d'espoir, ses déclarations sur la crise que connaît l'hôpital n'annoncent d'ailleurs rien de très rassurant. Elle parle d'une grippe virulente comme cause à cet engorgement, c'est cynique. Agnès Buzyn est médecin de formation et pourtant elle se montre totalement déconnectée des réalités du terrain . D'ailleurs lorsqu'elle demande aux établissements de mieux s'organiser, elle quitte définitivement ses habits de docteure pour ceux de cheffe d'entreprise. Mais on ne gère pas un système de soins comme une entreprise . C'est justement cette logique qui nous a menés vers cette situation, clame-t-il. Pourtant, en voyant des chiffres pareils, il y a de quoi en empêcher certains de dormir… surtout sur un brancard !

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com