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PSYCHIATRIE

Les soignants français touchés par le "syndrome du pyjama bleu"...

Publié le 07/08/2019
patient alité pyjama bleu

patient alité pyjama bleu

Après l'effet blouse blanche qui fait monter la tension artérielle, des chercheurs à l'hôpital de Rennes viennent de mettre en évidence le "syndrome du pyjama bleu". Contrairement au premier celui-ci s'exerce sur les professionnels de santé et non sur les patients. En effet, lorsque les usagers revêtent cette tenue, ils paraissent dans un état plus grave qu'ils ne le sont réellement... comme quoi l'habit fait le moine !

Contrairement à ce que l'on croit, évaluer l'état de santé psychique d'un patient n'est pas évident et des biais peuvent survenir, même des choses anodines comme ... la tenue vestimentaire.

Non, le syndrome du pyjama bleu n'est pas une phobie des hôpitaux ou des vêtements de nuit, ni un accès de somnambulisme ! Récemment mis en lumière par des chercheurs Rennais, ce syndrome touche les professionnels de santé. Plus précisément, ceux-ci ont tendance à surestimer la gravité de l'état des patients lorsque ceux-ci portent un pyjama bleu plutôt que leurs vêtements habituels.

Un pyjama bleu qui noircit le diagnostic des psychiatres

Cet impact vestimentaire a été démontré auprès de dix psychiatres qui ont observé 26 personnes atteintes de troubles dépressifs majeurs dans une unité de troubles de l'humeur du CHU de Rennes. En effet, les dix spécialistes ont visionné des interviews de ces patients sous forme de petits films de 5 minutes. La première était réalisée le jour de leur admission et la seconde cinq jours après. Selon un ordre aléatoire, les patients filmés portaient tantôt leur vêtements quotidiens, tantôt le pyjama bleu traditionnel. Après avoir pris connaissance de chaque vidéo, les psychiatres devaient ensuite évaluer l'état psychique des personnes dépressives sur une échelle de 1 à 7.

Premier constat, les spécialistes ont une meilleure impression de l'état de santé du patient 5 jours après qu'il ait été admis dans l'unité. Mais, étrangement, les praticiens ont jugé la pathologie des personnes en pyjama plus sévères de 0,65 points. L'effet « pyjama » sur les évaluateurs est d'autant plus important que les patients, eux, ne se sentent pas différents sous prétexte qu'ils portent un uniforme bleu.

"La littérature du pyjama", une voie inexplorée dans la recherche

Ces résultats ne sont pas anodins, le premier entretien avec le patient est un moment clé en psychiatrie. Il permet de poser le diagnostic clinique mais aussi de gagner la confiance du patient et de partager des informations importantes avec lui. Cette première impression via le langage verbal comme non verbal est la pierre angulaire du raisonnement thérapeutique. C'est pourquoi de nombreux travaux ont exploré la possibilité de nombreux biais pouvant altérer le jugement des évaluateurs. Par exemple, certaines équipes de chercheurs se sont penchés sur les capacités des médecins à identifier les différences entre l'effet des médicaments et l'effet placebo. D'autres ce sont portés sur la stigmatisation en général et plus particulièrement dans le domaine des neurosciences et de la psychiatrie .

Pourtant, les travaux sur le port du pyjama à l'hôpital est inexistante. Si l'on se décidait à faire un revue de la littérature sur le sujet, on ne trouverait rien... sinon pas grand-chose. Les auteurs de l'étude sur le syndrome ont tapé « pyjama » sur le moteur de recherche de Pubmed et n'ont trouvé que deux résultats : une étude devenue non accessible et une analyse critique sur l'obligation de le porter à l'hôpital. Cet article suggérait notamment que cette pratique était incompatible avec la notion de rétablissement du point de vue des patients. En fait, aucune donnée épidémiologique n'est recensé sur l'usage du pyjama au niveau international. Or, les résultats de cette nouvelle étude semble démontrer que le recours à cette tenue interfère surtout sur le jugement des cliniciens.

Pyjama or not pyjama ?

Cependant, malgré cette absence d'évidence sur l'utilité de cette pratique, elle reste courante dans les hôpitaux psychiatriques français. Ce qui n'est pas sans soulever des débats d'ordre éthique chez les professionnels de la santé mentale et en dehors. Certains la défendent, soutenant que le port de cette tenue réduirait le risque de suicide et de fugue alors que d'autres la dénoncent en soulignant le caractère dégradant pour les patients.

Le "syndrome du pyjama bleu" : la provocation ?

Si les auteurs ont été jusqu'à appeler leurs observations le « syndrome du pyjama bleu », ce n'est pas pour dramatiser mais davantage par provocation. Ce qu'ils assument clairement nous n'avons pas utilisé le terme pour clamer que nous avons découvert un nouveau syndrome psychiatrique. En fait, l'intérêt de ces travaux ne repose pas sur le port du fameux pyjama mais sur ce qu'ils révèlent à propos de la fiabilité du jugement des évaluateurs. En effet, ces résultats indiquent surtout que les psychiatres sont influencés par des facteurs très superficiels lorsqu'ils jugent la sévérité d'un état dépressif. Or, l'apparence d'un patient peut n'avoir aucun rapport avec son état mental. Si la sa tenue a une telle importance, d'autres éléments trompeurs provenant de son environnement peuvent aussi troubler l'opinion des praticiens alors qu'ils n'ont aucun lien avec la pathologie.

Les auteurs citent pour exemple une autre expérience « emblématique et historique » sur le sujet : Roseham et son équipe se sont fait admettre dans un hôpital psychiatrique juste après avoir prétendu entendre des voix. Seulement après cela, ils ont tous cessé complètement de simuler et ce sont comporté parfaitement normalement. Pourtant, ils ont été considérés comme « malades » pendant un certain temps. Les scientifiques qui ont mené cette étude en ont conclu que l'hôpital lui même imposait un certain environnement où chaque comportement peut-être facilement mal interprété. Si les travaux actuels sur le port du pyjama sont plus politiquement correct, l'esprit reste le même ! Ils mettent en lumière une faille chez les évaluateurs. Les médecins et chercheurs sont des être humains avec des préjugés comme tout un chacun. Alors sont-ils capables d'évaluer la gravité de l'état d'un patient de manière impartiale, ou leur jugement est-il davantage basé sur des idées préconçues qui reflètent plus leur propres croyances que la condition réelle du patient ? Cette étude a le mérite d'être une piqûre de rappel du caractère subjectif de la pose du diagnostic notamment dans le domaine de la psychiatrie.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com