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"Les réserves de la Carpimko n’ont pas vertu à renflouer les caisses de retraite déficitaires"

Publié le 03/10/2019
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Les auxiliaires médicaux libéraux - infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, pédicures-podologues, orthoptistes - alertent les pouvoirs publics et se mobilisent maintenant depuis plusieurs semaines. En effet, la mise en place d'un régime universel de retraite - projet actuellement défendu par Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire à la réforme des retraites - pèse lourdement sur leur avenir, impactant la pérennité même de leurs cabinets. Une étude chiffrée sur cet impact, menée par le cabinet Asterès, a été présentée lors du colloque des 70 ans de la Carpimko, caisse de retraite des auxiliaires médicaux libéraux, le 1er octobre dernier. Elle ne dit pas autre chose et le débat qui s'en suit avec les professionnels de santé concerné reste tendu...

Hausse des cotisations, fragilisation de l'emploi, baisse de la pension de retraite... autant d'impacts pour les auxiliaires médicaux libéraux face à la mise en place du régime universel des retraites.

Le sujet est, on le sait, plus que sensible, et la Présidente de la Carpimko1, Marie-Anne François, n'a pas manqué de le rappeler en ouverture de cette rencontre conviant parlementaires, auxiliaires médicaux, représentants syndicaux, ordinaux et Jean-Paul Delevoye lui-même. La finalité : échanger et débattre, chacun étant bien disposé à faire entendre ses arguments et à les mettre en perspective. Les réserves de la Carpimko n’ont pas vertu à renflouer les autres caisses de retraite déficitaires, a donc souligné d'emblée Marie-Anne François, rappelant l'excellente santé de la Caisse, auto-financée par les quelques 300 000 affiliés, largement bénéficiaire avec un ratio démographique plus que satisfaisant, soit 3,26 cotisants pour 1 retraité.

Après abattement des contributions sociales, l’ensemble des affiliés à la CARPIMKO perdrait 6% de son bénéfice non commercial (BNC) sur une année.

Un bénéfice non commercial amputé...

L'étude présentée par le cabinet Asterès2 le met clairement en exergue, l’alignement du régime de retraite des auxiliaires médicaux sur celui des salariés compromet leur avenir. Dans le régime actuel piloté par la Carpimko et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), le taux moyen de cotisations retraites des auxiliaires médicaux s’élève à 15%. Selon les préconisations du Haut-commissariat aux retraites, la convergence des 42 régimes existants se matérialisera par l’application uniforme d’un taux de 28,12% jusqu’à une fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS)3 et de 12,94% au-delà. Or, seulement 3% du revenu moyen des auxiliaires médicaux se situe au-delà de ce plafond. La hausse des cotisations revient à augmenter le taux de prélèvements obligatoires de plus de 13 points de pourcentage. En compensation, le Haut-commissariat propose la redéfinition de l’assiette sociale des indépendants, afin de diminuer le montant de CSG-CRDS acquitté par les professions libérales. Selon le cabinet écononomiste les dispositifs de compensation envisagés - plafonnement du taux de 28,12% jusqu’à une fois le plafond de la sécurité sociale ainsi qu'abattement de 30% de l’assiette de CSG - ne seraient pas suffisants pour éviter une baisse importante des revenus d’activités des auxiliaires médicaux. Après abattement des contributions sociales, l’ensemble des affiliés à la Carpimko perdrait 6% de son bénéfice non commercial (BNC) sur une année. Le manque à gagner serait de 7% pour les infirmiers, de 5,9% pour les masseurs-kinésithérapeutes, de 5% pour les orthophonistes, de 4,7% pour les pédicures-podologues et de 4,5% pour les orthoptistes.

Pour la présidente de la Carpimko, "cette étude démontre le risque pour la viabilité des cabinets et pour l'attractivité des cinq professions concernées".

Un risque important pour l'attractivité des 5 professions concernées...

Cette perte de revenu aura également des conséquences sur la démographie de ces professions. L’estimation d'Astarès s’appuie sur l’analyse de l’élasticité de l’offre de travail à la variation du revenu. Le taux de féminisation et les niveaux de revenus de chaque profession implique des réactions différentes à la baisse de revenu. Les infirmiers et les orthophonistes sont les professions dont la démographie serait la plus atteinte par la réforme des retraites. La hausse des prélèvements obligatoires exerce un effet psychologique qui pousse les actifs en couple les plus riches à cesser de travailler puisqu’ils peuvent compter sur la solidarité conjugale. Pour les personnes les plus modestes et en particulier pour les femmes, la baisse du revenu renforce la contrainte budgétaire et nécessite des arbitrages. Par exemple, le paiement d’une garde d’enfant peut devenir trop onéreux et pousser les individus à cesser de travailler ou à travailler moins pour s’occuper des enfants. Au total, la réforme des retraites pourrait se traduire par la perte de 9 755 équivalents temps plein (ETP), soit 4% du total des affiliés à la Carpimko. Un pourcentage évalué à une perte de 5% en ETP pour les infirmiers.

Pour aller plus loin dans l'analyse, la littérature économique nous apprend qu'une baisse de revenus peut impacter les actifs selon quatre possibilités :

  • Une augmentation des heures travaillées pour compenser la perte de revenu. Pour les indépendants, la décision d’augmenter le nombre d’heures travaillées dépend de la quantité de travail déjà fournie et de l’existence d’une demande supplémentaire. Il est difficile de travailler plus lorsque le temps de travail hebdomadaire est compris entre 50 heures et 70 heures.
  • Une hausse du salaire horaire ou du prix de vente du service fourni pour compenser la perte de revenu. Cette possibilité n’est pas ouverte pour les auxiliaires médicaux libéraux puisque les tarifs sont fixés par convention avec la sécurité sociale. Seuls les pédicures-podologues se distinguent, une partie de leur activité bénéficiant d’honoraires libres.
  • Une baisse du nombre d’heures travaillées car le coût d’opportunité d’un travail à temps-plein devient trop élevé. a hausse des prélèvements obligatoires a un effet dissuasif et le professionnel peut décider de substituer du temps de loisir ou de travail domestique au temps de travail rémunéré.
  • Une sortie du marché du travail car le coût d’opportunité du travail est trop élevé. Pour des actifs qui hésitaient à arrêter de travailler, une baisse de revenus, notamment liée à une hausse de la fiscalité joue un effet déclencheur.

Pour la présidente de la Carpimko, cette étude démontre le risque pour la viabilité des cabinets et pour l'attractivité des cinq professions concernées. Cela est d'autant plus problématique que les auxiliaires médicaux libéraux sont des acteurs essentiels du système de soins et les éléments moteurs de la mutation actuelle du système de santé. Plus de 15 millions de Français sont atteints par une maladie chronique et le vieillissement de la population dynamise déjà les activités des auxiliaires médicaux, sans parler du virage ambulatoire lui aussi très dynamique. D’ici 2040, le nombre d’infirmiers libéraux devrait augmenter de 64%, celui des masseurs-kinésithérapeutes de 50%, celui des orthophonistes de 50%, celui des pédicures-podologues de 40% et celui des orthoptistes de 140%. Selon Astérès, les effets démographiques non négligeables de cette réforme des retraites rendront d’autant plus difficile la prise en charge de qualité des patients, sur l’ensemble du territoire français.

Le Haut-Commissaire a pour mission d’organiser la concertation avec les principaux acteurs du champ des retraites et de coordonner, au niveau interministériel, les travaux de préparation de la réforme des retraites, de rédaction des projets législatifs et réglementaires et de suivi de leur mise en œuvre.

Un débat qui reste tendu...

On est vertueux quand on agit sous le regard de tous. Après l’âge des suppositions où on doute et où on a peur, nous allons passer à l’âge des simulations pour y voir plus clair et être dans le concret a rappelé Jean-Paul Delevoye, s'exprimant en fin de colloque. Pédagogique, certes, dans la présentation de ses préconisations, rappelant l'idée à défendre de la solidarité nationale et donc de la solidarité professionnelle par une universalité des régimes de retraite, le Haut-Commissaire n'a pas réussi à convaincre. Il a insisté sur l'idée que nul ne sait vraiment de quoi sa pratique professionnelle sera faite dans 20 ans et que, face à la disparité des situations - 42 régimes de retraite différents à ce jour - il fallait s'interroger sur les bénéfices/risques d'une telle réforme : consolidation ou fragilisation ? Jean-Paul Delevoye a rappelé être fan de la controverse et à ce titre attendre des contre-propositions des différents représentants des professions impactées. J'entends votre angoisse. Je salue votre engagement car vos métiers sont nobles auprès des plus vulnérables et en demande de soins. On prendra le temps qu'il faut mais notre idée de début reste la même, il nous faut réfléchir ensemble à un système de retaite universel. Nous devrons harmoniser en tenant compte de règles communes.

En matière de simulation, il semble bien que l'étude économique présentée par Astarès apporte des conclusions qui ne sont pas promptes à apaiser l'inquiétudes des auxiliaires médicaux libéraux. Les prochaines semaines vont voir les réunions de concertation se multiplier entre le Haut-Commissaire et l'ensemble des représentants des différents corps de métier, libéraux comme salariés. La route s'annonce longue, sinueuse et accidentée pour parvenir au résultat espéré par le Gouvernement. Nous y reviendrons, sans nul doute.


1- Fondé en 1949, la Carpimko, Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, est chargée de la gestion et de la mise en œuvre de la retraite des 300 000 auxiliaires médicaux exerçant en libéral sur le territoire français.
2- La réforme des retraites menace la deémographie des auxiliaires médicaux libéraux, étude économique, septembre 2019, Astarès.
3- Le PASS 2019 a une valeur de 40 524 euros.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com