Les plaies cancéreuses sont dans leur majorité des plaies complexes qui nécessitent un traitement spécifique. La difficulté survient lorsque le cancer n’est pas traitable. En phase palliative, le traitement des plaies doit alors s’adapter à la fois à la plaie, au patient et à son entourage, en recherchant avant tout le confort du patient.
Une plaie tumorale est une plaie composée entièrement ou en partie de cellules tumorales. Cela implique qu’il n’y a pas d’espoir de cicatrisation sans traitement spécifique. Le pansement ne guérira donc pas le cancer.
On distingue quatre types de plaies cancéreuses :
- l’ulcération d’un cancer cutané. Il peut s’agir :
- de carcinomes cutanés dans 90 % des cas. Ce sont des cancers du tissu épithélial de bon pronostic. Il existe deux grands types de carcinomes cutanés : les carcinomes spinocellulaires et les ceux basocellulaires, ces derniers n'atteignant jamais la muqueuse et ne métastasant jamais, ce qui est moins vrai pour les premiers. L’ulcération peut provoquer de gros dégâts anatomiques avec atteinte des nerfs et des vaisseaux à l’origine de douleurs et d’hémorragies ;
- de mélanomes qui représentent 5 % des cancers cutanés mais qui sont à l’origine de 80 % des décès par cancers cutanés. L’incidence du mélanome est en constante augmentation ; son incidence était d’environ 10.000 cas en 2011 et environ 1.600 décès/an. Le pronostic du mélanome est lié au risque métastatique. L’ulcération du mélanome est assez fréquente et de mauvais pronostic ;
- d'autres cancers.
- l’ulcération d’un cancer profond. L’ulcération marque le mauvais pronostic. Il s'agit d'un cancer en évolution locale mais il y a souvent aussi une atteinte à distance ;
- la métastase cutanée d’un cancer engendrée par plusieurs types de cancers (poumon, rein, mélanome). Celle-ci aggrave le pronostic de la maladie ;
- la dégénérescence d’une plaie chronique. Cela est rare et survient après plusieurs années. Il faut y penser lorsque la plaie se modifie et surtout lorsqu’elle s’aggrave sans explication (par exemple, brûlure instable, escarre…).
Prise en charge des plaies tumorales
La prise en charge des plaies cancéreuses ne se conçoit pas sans le traitement du cancer. Lorsque ce dernier est possible, la prise en charge est curative (chirurgie, radiothérapie, topiques locaux, chimiothérapie) et les pansements sont un soutien à la guérison. A l’inverse, lorsque le traitement du cancer n’est pas possible, la prise en charge est palliative et le pansement fait partie des soins de support, l’objectif étant d’améliorer la qualité de vie des patients.
Les plaies tumorales sont spécifiques : absence de cicatrisation spontanée, tendance à l’extension, peuvent être très douloureuses, inflammation locale souvent importante, possibilité d’exsudation importante, néo-vascularisation fréquente avec tendance au saignement en nappe et association fréquente de bourgeonnement anarchique et d’ulcération.
Ces spécificités impliquent la prise en charge :
- des douleurs. Au niveau des mesures locales, il convient de choisir un pansement primaire moins traumatique au retrait et de ne pas oublier d'humidifier très largement le pansement avant de le retirer. On peut aussi utiliser des anesthésiques locaux. Dans les mesures générales, il faut discuter de la prémédication avant pansement (Entonox © - Meopa) ;
- des odeurs. La détersion mécanique doit être la première mesure locale à prendre. On discute ensuite l’utilisation de pansement primaire argentique. Pour réduire la diffusion des odeurs : pansement absorbant (notamment secondaire) au charbon ;
- des saignements. Au retrait du pansement, choisir un pansement primaire moins traumatique au retrait et ayant des propriétés hémostatiques (alginate). Il faut humidifier très largement le pansement avant de la retirer. En cas de saignement persistant : compression pansement hémostatique ;
- des infections. La détersion reste le meilleur traitement. Le prélèvement bactériologique doit être réservé seulement aux patients présentant des signes d'infection (fièvre, douleur, rougeur, odeur et écoulement purulent) ;
- des écoulements. Choisir un pansement primaire à fort pouvoir d’absorption. Utiliser un pansement secondaire très absorbant que l’on puisse changer souvent indépendamment du pansement primaire. Si le nombre de pansements devient trop important, il faut passer à la thérapie par pression négative (TPN) pour faciliter le confort du patient et du soignant.
Plaies complexes
En pratique cancérologique, une plaie est complexe en fonction de sa localisation, du tableau clinique du patient porteur de cette plaie (facteurs péjoratifs associés), du temps nécessaire pour la réfection du pansementâ¨et de l'évaluation clinique de la plaie (tunnels, fistules, décollements...). La nomenclature générale des actes professionnels infirmiers1 définit huit catégories de pansements complexes. Il s'agit des pansements :
- de brûlures > 5 % de la surface corporelle ;
- d'ulcères ou de greffe cutanée > 60 cm2 ;
- de fistule digestive â¨;
- d'amputation nécessitant la détersion â¨;
- pour perte de substance traumatique ou néoplasique ;
- chirurgicaux avec méchage ou irrigation ;
- d'escarre profonde et étendue atteignant les muscles ou les tendons⨠;
- chirurgicaux avec matériel d’ostéosynthèse extériorisé.
Quand penser à une plaie cancéreuse devant un ulcère de jambe ?
Les plaies cancéreuses de jambe se répartissent en deux grandes catégories :
- des cancers primitifs cutanés qui vont s’ulcérer et qui peuvent à la longue mimer un ulcère de jambe ;
- des ulcères de jambe d’origine vasculaire ou de pression qui en évoluant vont se cancériser.
Ces ulcères sont sous-diagnostiqués et le retard de diagnostic peut significativement assombrir le pronostic. Les cancers ulcérés de jambe sont les plus fréquents et les plus faciles à diagnostiquer. Se sont avant tout des carcinomes basocellulaires, puis des carcinomes épidermoïdes et beaucoup plus rarement des mélanomes, des lymphomes et des leiomyosarcomes.
Il faut y penser :
- si nodule ou plaque rouge ayant précédé la ou les plaie(s) ;
- si fond hyper-bourgeonnant persistant avec tendance aux saignements anormaux ;
- si berges de la plaie surélevées et/ou avec cercles incomplets et/ou pigmentées ;
- d’autant plus facilement que la peau périphérique est saine ;
- d’autant plus facilement qu’il y a une notion d’extension progressive et inexorable quoique l’on fasse et qu’il n’y a pas de facteur de risque évident (ni insuffisance veineuse, ni artérite, ni pression, ni frottement) ni de facteur déclenchant évident ;
- lors d’un ulcère ancien ne cicatrisant pas et même se s’étendant ou se creusant alors que tous les facteurs de retard de cicatrisation sont correctement gérés ;
- lors de la présence d’un tissu de granulation apparemment sain mais sans tendance à l’épidermisation ;
- lors de l’existence d’un hyperbourgeonnement localisé pouvant s’étendre sur les berges de la plaie ;
- lors d’apparition de douleurs anormales même si elles ne sont pas très spécfiques ;
- lors d’apparition de saignements trop faciles.
Le carcinome verruqueux est une forme particulière de cancer sur ulcère de jambe. Il s’agit d’un carcinome épidermoïde. Il siège régulièrement sur les plantes, en regard des malléoles. Il est caractérisé par un bourgeonnement exophytique avec la présence de kératine sur des zones étendues, avec des zones irrégulières avec pertuis en « terrier de lapin ».
Une fois le diagnostic de plaie cancéreuse évoquée par la clinique, il va falloir le confirmer par la réalisation d'une ou plusieurs biopsie(s). Rappelons que la biopsie est indiquée en l'absence inexpliquée d'amélioration d'une plaie après 12 voire 6 semaines de prise en charge.
En conclusion, le travail en équipe, les échanges pluridisciplinaires, la réflexion éthique, de même que la personnalisation du soin, le confort et le respect de la personne malade sont quelques-uns des prérequis indispensables dans la prise en charge des plaies cancéreuses car l'amélioration est possible même si celle-ci n'est que palliative.
Note
1- Arrêté du 18 février 2003 modifiant la nomenclature générale des actes professionnels des médecins, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes et des auxiliaires médicaux, article 3, chapitre 1, titre XVI
Article rédigé à partir des interventions d’Ignacio Garrido-Stowhas, chirurgien plasticien, ICR Toulouse, Didier Couilliet, dermatologue libéral, Tarbes, Alain Gratet, oncologue, Clinique Pasteur, Toulouse, Chrystel Sigaud, IDE, Rodez, Viviane Alidor, IDE de consultation plaies et Gérard Le Duff, cadre de santé, Institut Claudius Regaud, Toulouse, lors de la session 2 « Les plaies cancéreuses » dans le cadre de la 3e édition de la Journée midi-pyrénéenne de cicatrisation (JMPC) organisée par l’association DOM-CICA 31 et l’UFRSI.
Pour aller plus loin : www.jmpc.fr et www.therashare.tv/JMPC (vidéos en replay des sessions plénières et supports PDF des ateliers pratiques en ligne).
Valérie HEDEF-CAPELLE Journaliste valerie.hedef@orange.fr
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